AccueilExpressions par MontaigneAzerbaïdjan : la guerre d’information de Bakou contre la FranceL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.04/03/2025Azerbaïdjan : la guerre d’information de Bakou contre la France EuropeImprimerPARTAGERAuteur Sossi Tatikyan Analyste en relations et sécurité internationales - doctorante à la Sorbonne nouvelle La prise de contrôle du Haut-Karabagh (Artsakh en arménien) par l'Azerbaïdjan en septembre 2023, après une guerre éclair, tout comme les offensives militaires menées par Bakou contre l'Arménie, avec l'occupation d'au moins 215 km² de ses zones frontalières, et l'épuration ethnique qui s'en est suivie, ont été dénoncées par la France et se sont traduites par une redistribution des alliances. Erevan, délaissée par la Russie, doit revoir ses choix stratégiques, tandis que le président d'Azerbaïdjan, Ilham Aliev, se rapproche de plus en plus de Moscou, y compris sur le plan de la rhétorique anti-française. Quels sont les ressorts et les véhicules des narratifs anti-français ? Comment Bakou capitalise-t-elle sur son rôle dans certaines instances internationales pour diffuser une propagande anti-française et comment instrumentalise-t-elle les courants politiques hostiles qui existent en Nouvelle-Calédonie, en Corse ou en Afrique ? Comment se traduit le soutien de la France à l’Arménie ? Une analyse de Sossi Tatikyan.Depuis 2023, l'Azerbaïdjan mène une guerre de l'information contre la France, confinant parfois à la guerre hybride, en réaction aux critiques de Paris à l’encontre du gouvernement de Bakou, notamment en ce qui touche au déplacement forcé des Arméniens du Haut-Karabakh. Les offensives militaires contre la République d'Arménie ont en effet conduit à l'occupation de plus de 200 km² de ses zones frontalières, ce qui a mené la France à assurer son soutien politique à l'Arménie au Conseil de sécurité des Nations unies et à l'Union européenne, et à appuyer l'Arménie dans la restauration de son secteur de la défense. Néanmoins, la campagne anti-française de l'Azerbaïdjan s'est étendue bien au-delà de la question arménienne, pour toucher les territoires français d'outre-mer et l'Afrique subsaharienne.Bakou n’a pas fait de la France la cible unique d’une offensive plus largement menée à l’encontre de tout acteur international qui exprime son soutien en faveur de l'Arménie ou fait part de son inquiétude pour les Arméniens du Haut-Karabakh : l'UE, les États-Unis, les organisations internationales (comme le Parlement européen, le Conseil de l'Europe, l'Organisation internationale de la Francophonie et leurs assemblées parlementaires), les ONG telles que Freedom House, les universitaires, les analystes et les journalistes internationaux.Bakou n’a pas fait de la France la cible unique d’une offensive plus largement menée à l’encontre de tout acteur international qui exprime son soutien en faveur de l'Arménie ou fait part de son inquiétude pour les Arméniens du Haut-Karabakh.Il n’en reste pas moins que c’est la France qui est désignée comme l'adversaire principal de l'Azerbaïdjan en raison de son soutien sans faille à l'Arménie et de ses critiques à l'égard de Bakou. La France est également le premier pays de l'OTAN et de l'UE à avoir brisé le tabou de la fourniture d'armements à l'Arménie, qui reste officiellement membre de l'Organisation du Traité de sécurité collective - quoique, dans les faits, elle ait gelé son processus d’adhésion et se soit efforcée de réduire sa dépendance à l'égard de la Russie.Cette prise de position française a été la conséquence de l'offensive militaire azerbaïdjanaise, qui s’est conclue par le déplacement de tous Arméniens du Haut-Karabakh en 2023.Bakou décline son narratif anti-française en plusieurs avatars :accusations selon lesquelles la France “parrainent” l'Arménie et porte atteinte à la souveraineté de l'Azerbaïdjan ;dénonciation d’une politique colonialiste de la France dans ses territoires d'outre-mer, à Mayotte et en Corse ;critique du “néocolonialisme” français en Afrique subsaharienne ;accusations contre la France qui serait une “dictature”, tout en étant menée à sa perte par ses valeurs libérales.Quelle est la genèse des faux récits azerbaïdjanais sur la France ? Dans quelle mesure peut-on les assimiler aux stratégies de désinformation russes ? Quelles sont les plateformes et les agents qui les promeuvent et quels sont les objectifs poursuivis par l'Azerbaïdjan ?Cibler le soutien de la France aux Arméniens d'Arménie et du Haut-KarabakhDepuis 2020, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et sa machine de propagande ont présenté la France comme un acteur partial dans le Caucase du Sud, protégeant l'Arménie et ayant porté atteinte à la souveraineté de l'Azerbaïdjan pendant et après la guerre du Karabakh de 2020. Selon Bakou, l'Arménie aurait fait de la France son nouvel allié principal, en remplaçant la Russie : le partenariat entre la France et l’Arménie est ainsi qualifié de “tandem franco-arménien” à l’oeuvre dans des organisations internationales telles que le Conseil de sécurité des Nations unies, l'UE et la Francophonie. Le ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères a publié de nombreuses déclarations véhémentes en réaction à toute action de soutien à l'Arménie et à toute critique de l'Azerbaïdjan par la France. Le Mejlis, parlement azerbaïdjanais, a vivement réagi aux résolutions adoptées par le Sénat et l'Assemblée