AccueilExpressions par MontaigneAllemagne : la difficile entrée en fonction de la nouvelle coalitionLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Europe07/05/2025ImprimerPARTAGERAllemagne : la difficile entrée en fonction de la nouvelle coalitionAuteur Bernard Chappedelaine Ancien conseiller des Affaires étrangères Alors qu’elle entend montrer que "l’Allemagne est de retour", la coalition dirigée par Friedrich Merz a subi le 6 mai un revers inédit lors de son investiture en échouant à mobiliser pleinement la majorité dont elle dispose au Bundestag au premier tour de scrutin. Dette, immigration, montée de l’AFD : autant de sujets qui fâchent. L’érosion de la base politique des grands "partis de rassemblement" que sont la CDU-CSU et le SPD, mais aussi les choix effectués par leurs dirigeants avant même leur entrée en fonctions, peuvent expliquer cette situation inédite.Pas d’état de grâce pour le gouvernement MerzPour la première fois dans l’histoire politique de l’Allemagne d’après-guerre, un Chancelier n’a pas été élu au premier tour de scrutin par le Bundestag. Lors de ce vote secret, 6 voix ont manqué à la "grande coalition" formée par la CDU-CSU et le SPD - qui dispose de 328 sièges sur 630 à la Chambre basse - pour atteindre la majorité et confirmer Friedrich Merz à la tête du nouveau gouvernement. 18 députés membres des partis au pouvoir ont choisi de ne pas soutenir leur candidat, alors que le contrat de coalition, signé la veille du vote au Parlement, avait été largement adopté par les différentes composantes de la coalition et, dans le cas du SPD, été approuvé par un vote des militants. Au second tour de scrutin, organisé quelques heures plus tard, la coalition a fait quasiment le plein de ses voix (325) et Friedrich Merz a été nommé peu après par le Président Steinmeier. Les dirigeants de la coalition ont cherché à relativiser ce revers sans précédent. Friedrich Merz a vu dans son élection une "preuve de confiance" de la part des groupes de la majorité parlementaire, il a jugé "normal" que tous les députés n’aient pas voté en sa faveur, admettant cependant une "petite tache" sur sa coalition. Lors de la cérémonie de passation de pouvoir, le Chancelier a fait l’éloge de son prédécesseur Olaf Scholz, il a salué sa gestion de la pandémie du Covid et sa politique vis-à-vis de l’agression russe en Ukraine (la "Zeitenwende"). Lars Klingbeil (SPD), le nouveau vice-Chancelier et ministre des Finances, s’est refusé à spéculer sur l’identité des députés qui ont fait défection mais a admis que la coalition avait pris "un mauvais départ" et qu’elle devait "regagner la confiance" des électeurs. Markus Söder, ministre-Président de Bavière et président de la CSU, a quant à lui dramatisé la situation, évoquant le spectre de la république de Weimar, qui s’est effondrée, victime des partis extrémistes.18 députés membres des partis au pouvoir ont choisi de ne pas soutenir leur candidat, alors que le contrat de coalition, signé la veille du vote au Parlement, avait été largement adopté."Ce coup bas provenant de ses propres rangs sera ressenti longtemps encore", souligne Berthold Kohler, même s’il est possible que les 18 députés, dont les suffrages ont fait défaut au premier tour, n’aient pas voulu faire échouer l’élection de Friedrich Merz.Alors que le nouveau gouvernement fédéral entendait envoyer au monde un message de stabilité et de fiabilité contrastant avec les désaccords qui ont constamment entravé l’action de la précédente coalition tripartite, dirigée par Olaf Scholz, le dommage causé par ce revers est patent, estime l’éditeur de la FAZ, et de nature à accroître la méfiance entre partenaires de cette coalition, alors que l’Europe a besoin du leadership de l’Allemagne. Dans l’opinion, la nouvelle coalition connaît en effet des débuts laborieux. Selon la dernière enquête d’opinion, réalisée fin avril pour la ZDF, si de nouvelles élections devaient avoir lieu maintenant, le score de la CDU-CSU (27 %) serait inférieur (28,6 %) au résultat obtenu le 23 