AccueilExpressions par MontaigneHard Brexit : analyse du discours de Theresa May par Ramon FernandezL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.19/01/2017Hard Brexit : analyse du discours de Theresa May par Ramon FernandezImprimerPARTAGERAuteur Institut Montaigne La Cour suprême britannique a rendu le 24 janvier une décision obligeant le gouvernement britannique à obtenir l'aval du Parlement avant d'enclencher la procédure de sortie de l'Union européenne (UE) prévue par l'article 50 du traité sur l'UE. En revanche, l'aval des Parlements d'Ecosse, du Pays de Galles et d'Irlande du Nord n'est pas nécessaire. Cette décision ne devrait pas avoir d'impact sur le calendrier de sortie du Royaume-Uni de l'UE. En effet, la chambre des Communes a déjà voté à une très large majorité une motion dans laquelle elle indique qu'elle ne ferait pas obstacle à la notification de l'article 50. Le scénario d'un "hard brexit" présenté par Theresa May lors de son discours à Lancaster House le 17 janvier devrait donc se poursuivre. Ramon Fernandez, directeur général délégué en charge des finances et de la stratégie du groupe Orange et président de notre groupe de travail sur l'avenir de l'Europe, nous en livre ici son analyse.Dans son discours prononcé mardi 17 janvier à Lancaster House, Theresa May a confirmé sa volonté de sortir complètement de l'Union européenne (UE) et de son marché intérieur. Quelles conséquences a selon vous ce discours sur les négociations qui s'engageront entre l'UE et le Royaume-Uni, ainsi que sur les économies des deux zones ? Theresa May met fin à une période d'incertitudes qui durait depuis le référendum du 23 juin dernier. Le choix exprimé est clairement celui d'un "hard Brexit", où les considérations de politique intérieure prennent le pas sur les considérations économiques.En indiquant son désir de voir son pays quitter le marché intérieur et l'union douanière, Theresay May assume le double risque du retour de barrières tarifaires sur certaines lignes de produits ou de services entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et d'une mise en cause de la place financière de Londres afin de retrouver sa souveraineté et le plein contrôle de ses frontières. C'est un pari très risqué. Dans les faits, beaucoup dépendra du nouvel accord commercial qui sera conclu entre les deux zones, et la négociation d'un tel accord peut prendre très longtemps. Le premier ministre britannique écarte en effet la possibilité de rejoindre l’Espace économique européen et souhaite conclure un traité bilatéral avec l’UE, tout en précisant qu’elle préférerait ne signer "aucun accord" avec l’UE plutôt que d’accepter un accord qui lui serait défavorable. Une telle déclaration laisse à penser que le Royaume-Uni serait prêt à s’en remettre entièrement aux règles de l’OMC pour organiser ses échanges avec l’UE. La sortie du Royaume-Uni du marché intérieur lui permettrait en contrepartie de recouvrer le contrôle de l'entrée et de la circulation des ressortissants européens sur son territoire. Theresa May répond ainsi à la demande d’une majorité des concitoyens de son pays. Le sort des trois millions de citoyens européens résidant actuellement au Royaume-Uni pourrait donc être utilisé par Londres pour peser dans les négociations.Du point de vue de l’impact sur les économies européennes, la période qui s’ouvre devrait être plus difficile pour l’économie britannique, la perspective d’un "soft Brexit" s’éloignant. Les décisions récemment annoncées par quelques grands établissements financiers de réduire leur implantation à Londres en sont une première illustration - HSBC a annoncé ce 18 janvier le déplacement de 1 000 emplois de Londres à Paris. L’impact de la perte du passeport financier ne doit pas être sous-estimé. Ce discours est une étape importante avant l'activation de l'article 50 qui lancera le compte à rebours des négociations. C'est aussi un test de la capacité des 27 à maintenir un front uni dans une période où les propos récents de Donald Trump devraient contribuer à renforcer la cohésion des membres de l'UE. La posture de négociation adoptée envoie un message dur aux partenaires du Royaume-Uni. Theresa May semble vouloir négocier dans le même temps la sortie de l'UE et un nouvel accord commercial. Cette proposition vous paraît-elle acceptable par les Européens ? Un nouvel accord commercial vous parait-il atteignable dans un délai de deux ans ? Theresa May a insisté sur le fait qu'elle souhaite voir son pays sortir de l'Union douanière européenne, condition sine qua non pour que le Royaume-Uni recouvre sa capacité à négocier des accords commerciaux. Theresa May souhaite faire de sa politique commerciale un des outils majeurs de sa politique économique et de sa stratégie.A ce titre, Donald Trump a récemment assuré que la négociation d’un accord commercial avec le Royaume-Uni serait également une des priorités de sa mandature. Il est possible de douter de la capacité du Royaume-Uni à obtenir rapidement de ses principaux partenaires des conditions commerciales comparables à ce qu’avait pu négocier l’Union européenne. En effet, il est beaucoup plus difficile pour une économie de la taille du Royaume-Uni d’obtenir de marchés comme les États-Unis ou le Canada un niveau d’ouverture aussi important que ce que peut obtenir l’UE. Dans toute négociation commerciale, le poids relatif des deux parties a un impact direct sur les concessions qu’ils s’accordent. Dans les négociations commerciales qui s’ouvriront entre l’UE et le Royaume-Uni, l’Union dispose d’un avantage certain du fait de la profondeur plus importante de son marché. Afin de conserver ce rapport de force, il n’est pas dans l’intérêt de l’UE d’anticiper cette négociation par rapport à celle qui va s’ouvrir sur le Brexit. De plus, comme les récentes négociations commerciales européennes l’ont prouvé – notamment celle avec le Canada –, ce type d’accord nécessite au minimum cinq ans pour être négocié, alors que le délai de négociation pour organiser la sortie d’un pays de l’Union prévu par l’article 50 du traité sur l’union européenne n’est que de deux ans. Plusieurs commentateurs ont cru voir une menace de dumping fiscal à l'encontre de l'UE de la part du Royaume-Uni ? Une telle politique économique vous paraît-elle possible de la part de Londres ?Quand Theresa May avance que son pays est prêt à changer de modèle économique dans le cas où les négociations avec l’UE prendraient une mauvaise tournure, il faut évidemment y voir une forme de menace. Mais un tel changement de modèle est-il vraiment envisageable ? C'est très hypothétique. Une baisse importante de la fiscalité pesant sur les entreprises aurait d’importantes conséquences sur les finances publiques du Royaume ce qui, dans un contexte de remontée des taux longs, pourrait être problématique. De plus, la stratégie consistant pour le Royaume-Uni à faire de sa fiscalité un des premiers arguments de son attractivité pourrait avoir pour effet de concentrer les autres puissances du G20 contre lui. Compenser le risque de droits de douane élevés et d’obstacles au commerce par la promesse d’un impôt attractif n’est pas très crédible. Dans ces conditions, faire du Royaume-Uni une puissance globale et ouverte sur le monde est une gageure.ImprimerPARTAGER