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13/01/2012

"Comment sauver l’université française ?" Les points de vue de L. Bigorgne et Y. Lichtenberger

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 Institut Montaigne
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Les éditions Express Roularta viennent de publier l’ouvrage La Présidentielle en 25 débats. Découvrez les extraits sur les thèmes de l'enseignement supérieur. Classements internationaux, qualité de la recherche française, indépendance des universités ou encore mode de financement, Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne et membre du comité de suivi de la loi LRU, débat aux côtés d’Yves Lichtenberger, professeur de sociologie à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée.

"L’Université française est malade. La moindre performance des établissements français dans les classements internationaux, l’échec des étudiants durant les premières années du supérieur, ou encore la fuite des cerveaux français vers des terres plus accueillantes en sont autant de symptômes. Pendant des décennies, l’Université a été le parent pauvre de l’Éducation nationale. La dépense publique française par étudiant est en France près de 20 % inférieure à celle de la moyenne des pays de l’OCDE. La loi du 10 août 2007 relative à la liberté et aux responsabilités des universités (LRU) a certes donné un peu d’air au système, mais sans résoudre l’ensemble des maux qui rongent l’enseignement supérieur et mettent en péril la qualité et le dynamisme de la recherche française. Le problème du financement des universités reste entier, avec en toile de fond le casse-tête des droits d’inscription. Une question qui ne pourra pas être dissociée d’une refonte totale du système de bourses.

  • L’Université française est-elle aussi distancée dans la compétition internationale que l’affirment les classements internationaux ?


YVES LICHTENBERGER. Tous ces classements internationaux ont une vertu essentielle : nous obliger à sortir des habituels consensus entre collègues et à nous confronter à une évaluation externe de nos activités, ce qui au passage devrait être au fondement de tout service public. À condition de comprendre ce qu’ils nous disent. Le plus connu, celui de Shanghai, classe la première université française, Paris-Sud (Orsay), en quarantième position. Il a été établi pour orienter les jeunes Chinois vers les universités étrangères où ils auront le plus de chances de côtoyer des universitaires prestigieux. Le critère essentiel est donc le nombre de prix obtenus et de publications réalisées. Il privilégie la notoriété. De ce point de vue, la France souffre d’un certain nombre de handicaps. Le plus important d’entre eux est la séparation entre organismes de recherche et universités, qui fait que les chercheurs travaillent dans un même lieu mais ne publient pas sous la même signature. Un deuxième handicap apparent est lié à ce que nous séparons universités et grandes écoles, alors que des pays comme les États-Unis, largement en tête dans ce classement, lient les deux et séparent plutôt des universités centrées sur le premier cycle (licence ou bachelor) et des universités très centrées sur le second cycle (master et doctorat) et la recherche. Mais ces différences d’organisation mettent également en avant nos difficultés à concentrer nos efforts, à attirer sur un même lieu une masse importante de chercheurs et à faciliter les échanges entre disciplines différentes. C’est avant tout sur ce point que nous sommes challengés. Un plus fort degré de concentration et de coopération permet à l’évidence de doper l’attractivité internationale d’un établissement. Sur ces points, notre système est trop cloisonné, et nos universités trop morcelées pour être visibles.

LAURENT BIGORGNE. La France est le cinquième pays le plus riche du monde, mais dans les classements internationaux, comme ceux de Shanghai ou du Times Higher Education, l’Université française prise dans son ensemble arrive entre la huitième et la dixième position. Il y a donc un décrochage entre notre performance économique et notre performance académique. Le problème se complique lorsqu’on rapporte ces classements à la taille de notre population et à notre richesse nationale. Alors là, la France tombe littéralement à la vingtième place environ. C’est un second décrochage. Et le résultat français est d’autant plus dur à admettre que des nations européennes comme le Royaume-Uni, la Suisse, la Suède ou les Pays-Bas sont bien mieux classées que nous, parmi les premières. La vraie question est de savoir pourquoi nous ne sommes pas à côté de ces pays ? Nous héritons de deux problèmes. Premièrement, nous avons longtemps cru que les grandes écoles, une exception française, nous permettaient de tenir notre rang à l’international. Ce n’était pas vrai. Deuxièmement, nous payons la faille entre recherche et universités - même si des progrès importants sont désormais accomplis. Par nature, les classements internationaux se focalisent sur ce que les Anglo-Saxons appellent les research universities. C’est un modèle très particulier d’université qui couvre la plupart des champs du savoir, jouit d’un taux d’encadrement très élevé, bénéficie d’un niveau de financement très nettement supérieur à la moyenne, et qui est le poumon de la recherche académique. Nous n’avons pas encore en France d’établissements ou de champions de ce type, et c’est pourquoi la France est finalement mal classée.

