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02/07/2021

Adolescents et souffrance psychique : l’importance du témoignage 

Trois questions à Victoire Dauxerre

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Adolescents et souffrance psychique : l’importance du témoignage 
 Victoire Dauxerre
Auteure et Comédienne

Précarisés, isolés, en proie à des parcours scolaires ou universitaires chaotiques et à un marché du travail contracté, les jeunes subissent de plein fouet les effets de la crise sanitaire et montrent des signes de grande vulnérabilité psychologique. Depuis plusieurs mois, de nombreuses voix s’élèvent pour alerter sur les effets délétères de la pandémie sur leur santé mentale. À l’heure où les pouvoirs publics multiplient les annonces sur le sujet (Assises de la psychiatrie, chèques-psy…), nous consacrons une série de billets sur les jeunes face à cette "vague psychiatrique".

Les troubles de la conduite alimentaire concernent 10 % de la population et connaissent un pic de fréquence à l’adolescence. En France, près de 600.000 adolescents et jeunes adultes entre 12 et 35 ans présentent une anorexie mentale, une boulimie ou une hyperphagie, dont 90 % de jeunes filles ou jeunes femmes. Victoire Dauxerre, ancienne mannequin et auteure de Jamais assez maigre, témoigne de son expérience et répond aux questions de Johanna Couvreur, cheffe de projet santé mentale, pour défendre une politique active de promotion de la santé mentale dès le plus jeune âge. 

Après la publication de votre ouvrage, vous avez reçu de nombreux témoignages de jeunes, quelles sont les difficultés principales qu'ils rencontrent et comment y font-ils face ? 

Suite à la publication de Jamais assez maigre (Les Arènes), j’ai effectivement ressenti une grande détresse de la part des jeunes. Beaucoup de questions laissées sans réponse. Des messages de détresse, de jeunes filles me suppliant de les aider parce que j’étais "leur dernier recours" et m’indiquant que leur souffrance était telle qu’elles souhaitaient mettre fin à leurs jours. 

Les adolescents ne savent pas où trouver les informations dont ils ont besoin concernant leur santé mentale ni à qui s’adresser pour parler de leurs angoisses, de leur sexualité, de leurs troubles du comportement alimentaire. Parce qu’une discussion qui débute sur l’apparence du corps, sur la peur du regard de l’autre, termine toujours sur la sexualité et la peur d’être jugé. L’adolescence est une période de changement et de grande remise en question. J’ai parlé sans tabou de toutes les difficultés que j’ai pu traverser et beaucoup de jeunes, malheureusement, s’y retrouvent. Je pense qu’ils se confient à moi parce qu’ils savent que je ne vais pas les juger et que le jugement est justement la principale crainte à cet âge là. 

Dans un groupe de 5 personnes, il y en aura toujours un ou une de concerné par les troubles psychiques. C’est entre 15 et 25 ans qu’ils se déclarent majoritairement. 1 personne sur 4 en souffre chaque année en France. Les addictions, les tentatives de suicide, les troubles du comportement alimentaire ne font qu’augmenter depuis la crise sanitaire (voir les résultats de l’étude Coviprev conduite par Santé Publique France). On parle aujourd’hui d’anorexie infantile. Mais la stigmatisation est si forte que les jeunes n’en parlent pas à leur entourage. Parce que nous avons encore cette croyance terrible en France qu’il s’agit d’une faiblesse ou d’un choix. Que souffrir est honteux. Cette stigmatisation des troubles psychiques mène à l’isolement qui renforce alors les troubles et qui empêche les jeunes d’appeler à l’aide.

C’est parce qu’ils sont mal informés et qu’ils ne savent pas vers qui se tourner que les jeunes s’isolent dans leur souffrance.

La psychiatrie fait peur. On imagine un tueur en série attaché sur son lit derrière des barreaux. Cette image étant renforcée par les films et les médias. On entend dans les cours de récré la maladie mentale utilisée comme une insulte. Les ados traitent quelqu’un qui change d’avis de "bipolaire" ou de "folle". Le mot "schizophrène" est mal employé 6 fois sur 10 dans la presse généraliste. 

C’est parce qu’ils sont mal informés et qu’ils ne savent pas vers qui se tourner que les jeunes s’isolent dans leur souffrance. Ou qu’ils se dirigent vers les réseaux sociaux pour exprimer leur mal-être. Cette libération de la parole est à double tranchant puisqu’elle permet de s’ouvrir, ce qui est une bonne chose, mais pas forcément à la bonne personne, ce qui peut être dangereux. Le pouvoir de l’image est énorme et les instagrameurs n’étant pas médecins ou psychologues, ils ne disposent pas toujours des bons outils pour aider. Leur rôle, et je m’inclus ici, est simplement d’informer sur une expérience unique pour rediriger vers les personnes compétentes. Je reçois d’ailleurs beaucoup de messages de mères ou de frères et sœurs qui s’inquiètent pour un proche en souffrance qui refuse d’aller voir un médecin. En raison du déni bien sûr, mais aussi parce que la confiance a été rompue avec les psychiatres, parce que certains jeunes pensent que les médecins ne vont pas les comprendre. 

Concernant les réseaux sociaux, j’ai beau expliquer que toutes les photos de moi mannequin ont été retouchées ou qu’une jeune femme qui poste une photo avec un hamburger ne le mange pas forcément, rien n’y fait. Le pouvoir de l’image est plus fort. Les adolescents se comparent et se jugent en fonction de ce qu’ils voient sur leur écran, ce qui détériore considérablement leur image d'eux-mêmes et leurs rapports aux autres.