nationale français en faveur de l'Arménie et des Arméniens du Haut-Karabakh.Les organisations non gouvernementales soutenues par Bakou se sont fait les échos des déclarations officielles, accusant les députés français de racisme, d'islamophobie et d'”azerbaïdjanophobie” et dénonçant une “nouvelle croisade” menée à leur encontre.Depuis presque deux ans, Aliyev a pris personnellement pour cible le président français dans presque toutes ses allocutions publiques, déployant une rhétorique de plus en plus hostile. Il l'a accusé d'adopter une position pro-arménienne et de saper l'influence régionale de l'Azerbaïdjan. "On a l’impression que Macron ne peut pas vivre sans l'Azerbaïdjan. Ça l'obsède et il nous accuse de tous ses problèmes." La machine de propagande azerbaïdjanaise s’en est également pris à d'autres hommes politiques français, comme l'ancien Premier ministre français Michel Barnier ou des membres du Sénat et de l'Assemblée nationale pour leurs visites passées au Haut-Karabakh et leur soutien aux "séparatistes du Karabakh".C’est à la fin de l’année 2023? à l’occasion de l'annonce d'une nouvelle coopération en matière de défense entre Paris et Erevan, que l'Azerbaïdjan a particulièrement intensifié sa rhétorique contre la France. Aliyev a réagi avec virulence, affirmant que la fourniture d'armes par la France à l'Arménie, loin de favoriser la paix, saperait plutôt tous les efforts pour mettre fin au conflit, "préparerait le terrain pour de nouvelles guerres" et conduirait au regain des affrontements, ce dont la France serait responsable.Depuis presque deux ans, Aliyev a pris personnellement pour cible le président français dans presque toutes ses allocutions publiques, déployant une rhétorique de plus en plus hostile.Une fois la coopération en matière de défense lancée en février 2024, Aliyev a intensifié encore ces accusations, avertissant que l'Azerbaïdjan "ne pouvait rester les bras croisés pendant que la France, l'Inde et la Grèce armaient l'Arménie contre nous". La propagande azerbaïdjanaise a averti que "les puissances étrangères et les armes n’échapperaient pas à la "main de fer" de l'Azerbaïdjan".Dans son entretien accordé en décembre 2024 à la télévision publique russe, Aliyev a intensifié sa rhétorique anti-occidentale, notamment dirigée contre la France, l'UE et l'administration américaine sortante, qu'il a présentées comme faisant partie d'un alignement occidental plus large contre l'Azerbaïdjan. Il a accusé la France et l'Inde d'alimenter l'instabilité régionale en fournissant ouvertement des "armes létales" à l'Arménie, tandis que les États-Unis procédaient en secret et que la Facilité européenne pour la paix contribuait également au "renforcement militaire" de l'Arménie. Il a en outre fait valoir que le soutien au secteur de la défense arménien était incompatible avec les négociations de paix en cours, en déclarant que ni Arménie ni ses nouveaux protecteurs ne voulaient la paix mais qu’ils étaient mus par des idées de vengeance. Enfin, dans son interview de janvier 2025, Aliyev a exhorté l'Arménie à restituer les armes qu'elle a obtenues et a appelé les pays qui les lui fournissent à annuler leurs contrats en cours, ce dont il a fait une condition non négociable.Le ministère russe des Affaires étrangères a repris les récits azerbaïdjanais, en cohérence avec son réalignement sur les positions de l'Azerbaïdjan. En mars 2024, la porte-parole russe Maria Zakharova a déclaré que la France tentait de consolider sa présence en Arménie afin "d’espionner les États voisins et d’empêcher la mise en œuvre des accords de paix avec l'Azerbaïdjan". Moscou a également suggéré qu'il serait "naïf" de se fier à Paris pour assurer la sécurité de l'Arménie.La France, un soutien de l'Arménie et un acteur dans le Caucase du SudDepuis que l'Azerbaïdjan a lancé une guerre totale contre le Haut-Karabakh en 2020, la France s’est posée en médiatrice mais l'Azerbaïdjan a immédiatement violé les cessez-le-feu négociés par la France et les États-Unis en octobre 2020. Plus tard, Bakou a accepté un accord négocié par la Russie à des conditions très défavorables pour l'Arménie, ne consultant ni les États-Unis ni la France.Au lendemain de la guerre de 2020 dans le Haut-Karabakh, l'Assemblée nationale française a adopté une résolution reconnaissant l'indépendance de l'Artsakh (le nom arménien du Haut-Karabakh) mais l’exécutif français est resté en retrait de cette résolution pour préserver une relative neutralité compatible avec son rôle de coprésident du Groupe de Minsk de l'OSCE, l'organe de médiation officiel pour le conflit du Haut-Karabakh. Néanmoins, depuis 2021, l'Azerbaïdjan a commencé à saboter le rôle de médiation du Groupe dans son ensemble, et la Russie a fini par s’arroger le rôle d’arbitre entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. En décembre 2021, le président Macron et le président du Conseil de l'UE, Charles Michel, ont ménagé un format de médiation alternatif entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, où l’UE jouait le rôle de facilitateur.Depuis 2021, l'Azerbaïdjan a commencé à saboter le rôle de médiation du Groupe dans son ensemble, et la Russie a fini par s’arroger le rôle d’arbitre entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie.Après l'incursion de l'Azerbaïdjan en Arménie en septembre 2022, Paris a pris l’initiative de réunir le Conseil de sécurité des Nations unies et a exprimé son