février, de même que le SPD n’atteindrait que 15 % (16,4 %), tandis que l’AfD progresserait encore (23 %) par rapport à son score historique de février dernier (20,8 %). Les partis qui sont aujourd’hui encore en mesure de former une nouvelle "grande coalition" ne disposeraient plus de majorité au Bundestag. Depuis la création de la RFA en 1949, l’histoire politique de l’Allemagne s’est organisée autour de ces grands "partis de rassemblement" ("Volksparteien") que sont la CDU-CSU et le SPD - il y a 20 ans, ils rassemblaient encore les 2/3 de l’électorat - mais leur base électorale n’a cessé de se réduire, notamment du fait de la montée du parti d’extrême-droite "Alternative für Deutschland" (AfD), créé en 2013. D’après le sondage de la ZDF, 48 % des personnes interrogées se déclarent satisfaites du gouvernement Merz, 37 % étant d’un avis contraire. Les problèmes économiques viennent nettement en tête (45 %) de leurs préoccupations, suivies par les questions sociales (21 %), les sujets liés à l’asile et à l’immigration (12 %), la défense (10 %) et l’enjeu climatique (10 %).Les décisions contestées de la coalition avant même son entrée en fonctionL’arrivée aux affaires de Friedrich Merz ne convainc pas les Allemands, une majorité d’entre eux (56 %) juge même négativement son arrivée à la chancellerie fédérale, tandis que seulement 32 % l’approuvent. Les électeurs sociaux-démocrates (62 %) en particulier sont sceptiques. Tandis que Boris Pistorius (SPD), reconduit à la tête du ministère de la Défense, demeure la personnalité politique la plus appréciée des Allemands, Friedrich Merz est devancé en termes de popularité par Lars Klingbeil (SPD), vice-Chancelier et ministre des Finances : le chef de gouvernement n’occupe que la sixième place et souffre d’un déficit de popularité chez ses compatriotes. Son parcours professionnel dans le secteur privé, notamment à la présidence du fonds d’investissement BlackRock, lui a donné une crédibilité économique, mais plusieurs de ses prises de position ont nui à son image. D’après un sondage publié en avril par l’hebdomadaire Stern, seuls 21 % des Allemands lui font confiance, résultat en baisse de neuf points par rapport à août 2024. Ce déficit de popularité est perceptible notamment dans l’électorat féminin et dans les Länder orientaux. Sa promesse faite en novembre 2018, alors qu’il était candidat à la présidence du parti chrétien-démocrate, de porter à 40 % les résultats électoraux de la CDU-CSU et de diviser par deux le score de l’AfD, est restée lettre morte. Dans les négociations du contrat de coalition et dans la formation de l’équipe gouvernementale, Friedrich Merz se voit aussi reprocher au sein de son parti d’avoir fait trop de concessions à un SPD pourtant affaibli et d’avoir nommé à des postes ministériels des personnalités hors du milieu parlementaire. Quant à Lars Klingbeil, qui apparaît aujourd’hui comme l’homme fort du parti social-démocrate, il est accusé d’avoir marginalisé Saskia Esken, l’autre co-présidente du parti, et écarté la plupart des membres SPD du gouvernement Scholz, puisque seul Boris Pistorius conserve son poste. "Personne chez nous n’a voté avec joie pour Merz", a admis Ralf Stegner, représentant de l’aile gauche du SPD.Friedrich Merz se voit aussi reprocher au sein de son parti d’avoir fait trop de concessions à un SPD pourtant affaibli et d’avoir nommé à des postes ministériels des personnalités hors du milieu parlementaire.Les difficultés de Friedrich Merz et de son gouvernement avant même son investiture tiennent aussi à un paysage politique de plus en plus morcelé et à une montée des partis populistes, tendance globale, mais qui n’épargne plus la démocratie allemande, longtemps présentée comme un pôle de stabilité, et phénomène sans doute nourri par les "grandes coalitions", qui se sont succédé ces derniers temps et qui ont favorisé les partis anti-establishment comme l’AfD.Il est désormais difficile de parler de "grande coalition", estime le professeur Michael Sommer, Friedrich Merz ne