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06/03/2012

Paritarisme : un accord refondateur ?

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Paritarisme : un accord refondateur ?
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

Par Gérard Adam, professeur émérite au CNAM, président du groupe de travail de l’Institut Montaigne sur le dialogue social

L'accord national interprofessionnel sur la modernisation du paritarisme de gestion, conclu le 17 février dernier, traduit la volonté des partenaires sociaux de renforcer l’encadrement et la transparence du paritarisme. Mais la véritable refondation du paritarisme ne pourra se faire sans répondre aux trois questions qui sont au cœur du modèle social français : la capacité des acteurs à reconnaitre la nécessité de la cogestion ; à ouvrir la question des missions d’intérêt général et enfin à proposer des initiatives convaincantes en sortant des logiques de compromis.

Le paritarisme remis en cause

Le paritarisme revient de loin. Au cours des dernières années, les pouvoirs publics lui ont imposé une cure sévère d'amaigrissement visant à réduire sa place dans le paysage social français et à utiliser ses ressources – donc les cotisations des salariés et des entreprises – au profit des politiques publiques de l'emploi, de la formation et du logement. Tout récemment, se sont ajoutées les observations critiques du rapport Perruchot sur le "contenu parfois flou" des instances paritaires ouvrant la voie à de "possibles dérives", ainsi que la remise en cause des corps intermédiaires par le président de la République, avec l'éventualité d'un référendum dans un des domaines majeurs du paritarisme: la formation professionnelle.

Une volonté de transparence ?

L'accord national interprofessionnel qui a été finalisé le 17 février dernier est donc particulièrement opportun pour mettre un terme à ces multiples attaques. En affirmant avec force la nécessité "d'une gestion irréprochable et transparente", notamment en ce qui concerne le financement, le texte reconnaît implicitement qu'il n'en a pas été toujours ainsi dans le passé. De même, l'accent mis sur la mesure indispensable de "l'efficacité du service rendu" et sur la nécessité de "mandataires qualifiés et compétents" poursuit un double objectif de correction des pratiques actuelles de gestion :
- améliorer un professionnalisme qui faisait parfois défaut ;
- renforcer le contrôle des organisations syndicales et patronales sur des technostructures insuffisamment encadrées.

L’essentiel reste encore à faire

Cet accord suffira-t-il pour refonder le paritarisme ? En partie seulement, car l'essentiel reste à faire: ouvrir un débat de fond sur les trois questions qui sont au coeur de cette spécificité du modèle social français :

- L'effet pervers des compromis : le paritarisme a perduré jusqu'à présent grâce a sa logique d'accords a minima. Les conséquences d'une disparition éventuelle des institutions paritaires, en cas de désaccords insurmontables sur le renouvellement des accords les régissant, étaient telles que, finalement, des arrangements ont toujours été trouvés, mais au prix parfois de l'immobilisme social. Cette stratégie d'attentisme ne condamne-t-elle pas à terme des institutions sociales qui doivent précisément participer à l'élaboration et à la mise en oeuvre des réformes indispensables pour faire face à une crise économique et sociale sans précédent? Autrement dit, en l’absence d'une vision hardie de l'avenir et d'initiatives convaincantes au risque même de l'impopularité, les institutions risquent de ne pas survivre, faute d'efficacité. L'État n'aurait plus qu'à s'afficher comme le seul vrai réformateur porteur d'avenir et à se substituer aux partenaires sociaux.

- La logique de l'intérêt général : le paritarisme vit une contradiction de plus en plus difficile à cautionner aujourd'hui. Par nature, il repose sur les cotisations des salariés et des entreprises et seuls leurs représentants siègent dans les instances paritaires. Cependant, les prestations et services s'universalisent de plus en plus au profit d'un large cercle de bénéficiaires : chômeurs, retraités, handicapés, jeunes sortant des formations initiales, sans compter l'ensemble de la population pour la sécurité sociale. Les partenaires sociaux mettent d'ailleurs en avant la notion de missions d'intérêt général pour justifier leur financement par les institutions paritaires. Or le faible taux de syndicalisation des salariés (5 à 6 % dans le secteur privé), comme les incertitudes sur la représentativité réelle des organisations patronales, fragilisent la prétention des partenaires sociaux à continuer à bénéficier d'un monopole de gestion dans des instances d'intérêt public reposant d'ailleurs sur l'idée de solidarité. La question se pose d'ailleurs de savoir si, dans un pays moderne où les identités collectives sont complexes et multiples, il n'est pas caricaturalement réducteur d'assimiler la démocratie sociale à la seule représentation des syndicats et du patronat. Il y a là un questionnement majeur pour l'avenir du paritarisme.

- Les incertitudes syndicales et patronales. Du côté syndical, la CGT n'a jamais fait sienne les fondements doctrinaux du paritarisme, c'est-à-dire la reconnaissance de la légitimité patronale et l'acceptation permanente de compromis sociaux, bien loin des affrontements "classe contre classe" et d'un progrès social arraché par les luttes. Pour le patronat, l'idée d'une gestion apaisée des dossiers sociaux est certes séduisante, mais la cogestion, même hors de l'entreprise, est fort éloignée de sa vision des relations sociales. Ainsi, la différence parfois affichée entre un paritarisme d'orientation qui préserve l'autonomie du patronat et un paritarisme de gestion réellement cogestionnaire exprime bien certaines réticences patronales à l'égard d'un partage réel du pouvoir. De plus, dans la mesure où le paritarisme repose sur un principe de mutualisation des charges, la tentation est forte pour certaines professions de refuser le prix de cette forme de socialisation de la vie sociale bien éloignée d'une conception libérale et individualiste de la société.

Pour en savoir plus :

- Lire le rapport de l'Institut Montaigne : Reconstruire le dialogue social, juin 2011

- Consulter la version intégrale du rapport Perruchot (sans les annexes consacrées aux auditions)

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