soutien en faveur d’une solution qui préserve l'intégrité territoriale arménienne. L'UE et la France ont aussi suscité une rencontre entre le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev à Prague en octobre 2022, au cours de laquelle ils ont plaidé en faveur d'une mission de surveillance de l'UE en Arménie (EUMA), qui s’est avérée être un moyen efficace pour dissuader toute incursion au-delà des frontières de l'Arménie et qui est par conséquent immédiatement devenue une nouvelle cible dans la guerre hybride menée par l'Azerbaïdjan.Dans une interview accordée en octobre 2022 à la chaîne de télévision France 2, Emmanuel Macron a critiqué les offensives militaires de l'Azerbaïdjan contre les Arméniens au Haut-Karabakh et en Arménie, a promis que la France n'abandonnerait pas l'Arménie et a accusé la Russie de "déstabilisation" et de "chercher à nuire" au processus de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Il a néanmoins assimilé le Haut-Karabakh à une "enclave séparatiste du peuple arménien en Azerbaïdjan". L'interview a rencontré des réactions mitigées au sein des Arméniens et a suscité le mécontentement de l'Azerbaïdjan.La France a été à l’origine de deux des trois réunions d'urgence du Conseil de sécurité des Nations unies concernant le blocus de l'Azerbaïdjan et l'offensive militaire au Haut-Karabakh en 2022-2023. Elle a appelé au respect des droits de l'homme et de la sécurité des Arméniens du Haut-Karabakh. Dans le cadre d'une initiative régionale, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a fait partie en août 2023 d’un convoi humanitaire qui devait forcer le blocus imposé par Bakou via le corridor de Latchine pour acheminer des fournitures essentielles jusqu'à la frontière arméno-azerbaïdjanaise. Les autorités azerbaïdjanaises ont refusé l'entrée du convoi, conduisant Anne Hidalgo à dénoncer une "violation flagrante des droits de l'homme".En octobre 2023, à la suite de la phase finale de l’offensive militaire de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabakh, la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, s'est rendue en Arménie et en Azerbaïdjan et s'est engagée à fournir du matériel militaire à l'Arménie. En octobre, la France a annoncé ses premières ventes de matériel militaire à l'Arménie. En réponse, l'Azerbaïdjan a boycotté la réunion de médiation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, organisée par l'UE, les États-Unis, la France et l'Allemagne en marge du sommet de la Communauté politique européenne de Grenade en octobre 2023, déclarant que toute initiative impliquant la France était irrecevable en raison de ses "déclarations pro-arméniennes".En janvier 2024, le Sénat français a adopté une résolution condamnant l'opération militaire menée par l'Azerbaïdjan contre les Arméniens au Haut-Karabakh en septembre 2023, et dénonçant le nettoyage ethnique et la destruction du patrimoine culturel arménien qui étaient survenus. Il a également condamné l'occupation des zones frontalières de l'Arménie par l'Azerbaïdjan entre 2021 et 2022. Dans ses vœux aux Ambassadeurs (en 2024 et 2025) et aux Armées (en 2024), Emmanuel Macron a réitéré le soutien de la France à la souveraineté de l'Arménie. Lors de la conférence de presse conjointe avec Pashinyan à Paris en février 2024, le président a exprimé sa solidarité avec l'Arménie et a exhorté l'Azerbaïdjan à "respecter sans ambiguïté l'intégrité territoriale de l'Arménie" en exigeant que les forces azerbaïdjanaises reviennent à leurs positions initiales. Il a également rappelé les ordonnances de la Cour internationale de justice qui demandent à l'Azerbaïdjan de garantir le droit au retour des Arméniens du Haut-Karabakh.En février 2024, le ministre français des Armées Sébastien Lecornu - c’était inédit pour le détenteur de cette charge - s'est rendu en Arménie où il a livré du matériel militaire et signé des accords de coopération en matière de défense, notamment afin de fournir des véhicules blindés, des armes, des munitions et d’améliorer les capacités de défense aérienne. Le ministre a également veillé à l’installation d’un attaché de défense et de conseillers français destiné à rendre plus lourd le coût d'une attaque de l'Azerbaïdjan contre l'Arménie. Paris et Erevan ont toutes deux insisté sur la nature défensive de ces capacités.En mars 2024, le nouveau Premier ministre français Gabriel Attal a accusé la Russie de vouloir "punir" l'Arménie pour s'être alignée sur l'Occident et la France a non seulement dénoncé l'expansionnisme territorial de l'Azerbaïdjan, mais aussi les tentatives de la Russie de saper la souveraineté de l'Arménie, dans le prolongement du soutien de la France à la souveraineté de la Moldavie et de la Géorgie. Le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a comparé les actions de l'Azerbaïdjan contre l'Arménie à l'agression de la Russie contre l'Ukraine, dans la lignée des avertissement d’Emmanuel Macron sur la tentation croissante, parmi les autocraties, de promouvoir leurs objectifs par la force : "La paix n'est pas la capitulation de ceux qui sont attaqués, c'est le respect de l'ordre international et de la Charte des Nations unies".En janvier 2024, le Sénat français a adopté une résolution condamnant l'opération militaire menée par l'Azerbaïdjan contre les Arméniens au Haut-Karabakh en septembre 2023, et dénonçant le nettoyage ethnique et la destruction du patrimoine culturel arménien qui