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09/12/2015

Le compte personnel d’activité : 3 questions à Stéphane Carcillo et Bertrand Martinot

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Le compte personnel d’activité : 3 questions à Stéphane Carcillo et Bertrand Martinot
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En 2017, les salariés auront accès à un "compte personnel d'activité", nouveau dispositif qui regroupera l'ensemble des droits qu'ils auront acquis au cours de leur carrière : formation, pénibilité, chômage... Le CPA sera ouvert à l'ensemble des actifs résidant en France, dès l'âge de 16 ans. Avec le CPA, les droits seront rattachés à la personne, et non plus au contrat de travail.

Présenté comme "la grande réforme sociale du quinquennat", le compte personnel d'activité est actuellement débattu par les partenaires sociaux. Stéphane Carcillo, économiste à l'OCDE, professeur au département d'économie de Sciences Po et Bertrand Martinot, économiste, auteur de plusieurs études pour l'Institut Montaigne, décryptent les enjeux du débat.

Quels objectifs pour un "compte personnel d’activité" ?

Bertrand Martinot : A ce jour, le CPA ne correspond pas à une demande sociale clairement exprimée, c’est avant tout le résultat de réflexions un peu en vase clos. Donc il y a un risque que cet objet ne soit pas bien identifié et que les salariés ne se l’approprient pas. N’oublions jamais que la priorité de nos concitoyens aujourd’hui, c’est l’emploi, encore et toujours l’emploi !

En revanche, il y a de toute évidence des attentes fortes pour davantage de sécurité professionnelle, c’est-à-dire pour être aidé à rebondir en cas de chômage ou de risque de chômage. Donc, pour moi, peu importe le design du CPA, ce qui compte c’est qu’il permette de mettre le paquet sur l’accompagnement vers le retour à l’emploi et la reconversion professionnelle des salariés les plus fragiles et des chômeurs, dans un contexte où les besoins de mobilité professionnelles ne feront que s’accroître. Et c’est aussi que le service public de l’emploi soit plus efficace pour ces publics.

Enfin, le CPA doit être un moyen de faciliter les parcours professionnels de tous les travailleurs, qu’ils soient salariés ou indépendants et les parcours hybrides. Nous devons absolument faciliter les passages d’un statut à un autre. Beaucoup a déjà été fait en matière de protection sociale. Si le CPA pouvait couvrir diverses formes d’activité professionnelle et non pas seulement le salariat, ce serait une grande avancée.

Stéphane Carcillo : L’ambition première du CPA devrait être de sécuriser les salariés et les chômeurs dans leur trajectoire professionnelle, en répertoriant l’ensemble des droits et options dont ils bénéficient. Il existe aujourd’hui un tel empilement de droits liés à l’activité professionnelle que beaucoup de salariés ignorent l’existence même de ces droits, les enjeux et les montants qui leur sont affiliés. Le CPA pourrait ainsi donner de la visibilité et de la lisibilité à l’ensemble de ces droits, de façon individualisée.

C’est une très bonne chose que le CPA soit universel et disponible pour tous. Mais la généralisation du dispositif ne doit pas pour autant empêcher le ciblage de certaines populations qui connaissent plus de difficultés sur le marché de l’emploi. Il faut ainsi distinguer les droits assurantiels, contributifs, comme l’assurance chômage par exemple, des droits "non contributifs" qui pourraient être ajustés en fonction des besoins. On peut par exemple imaginer pour les jeunes sans qualification, qui n’ont pas pu abonder leur compte de formation, que le système permette de rééquilibrer les choses avec des abondements spécifiques.

Quelles seraient les conditions de son efficacité ?

Stéphane Carcillo : Avant tout, il faut que le dispositif soit extrêmement clair et individualisé, qu’il répertorie de façon concrète pour chacun les montants disponibles pour chaque droit, sa durée, etc.

Autre enjeu essentiel : il faut que ce compte soit portable d’une entreprise à l’autre, et évidemment qu’il soit portable également pendant les éventuelles périodes de chômage.

Selon moi, le CPA devrait être très large et regrouper des droits significatifs comme l’assurance chômage par exemple. Cela lui donnerait une vraie visibilité.

La principale difficulté aujourd’hui ça n’est pas le compte en lui-même, mais toute la tuyauterie administrative qu’il y aura derrière. Il ne faut pas complexifier l’existant mais le rendre plus lisible. L’enjeu de la structure qui gérera ces comptes est essentiel : il faut un acteur spécialisé, qui sache organiser cette portabilité.

Bertrand Martinot : Je vois trois conditions. La première est qu’il soit simple et flexible d’utilisation. A cet égard, on peut être inquiet d’un dispositif qui serait aussi complexe et rigide que le compte personnel de formation créé depuis le début de cette année, dispositif qui était a priori beaucoup plus simple !

La deuxième est qu’il soit juste et permette de contrer les tendances spontanément inégalitaires et duales du fonctionnement du marché du travail. L’enjeu, ici, sera d’éviter le saupoudrage. Car il ne faut pas rêver : même en recyclant des comptes épargne-temps et des comptes personnels formation, on n’aura pas de quoi à la fois payer des congés sabbatiques aux cadres sups, financer du bénévolat, des pré-retraites, et traiter les vrais problèmes des salariés en difficultés et des chômeurs. L’idée, portée notamment par la CFDT, d’accorder des droits particuliers en termes de formation aux salariés sans qualification ou avec une faible qualification initiale irait également dans le bon sens.

Le CPA répond-il aux enjeux à traiter en priorité sur le marché de l’emploi ?

Bertrand Martinot : Idéalement, le CPA devrait être une opportunité pour traiter simultanément la question des multiples rigidités et aberrations de notre droit du travail, qui privilégie les normes étatiques sur les normes décentralisées au niveau de l’entreprise. Le bon deal me paraît être : plus de souplesse dans les relations de travail d’une part, plus d’assurance de pouvoir rebondir rapidement en cas d’accident de carrière d’autre part. Malheureusement, on ne voit pas poindre de réforme du droit du travail à horizon prévisible, juste un empilement de rapports et de commissions. Si tel était le cas, ce serait une magnifique occasion manquée.

Stéphane Carcillo : Le dispositif va aujourd’hui dans le bon sens : sécurité, portabilité des droits. Mais il ne répond pas à l’enjeu principal de notre marché de l’emploi qui est celui du chômage massif que connaissent les Français. Il manque clairement des contreparties en matière de flexibilité, notamment concernant les licenciements économiques, ainsi qu’une réforme en profondeur de l’assurance chômage.

Aller plus loin :
Réforme de la formation professionnelle: entre avancées, occasions manquées et pari financier, Note, septembre 2014

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