doit sa majorité qu’à l’échec des Libéraux du FDP et du parti de Sahra Wagenknecht (BSW) à atteindre le seuil des 5 % des voix, nécessaire pour être représenté au Bundestag. Il s’agit plutôt de l’alliance de deux perdants, qui ont enregistré des résultats très médiocres (le pire de son histoire s’agissant du SPD), alors que l’AfD a doublé son score par rapport au précédent scrutin de 2021. Les partis démocratiques modérés (CDU-CSU, SPD, Grünen, FDP) n’ont quant à eux recueilli, au total, guère plus de 60 % du vote, ce qui contraste avec la montée en puissance de l’AfD, en particulier dans les Länder orientaux, dans lesquels elle mobilise plus d’un tiers des électeurs (34 %) et où elle représente désormais la première force politique, ce qui accentue le clivage entre l’ouest et l’est du pays. Le politologue Albrecht von Lucke redoute que les nouveaux Länder ne deviennent le laboratoire d’une évolution populiste de la vie politique allemande.À ce contexte difficile s’ajoutent, selon les experts allemands, des erreurs politiques de la part des dirigeants de la CDU et du SPD avant même leur entrée en fonction. Le fait que Friedrich Merz ait accepté fin janvier les voix des députés de l’AfD pour faire voter au Bundestag une motion qui exigeait du gouvernement d’Olaf Scholz des mesures plus strictes en matière d'asile et d'immigration s’est avéré un pari risqué qui a nui à son image, dans la mesure où la ligne constante des partis représentés au Bundestag excluait jusque-là toute coopération avec le parti d’extrême-droite au nom de la politique du "cordon sanitaire" ("Brandmauer"). De même, la réforme constitutionnelle adoptée en mars à son initiative par le Bundestag dans son ancienne composition avec le soutien des Verts (la nouvelle coalition ne dispose plus de la majorité qualifiée nécessaire à cette réforme), qui a assoupli le "frein à la dette" et ouvert la voie à un grand programme d’infrastructures, a pu heurter une partie conservatrice de son électorat, car Friedrich Merz, avocat de la discipline budgétaire, s’était montré très strict dans son refus d’un nouvel endettement pendant la campagne électorale. 73 % des personnes interrogées en avril par la ZDF considèrent que Friedrich Merz les a induits en erreur, dont 44 % des électeurs de la CDU-CSU. Pour Albrecht von Lucke, ces différentes initiatives de la part de Friedrich Merz, avant même son entrée en fonctions, sont autant d’ "hypothèques" sur sa coalition. L’endettement sans précédent contracté par Friedrich Merz peut se justifier sur le fond, mais il est contestable dans la forme, même si le tribunal constitutionnel de Karlsruhe n’a pas émis d’objection. Il met à mal l’image traditionnelle de la CDU, économe avec l’argent public, symbolisée par "la ménagère souabe" ("die schwäbische Hausfrau") et constitue aussi une violation de la parole donnée ("Wortbruch") pendant la campagne électorale. Selon ce politologue réputé, ce comportement "met gravement en cause la crédibilité de la CDU et en particulier celle du Chancelier".Ce revers inédit subi au Bundestag intervient dans un contexte difficile pour une Allemagne qui peine à sortir de la récession et qui est en butte à une hostilité déclarée, non seulement de la part de la Russie, mais désormais aussi des États-Unis.Ce revers inédit subi au Bundestag intervient dans un contexte difficile pour une Allemagne qui peine à sortir de la récession et qui est en butte à une hostilité déclarée, non seulement de la part de la Russie, mais désormais aussi des États-Unis, le secrétaire d’État Rubio dénonçant une "tyrannie déguisée" en Allemagne après le classement de l’AfD comme un parti "extrémiste de droite".Nonobstant ce début difficile, Friedrich Merz espère donner une image volontariste de la politique allemande et imprimer un nouvel élan sur la scène européenne, en renouant un partenariat étroit, en particulier avec ses voisins français et polonais auxquels il rend visite au lendemain de son investiture.Copyright image : John MACDOUGALL / AFPImprimerPARTAGER