étaient survenus.Faisant référence à la vente d'armes française à l'Arménie en juillet 2024, le président Macron a déclaré qu'il était naturel de répondre à la demande d'un pays souverain qui cherchait à s'équiper militairement. Il a rappelé qu'au cours de la dernière décennie, c'est l'Azerbaïdjan qui s’était lancé dans une course aux armements face à l'Arménie au point de déclencher une guerre en 2020, et qu'il n'avait en revanche jamais entendu parler d'un projet de guerre ou d'agression de la part du Premier ministre arménien Pashinyan. Il a conclu que "la perspective de l'Arménie est la paix, la perspective de la France est la paix, j'espère que la perspective de l'Azerbaïdjan est la paix. Et si les deux pays finalisent un traité de paix, nous soutiendrons un tel traité".Dans une allocution prononcée devant le Parlement français en octobre 2024, le ministre français des Affaires étrangères, M. Barrot, a souligné l'attachement de la France au droit international et à la justice, condamnant les violations commises par diverses parties, notamment l'Azerbaïdjan en Arménie, la Russie en Ukraine, le Hamas et le Hezbollah en Israël, Israël à Gaza et au Liban, et les talibans en Afghanistan. Ainsi, le soutien de la France à l'Arménie s'inscrit dans sa stratégie plus large de promotion de la stabilité dans le Caucase du Sud et de respect du droit international et des normes relatives aux droits de l'homme.Le 10 février 2025, lors de sa rencontre avec le Premier ministre arménien Pashinyan à Paris, Emmanuel Macron a réitéré le soutien total de la France à la normalisation des relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, ainsi qu'à la signature d'un traité de paix conforme au droit international. Il a également réaffirmé la détermination de la France à soutenir l'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Arménie, ainsi que ses aspirations à la paix, à la sécurité et à la démocratie.Le soutien de la France à l'Arménie est largement consensuel en France et dépasse les clivages entre la droite, la gauche ou le centre - certains politiciens français ayant même plaidé pour le renforcement du soutien à l'Arménie et des mesures plus sévères contre l'Azerbaïdjan. L'Azerbaïdjan n'a quant à lui qu'une poignée de partisans en France, notamment le député européen Thierry Mariani et la sénatrice Nathalie Goulet.La manipulation des récitsAprès ses victoires militaires dans le Haut-Karabakh et ses incursions à la frontière arménienne (2020-2023), l'Azerbaïdjan poursuit une militarisation agressive : il dévelope ses infrastructures militaires et acquiert des armes sophistiquées auprès d'Israël, de la Turquie, du Pakistan, de la Serbie et de l'Italie. Il a également commencé à développer des projets d'industrie militaire avec la Slovaquie et mène de nombreux exercices militaires avec la Turquie et d'autres partenaires. Son budget militaire pour 2025 est trois fois supérieur à celui de l'Arménie, ce qu'Aliyev lui-même a souligné, se vantant que l'Arménie ne puisse pas égaler les capacités militaires de l'Azerbaïdjan, même avec le soutien de l'Occident.L'Arménie a déclaré que la consolidation de ses capacités militaires suivait le principe de légitime défense énoncé par la Charte des Nations unies. Le Premier ministre Pashinyan a réaffirmé que l'Arménie n'avait l'intention ni de récupérer militairement le Haut-Karabakh ni de reprendre les zones frontalières occupées, privilégiant une délimitation pacifique des frontières. Cependant, M. Aliyev considère tout soutien aux capacités de défense de l'Arménie comme une menace pour la paix et n’a de cesse de réclamer que l’Arménie mette fin à ses contrats militaires et restitue ses armes. Ce faisant, il montre sa crainte que le désavantage militaire d’Erevan ne se réduise.Pourtant, alors même que Bakou critique la coopération de l'Arménie avec la France, elle affiche son alliance stratégique avec la Turquie, qui repose sur le concept "une nation, deux États". La Turquie a joué un rôle direct et décisif dans la victoire militaire de l'Azerbaïdjan lors de la guerre du Karabakh en 2020 : Ankara a fourni une technologie militaire de pointe, une formation et des conseils militaires stratégiques. L'Azerbaïdjan et la Turquie font pression en faveur d’une plus grande régionalisation politique dans le Caucase du Sud et cherchent à exclure les acteurs extérieurs.Alors même que Bakou critique la coopération de l'Arménie avec la France, elle affiche son alliance stratégique avec la Turquie, qui repose sur le concept "une nation, deux États".L'Azerbaïdjan s’en prend davantage à la France qu'à l'UE ou aux États-Unis, car la France est le seul pays occidental à fournir du matériel militaire à l'Arménie. L'UE et les États-Unis n'apportent que des instruments de "soft security", soit des outils politiques, économiques et financiers mais non proprement militaires. Comme l'a fait remarquer l'analyste politique azerbaïdjanais Altay Goyushov, le soutien français irrite Aliyev, car il renforce l'Arménie et sape l’espoir de dicter ses conditions à Erevan, militairement faible.Toutefois, contrairement aux affirmations de l'Azerbaïdjan et de la Russie, Paris ne cherche pas à rendre l'Arménie dépendante de la France, mais plutôt à aider l'Arménie à réduire sa dépendance à l'égard de la Russie pour renforcer sa souveraineté. Comme l'a fait remarquer l'ambassadeur de France en Arménie, Olivier Decottignies, la coopération