Que peut-on envisager pour améliorer la prise en charge et l'accès aux soins des jeunes ? 

La peur vient de la mésinformation. Le rôle des figures de résilience est de briser ces stéréotypes et préjugés qui habillent la santé mentale. Parler ouvertement de nos expériences de santé mentale comme de santé physique est le meilleur moyen d’informer. Nous allons tous voir une gynécologue ou un dentiste, pourquoi pas un psychologue ou un psychiatre? J’ai passé trois mois dans un hôpital psychiatrique et ma plus grande peur était d’en sortir ! Je n’étais pas entourée de tueurs en série mais, au contraire, d’individus d’une extrême bienveillance. Les personnes souffrant de troubles psychiques sont bien plus souvent victimes qu’elles ne sont dangereuses. Informer avec bienveillance et de manière accessible est donc essentiel pour déstigmatiser les troubles psychiques. C’est pourquoi nous avons créé, avec Macha Jauvert, HelloPsycho.fr, le premier site complet d’informations sur la Santé Mentale destiné aux 13-17 ans. J’invite également régulièrement des personnes ayant souffert de troubles psychiques à s’exprimer sur mes réseaux sociaux. De nombreuses autres initiatives existent. C’est en apprenant de quoi il s’agit vraiment qu’on pourra mettre un terme à la psychophobie. 

Les psychiatres ont également un rôle à jouer pour s’adresser aux jeunes différemment. En rendant le discours scientifique moins opaque et en allant chercher les adolescents sur leurs canaux de communication. Pour recréer cette confiance disparue entre la psychiatrie et la jeunesse, il est essentiel de ne pas remettre en question ce qu’ils ressentent mais d’adapter son vocabulaire et d’être à l’écoute de leurs interrogations et de leurs besoins. Pour m’être entendue dire que je faisais une crise d’adolescence lorsque j’ai tenté de me suicider à 19 ans, je comprends que certains jeunes préfèrent ne pas se tourner vers des médecins qui tiennent ce genre de discours. 

La peur vient de la mésinformation. Le rôle des figures de résilience est de briser ces stéréotypes et préjugés qui habillent la santé mentale.

De plus, la disparité de l’accès aux soins est importante en France. Selon notre zone géographique, notre environnement socio-économique, notre sexe mais aussi notre couleur de peau, nous n’avons pas accès à la même prise en charge. Encore une fois, aucune souffrance ne devrait être sous-évaluée. Un retard de diagnostic entraîne de nombreuses autres complications psychologiques, physiques et sociales. Aujourd’hui, l’accès à un psychologue de ville n’est pas pris en charge par l’assurance maladie : leur remboursement est une première étape indispensable pour un meilleur accès aux soins. Ce sont actuellement les antidépresseurs qui sont remboursés, et majoritairement prescrits par les généralistes qui se retrouvent alors débordés. Nous pourrions également envisager une formation du personnel de l’Éducation Nationale à la prévention des troubles psychiques. Ainsi que le renforcement ou la généralisation de cours, dès le plus jeune âge, sur la Santé Mentale, le bien-être émotionnel, le consentement, la sexualité mais aussi des informations claires et objectives sur les réseaux sociaux qui font maintenant partie intégrante de la vie des adolescents. 

Quelles bonnes pratiques ou expériences internationales peuvent nous inspirer ? 

Au Danemark, dès l’école primaire, il est demandé aux élèves comment ils se sentent chaque matin sur une échelle de 1 à 10. Puis, les enfants se questionnent tous ensemble sur la manière d’aider ceux qui se situent en dessous de 5. Cette introduction, qui permet de cultiver son empathie tout en acceptant nos différences, est suivie par une méditation. Il n’y a pas de frontière entre le normal et le pathologique. Nous pouvons tous, à un moment de notre vie, être concernés par un trouble psychique. Le handicap invisible est actuellement la première cause de handicap dans le monde selon l’OMS avec 300 millions de personnes qui souffrent de dépression. Ce ne sont pas des maladies incurables mais pourquoi ne pas tenter de les prévenir en instaurant un travail sur nos émotions comme dans ces classes danoises de mindfulness? Ou en s’inspirant de la Suisse qui implémente des programmes de détection des troubles du comportement alimentaire afin de repérer les enfants en difficulté pour les diriger vers des psychologues. 

Au Royaume-Uni, des campagnes publicitaires envahissent régulièrement les transports en commun pour parler ouvertement de Santé mentale: "Soyez bienveillants, chacun son rythme", "Tous les handicaps ne sont pas visibles", "C’est okay de ne pas aller bien". Les ministres et personnalités s’expriment publiquement sur leurs difficultés psychiques à l’image d’Alison McGovern ou de Megan Markle. Tout comme aux États-Unis ou la Santé Mentale n’est absolument pas tabou dans la pop culture. Cette déstigmatisation des troubles psychiques permet aux jeunes d’accepter leur humanité en suivant l’exemple des personnes qu’ils admirent, la réussite n’étant alors pas antinomique de faillibilité. 

Enfin, au Canada, la prise en charge des troubles psychiques est holistique, ouverte autant à la e-santé (comme dans le cas des troubles des conduites alimentaires) qu’aux thérapies par l’art, le théâtre, la danse, le chant… La théorie et la culture médicales françaises sont très riches mais c’est personnellement en me reconnectant à mon corps et non en restant coincée dans ma tête que j’ai pu guérir! Je pense que nous avons beaucoup à apprendre des méthodes anglo-saxonnes.

 

 

Copyright : GABRIEL BOUYS / AFP

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