franco-arménienne en matière de défense ne se réduit pas aux achats militaires : elle inclut la formation, en particulier pour les officiers supérieurs.Aliyev a toujours présenté l'Arménie comme un proxy de la Russie destiné à obtenir le soutien occidental dans le conflit avec l'Azerbaïdjan. Cependant, dans des déclarations récentes, il a laissé entendre que le rapprochement de l'Arménie avec l'UE et l'OTAN constituait une "menace directe" pour l'Azerbaïdjan, relayant ainsi le discours de la Russie sur l'Ukraine et témoignant de son rapprochement avec les vues de Moscou. La Russie n’a non seulement pas cherché à retenir l'Azerbaïdjan, ni par des moyens politiques ni par des moyens militaires, mais elle a également appuyé les discours de Bakou, y compris au Conseil de sécurité des Nations unies. Bakou s’offusque que la France ait dénoncé les violations du droit international par l'Azerbaïdjan, notamment l'agression militaire, les blocus et le nettoyage ethnique. En s'en prenant à la France - membre de l'OTAN, de l'UE et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies - l'Azerbaïdjan défie non seulement une puissance occidentale clé, mais remet aussi en cause la légitimité du Conseil de sécurité des Nations unies.Relayer un récit anticolonialL'Azerbaïdjan a assuré la présidence du Mouvement des pays non alignés (MNA) de 2019 à 2023. D'après l'Azerbaijan International Relations Center, un groupe de réflexion parrainé par le gouvernement et dirigé par l'ancien ambassadeur de carrière azerbaïdjanais Farid Shafiyev, dont la propagande anti-arménienne et anti-française est bien connue, les membres du Mouvement des pays non alignés ont bloqué "une déclaration anti-Azerbaïdjan" au Conseil de sécurité des Nations unies en 2020 puis en 2022. La dernière année du mandat de l'Azerbaïdjan au MNA a coïncidé avec la dernière étape de sa campagne de nettoyage ethnique contre les Arméniens du Haut-Karabakh, commencé avec la guerre de septembre-novembre 2020. La réunion ministérielle du MNA de 2023 a été convoquée à Bakou en juillet, lorsque le blocus des Arméniens du Haut-Karabakh s’est complètement fermé, provoquant une famine. Le discours de bienvenue d’lham Aliyev, lors de l'ouverture de la réunion ministérielle du MNA, était fortement anti-arménien, mais comprenait aussi plus de 20 références anti-françaises. Il a notamment accusé Paris d’être responsable des guerres dans le Caucase et d’être à l’origine de "la plupart des crimes sanglants qui ont entaché l'histoire coloniale".En marge de la réunion ministérielle du MNA, le Centre AIR (Center of Analysis of International Relations, établi à Bakou) a organisé une table ronde intitulée "Vers l'élimination complète du colonialisme". La déclaration qui en a résulté fonde le Baku Initiative Group (BIG), destiné à soutenir "la lutte contre le colonialisme et le néocolonialisme". Le slogan du BIG est "Union, liberté et indépendance", et son objectif déclaré est de "soutenir les luttes pour la liberté et l'indépendance de ceux qui vivent sous la domination coloniale et néocoloniale, en s'engageant à la solidarité et à leur fournir une assistance pratique". Lors d’un Forum des médias organisé par l'Azerbaïdjan à Choucha en juillet 2024, M. Aliyev a exprimé publiquement son respect pour le travail du BIG, prouvant ainsi la nature étatique de l’organisation qui est devenue l’instrument de la guerre de l'information menée par l'Azerbaïdjan principalement contre la France. Il opère en manipulant les ressentiments anticoloniaux des représentants des territoires français d'outre-mer, de Mayotte et d’Afrique francophone et soutient les indépendantistes corses. Le BIG discute aussi fréquemment de l'héritage du colonialisme français et relaie les accusation de "génocide" en Algérie. Il cible également d'autres États occidentaux ou les institutions européennes : depuis l'été 2024, Bakou a étendu sa guerre de l'information à la "domination coloniale néerlandaise", après que le Parlement des Pays-Bas a adopté deux résolutions demandant instamment à l'Azerbaïdjan de préserver le patrimoine culturel arménien au Haut-Karabakh et de libérer les prisonniers arméniens. L'Azerbaïdjan n'a en revanche pas critiqué le Royaume-Uni, avec lequel il entretient un partenariat étroit, et n’évoque jamais ni son héritage colonial et ni les aspirations à l'autodétermination de l'Écosse et de l'Irlande du Nord. Il ne mentionne pas plus les territoires d'outre-mer des États-Unis, du Royaume-Uni, du Danemark ou d'autres territoires et régions d'Europe.Outre le Baku Initiative Group, l'Azerbaïdjan a également recours à d'autres ONG parrainées par l'État pour articuler des récits anti-français. La déclaration de janvier 2024 de la Western Azerbaijan Community agglomère ainsi une multitude de récits anti-français : elle a intimé au Sénat français de répondre aux opérations menées par l'armée française au Niger, au Mali et au Burkina Faso".Outre le Baku Initiative Group, l'Azerbaïdjan a également recours à d'autres ONG parrainées par l'État pour articuler des récits anti-français.Lors des manifestations en Nouvelle-Calédonie en 2024, Rusif Huseynov, directeur du Centre Topchubashov, financé par le gouvernement, a promis d’informer régulièrement sur le "pivot" de l'Azerbaïdjan vers le Pacifique.L’Europe ne reste pas sans rien dire. En octobre 2024, le Parlement européen a adopté une résolution sur la situation en Azerbaïdjan, la violation des droits de l'homme et du droit international et les relations avec l'Arménie qui condamne le soutien de l'Azerbaïdjan aux "groupes irrédentistes et aux opérations de désinformation visant la France" et qui "déplore la campagne de dénigrement visant à nuire à la réputation de la France". Le Parlement azerbaïdjanais a répliqué en affirmant que la résolution est "fondée sur les fausses déclarations de la France, de l'Arménie et du lobby arménien". Il a également accusé le Parlement européen de "pensée chauvine, raciste et coloniale" et a affirmé qu'"en qualifiant les peuples qui luttent contre le colonialisme de groupes irrédentistes, les parlementaires européens justifient les politiques coloniales de la France, et que la politique européenne s’en rend complice".L'Azerbaïdjan a profité de sa qualité d'hôte de la 29e session de la Conférence des Parties (COP29) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques en novembre 2024 pour exprimer des discours anti-français virulents et monter le Sud contre la France. Lors de la cérémonie d’inauguration de la COP29, le président Aliyev a utilisé une rhétorique anti-européenne et anti-occidentale, qu'il a encore intensifiée le lendemain dans une adresse aux petits États insulaires en développement, accusant la France de "domination coloniale" dans ses territoires d'outre-mer du Pacifique, de Corse et à Mayotte, où elle se rendrait coupable de crimes, de "graves dégradations environnementales" ou d’autres "violations des droits de l'homme" en une référence directe à la gestion des émeutes en Nouvelle-Calédonie. Aliyev a également reproché aux institutions européennes leur complicité avec la France par "hypocrisie politique" et a déclaré qu'elles partageaient avec le gouvernement du président Macron "la responsabilité du meurtre de personnes innocentes". Il a également demandé que "tous les prisonniers politiques en France soient immédiatement libérés", en réponse aux demandes répétées, émanant d'acteurs internationaux, dont la France, pour que l'Azerbaïdjan libère ses centaines de prisonniers politiques.Emmanuel Macron n'avait déjà pas prévu de se rendre au sommet de Bakou mais après cette prise de parole, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a annulé son voyage à Bakou, qualifiant les propos d'Aliyev d'"inacceptables" et d'"injustifiables". À sa suite, les dirigeants des entreprises françaises se sont rangés à l'avis de sécurité et ne se sont pas rendus au sommet. Malgré cet incident diplomatique, les négociateurs français ton maintenu leur participation à la conférence. Aliyev n’a eu de cesse d’affirmer que la France cherchait à limiter l'influence de l'Azerbaïdjan et tentait de saboter le succès du pays hôte de la COP29. Il a également affirmé que la France avait échoué en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte, en Corse, dans les pays africains et au Liban, déclarant que les événements dans ces régions révélaient un "visage dégoûtant du colonialisme français".Soutien à la "décolonisation" des territoires français d'outre-mer, de Mayotte et de la CorseAu début de sa guerre de l'information contre la France en 2023-2024, BIG a commencé à organiser des conférences sur la "décolonisation" des territoires français d'outre-mer au siège de l'ONU à New York, au Bureau des Nations unies à Genève, à Istanbul et à Bakou, avec la participation de militants indépendantistes de Nouvelle-Calédonie, de Guyane, de Polynésie française, de Martinique et de Guadeloupe. Des communiqués de presse officiels sur ces événements ont été diffusés dans les médias azerbaïdjanais et les médias sociaux avec les tags #décolonisation, #politiquefrançaise, #politiquecolonialefrançaise et #colonialismefrançais.Des communiqués de presse officiels sur ces événements ont été diffusés dans les médias azerbaïdjanais et les médias sociaux avec les tags #décolonisation, #politiquefrançaise, #politiquecolonialefrançaise et #colonialismefrançais.BIG a également financé la visite de délégations des parlements locaux des territoires français à Bakou. Des membres éminents du Congrès calédonien se sont rendus à Bakou, où ils ont été reçus par le parlement azerbaïdjanais, ont signé un mémorandum visant à établir des relations bilatérales et ont remercié Bakou pour son soutien sur la "voie de l'indépendance" en 2024. Le président du Congrès, Roch Wamytan, s’est défendu de toute allégations d'ingérence étrangère dans les affaires intérieures de la Franceau prétexte que l'Azerbaïdjan "défend le droit international" et aide à la construction d'un réseau international pour la Nouvelle-Calédonie.En décembre 2023, deux journalistes de l'agence de presse publique azerbaïdjanaise AZERTAC se sont vu refuser l'entrée en Nouvelle-Calédonie pour couvrir un rassemblement à l’occasion de la visite du ministre français de la Défense Sébastien Lecornu, au motif qu’ils adoptaient un "angle anti-France". AZERTAC a dénoncé dans ce refus une restriction de la liberté de parole et d'expression. Lors des rassemblements en Nouvelle-Calédonie en mars 2024, des drapeaux azerbaïdjanais figuraient sur la tribune des orateurs. Les manifestants portaient également des tee-shirts avec des slogans anticoloniaux et le logo du Baku Initiative Group (BIG). Le BIG a accueilli favorablement les mouvements de protestation dans les territoires français d'outre-mer, mais son directeur exécutif, Abbas Abbasov, a affirmé que les manifestants portaient leurs t-shirts et leurs logos de leur propre initiative.Une fiche d'information de VIGINUM a fait état d'une campagne de désinformation coordonnée et généralisée de l'Azerbaïdjan visant la Nouvelle-Calédonie. En avril 2024, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a condamné une "ingérence extrêmement nuisible" face à la commission des lois de l'Assemblée nationale. Dans une interview télévisée, il a confirmé que certains des dirigeants indépendantistes de Nouvelle-Calédonie étaient en lien avec l'Azerbaïdjan. Un rapport de décembre 2024 de Viginum a toutefois conclu que la campagne n'avait pas réussi à obtenir la visibilité et l'influence escomptées. Le ministère des Affaires étrangères azerbaïdjanais a rejeté les accusations d'ingérence de l'Azerbaïdjan. En mai 2024, face à la gravité des émeutes, des pertes humaines et des pillages, l'état d'urgence a été déclaré en Nouvelle-Calédonie. Bakou a accusé la France de répression à l’encontre de "la quête de la Nouvelle-Calédonie pour l'indépendance et l'autosuffisance".En janvier 2025, BIG a soutenu la formation du "Congrès du Front international pour la décolonisation" en Kanaky, qui rassemble les mouvements indépendantistes des territoires français d'outre-mer et arbore le drapeau de l'Azerbaïdjan. Le ministre des Outre-mer Manuel Valls, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot et de nombreux parlementaires ont condamné cette ingérence de l'Azerbaïdjan mais M. Abbasov a fait valoir que la décolonisation, la justice historique et les droits de l'homme étaient des sujets qui transcendaient les frontières nationales et a exhorté les organisations internationales à soutenir la mission de BIG.L'ingérence de l'Azerbaïdjan ne concerne pas seulement la Nouvelle-Calédonie. Certains parlementaires des Antilles et de Guyane se sont rendus à Bakou à l'invitation du BIG. En mai 2024, le mouvement indépendantiste polynésien, Tavini Huiraatira, s'est rendu à Bakou et a signé un protocole d'accord avec le parlement azerbaïdjanais en marge de la conférence "Droit de la Polynésie française à la décolonisation". Les parties ont discuté de projets médiatiques communs et d'activités de "renforcement des capacités" à l'Agence de développement des médias d'Azerbaïdjan. Le député radical azerbaïdjanais Tural Ganjali, qui s’est illustré par une glorification du nettoyage ethnique au Haut-Karabakh, a tweeté que la Polynésie française, comme tous les peuples autochtones, avait le droit de déterminer son propre avenir et de "ne pas dépendre d'une capitale situé à 16 000 kilomètres". En janvier 2025, le BIG a également organisé une conférence à Bakou consacrée à "l'indépendance de La Réunion : réévaluer l'héritage colonial de la France et la voie vers la souveraineté".Nicolas Metzdorf, député de Nouvelle-Calédonie, a présenté le 12 février 2025 un projet de résolution de la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale française appelant le Parlement européen à condamner l'ingérence étrangère de l'Azerbaïdjan et du Groupe d'initiative de Bakou en Nouvelle-Calédonie et dans les territoires français d'outre-mer.Mayotte est devenue une nouvelle cible privilégiée. En septembre 2024, le BIG a organisé une conférence sur la décolonisation de Mayotte, avec la participation active de représentants des Comores. Après avoir confirmé trois fois, par référendums, son appartenance à la France, Mayotte a choisi en 2009 de devenir le 101è "département" de France. L'Azerbaïdjan soutient la revendication de souveraineté des Comores sur Mayotte et tiré profit de l’ouragan Chido dont elle a accusé la France d’être responsable. Bakou n’avait pourtant mis en cause la responsabilité ni de l’Espagne (octobre 2024) ni des États-Unis (août 2024), dans des situations parallèles.Bakou a également créé en octobre 2023 un groupe de soutien au peuple corse au sein de son parlement, publiant un communiqué de presse en février 2024 où l'Azerbaïdjan dénonce "la dictature Macron". En novembre 2020, l'Assemblée de Corse avait pourtant adopté une résolution visant à reconnaître l'indépendance de la République d'Artsakh (nom arménien du Haut-Karabakh) et condamnant l'Azerbaïdjan.L'Azerbaïdjan soutient la revendication de souveraineté des Comores sur Mayotte et tiré profit de l’ouragan Chido dont elle a accusé la France d’être responsable.Représailles ou impunité ? Entre affaiblissement de la France et extension de son influenceLes propagandistes azerbaïdjanais relaient sans cesse les visites de parlementaires français au Haut-Karabakh avant la guerre de 2020 et les résolutions de l'Assemblée nationale et du Sénat français de 2020 et 2024 qui soutiennent les Arméniens du Haut-Karabakh. Aliyev a même suggéré, sur un ton moqueur, que les Arméniens du Karabakh établissent leur république à Marseille, où résident de nombreux Arméniens. Lors du Forum des médias de Chouchi en juillet 2024, Aliyev a nié le lien entre l'engagement de l'Azerbaïdjan auprès des mouvements anticoloniaux et le soutien de la France à l'Arménie.Manipulation des récits "néocolonialistes" en Afrique subsaharienneLa guerre de l'information menée par l'Azerbaïdjan contre la France s’est progressivement étendue aux pays africains. Le 3 octobre 2024, le BIG a organisé à Bakou une "Conférence internationale sur la politique néocolonialiste de la France en Afrique", son premier événement consacré à l'Afrique. Selon BIG, 11 pays africains, ainsi que Mayotte, ont participé à l'événement mais il semble que seuls 20 participants aient été présents. Au cours de la conférence, Vasif Huseynov, un expert en géopolitique du Centre AIR a cité Mustafa Kemal Atatürk, "la souveraineté ne se donne pas, elle se prend", proposant Atatürk en exemple à l’Afrique. Cette conférence faisait office de contre-Sommet de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), dont la 19e édition se tenait à Villers-Cotterêts les 4 et 5 octobre. L'Assemblée parlementaire de la Francophonie a condamné les actions de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabakh et exprimé son soutien à l'indépendance et à la souveraineté de l'Arménie. Le ministère des Affaires étrangères de l'Azerbaïdjan a rapidement dénoncé cette résolution, comme l’a relayé le BIG.Aliyev a également reçu l'ambassadeur du Burkina Faso pour lui remettre ses lettres de créance, le 5 août 2024 : une grande partie de la réunion s’est fait l’écho des sentiments anti-français.D’un discours anti-français à l’autre, de Bakou à MoscouLes récits de l'Azerbaïdjan sur l'influence française en Afrique ressemblent à ceux utilisés par la Russie, la Chine et la Turquie pour dénoncer la domination occidentale sur le Sud. Le "marchandage" liant toute aide économique ou sécuritaire aux droits de l'homme est assimilé à une ingérence, tandis que la Russie, la Chine et la Turquie ne posent pas de telles conditions.La Russie abonde largement à ces récits, affirmant que la France maintenait sa présence en Afrique pour exploiter les ressources naturelles et jouant un rôle important dans l'agitation de l'opinion publique anti-française dans la région, en particulier au Mali, au Niger et au Burkina Faso. En mars 2024, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a déclaré que la France, après avoir échoué à maintenir la paix dans les pays africains, se rabattait sur le Caucase du Sud, animée des intérêts géopolitiques". L'Azerbaïdjan s'efforce également d'accroître son influence en Afrique et de s'assurer les votes des nations africaines, qui sont largement représentées au sein des organes des Nations unies.Autres motifs, autres récitsD’autres thèmes irriguent les discours anti-français : Aliyev a cherché à se positionner comme un défenseur des valeurs traditionnelles en attaquant le libéralisme occidental. Dans son interview de décembre 2024 à la télévision d'État russe, il a accusé Macron d’ingérence en Géorgie et s’est présenté comme un défenseur de la souveraineté et du patrimoine culturel. Il a également salué l'engagement du président américain Donald Trump en faveur des valeurs familiales et morales traditionnelles. Dans le même ordre d'idées, Aliyev a qualifié l'organisation des Jeux olympiques par la France de "honte" et a rappelé que le pape François avait évité d'assister à la cérémonie de réouverture de Notre-Dame pour se rendre plutôt en Corse.La stratégie de rupture de l’AzerbaidjanL'Azerbaïdjan cherche à faire oublier ses responsabilités concernant le blocus imposé aux Arméniens, ses offensives militaires et le nettoyage ethnique des Arméniens au Haut-Karabakh, ainsi que l'occupation de plus de 200 kilomètres carrés de ses zones frontalières. En présentant l’Arménie comme diplomatiquement isolée et sans soutien, incapable de défendre ses frontières, Bakou cherche à dissuader toute intervention internationale, à légitimer ses exigences expansionnistes et à imposer son hégémonie régionale.En présentant l’Arménie comme diplomatiquement isolée et sans soutien, incapable de défendre ses frontières, Bakou cherche à dissuader toute intervention internationale, à légitimer ses exigences expansionnistes et à imposer son hégémonie régionale.En essayant de neutraliser les Français, le soutien de l'UE et des États-Unis à l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Russie tentent également d'inverser le retournement d’alliance stratégique de l’Arménie en matière de politique étrangère, qui s’est pour l’instant traduit par son aspiration à l'adhésion à l'UE et la conclusion d’un partenariat stratégique avec les États-Unis. En alimentant les mouvements anti-français dans les territoires français d'outre-mer et en Afrique subsaharienne, l'Azerbaïdjan cherche à intimider la France et à la dissuader d’intervenir en faveur de l’Arménie. L'Azerbaïdjan se positionne en chantre de l’anti-colonialisme.Bakou tente aussi d'accroître son influence en Afrique pour obtenir des votes et des alliances avec les nations africaines et contrebalancer la non-participation de l'Azerbaïdjan à l'Organisation internationale de la Francophonie.Enfin, l'Azerbaïdjan devient de plus en plus ambitieux dans sa volonté de se positionner comme une puissance moyenne et un acteur régional et mondial indépendant. À l'instar de la Russie, de la Turquie et d'autres régimes autocratiques illibéraux, il invoque de manière sélective les principes de souveraineté et de non-ingérence et conteste le droit international, les institutions multilatérales, les mécanismes de médiation et l'ordre mondial fondé sur des règles pour éviter tout contrôle international tout en poursuivant ses ambitions géopolitiques.Copyright image : Sergei SAVOSTYANOV / POOL / AFP Vladimir Poutine et Ilham Aliyev à Astana, le 3 juillet 2024.ImprimerPARTAGERcontenus associés 15/05/2024 [Le monde vu d'ailleurs] - Le Sud Caucase face à la Russie : quête d’équili... Bernard Chappedelaine