Y.L. Je voudrais ajouter que ces classements sont scrutés à la loupe par les millions d’étudiants chinois, indiens, sud-américains, africains qui vont suivre des études hors de leur pays d’origine. Mais ils sont aussi des indicateurs guidant les politiques d’investissement dans les établissements. Aujourd’hui, si une université veut augmenter ses moyens de recherche, il faut qu’elle accroisse la visibilité des publications de ses chercheurs. Dans les laboratoires, ceux qui font la recherche sont évidemment les enseignants-chercheurs, mais aussi les doctorants. Donc, de la qualité des doctorants vont dépendre les moyens financiers que l’université va capter. Or, les doctorants, dans la plupart des disciplines et en particulier dans les sciences de la matière, sont pour plus de moitié des jeunes venant de l’étranger. Conclusion : si vous êtes mal classé, vous attirez moins facilement les bons étudiants étrangers. C’est une sorte de cercle vicieux.

  • Depuis 2007, des moyens financiers importants ont pourtant été injectés par le gouvernement…


L.B. C’est vrai, et l’Université française va mieux. Des moyens financiers importants - aussi bien à travers le budget du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qu’à travers les investissements d’avenir - ont été injectés dans le système depuis quelques années. L’opinion publique et la classe politique sont désormais persuadées que la santé des universités est un sujet capital pour la croissance de notre pays. Mais la cadence infernale imposée par l’État depuis une décennie pour obliger les universités à se réorganiser et même à se réinventer par le biais de nombreux processus successifs et différents doit prendre fin. Il faut désormais laisser les effets de la LRU se diffuser pleinement dans l’Université et miser sur des processus bottom-up, cohérents avec l’esprit de la loi de 2007.

Y.L. On ne s’en rend pas suffisamment compte, mais l’Université est le secteur de la fonction publique qui a réussi la modernisation la plus importante au cours des quinze dernières années. Ses personnels y ont joué un grand rôle, notamment lorsqu’il s’est agi de mettre en place dans les années 2000 le système LMD (licence-master-doctorat), permettant d’établir un espace européen unifié de mobilité pour les étudiants. Toutes les universités ont su reconfigurer volontairement en une poignée d’années leur offre de formation. C’est là que se sont constituées des forces internes de modernisation et que le regard de la société a changé sur l’utilité des universités. Ces bouleversements ont été incités et soutenus de façon continue au-delà des alternances politiques avec les plans Université 2000 et Université 3000, puis avec les lois Recherche et LRU. C’est un mouvement de transformation de longue durée, et nous sommes au milieu du gué.

  • La qualité de la recherche française est-elle menacée ?


L.B. Évidemment, elle est challengée. Il y a en Europe, et partout ailleurs dans le monde, plusieurs centaines d’universités qui sont extrêmement compétitives. Pour les universités françaises, le premier challenge est de garder les meilleurs étudiants qu’elles ont formés quasiment gratuitement et donc de leur offrir des postes intéressants. L’autre défi est de savoir comment intégrer en leur sein des personnalités venues de l’extérieur. Ce qui me préoccupe, c’est que, malgré tous les dispositifs créés et l’augmentation des moyens financiers, le mouvement d’expatriation des jeunes chercheurs français est toujours aussi dynamique. Les meilleurs en mathématiques, en économie ou en biologie partent après leur thèse faire ce qu’on appelle un "postdoc" à l’étranger, ce qui n’est pas un mal en soi. Cependant, nous avons un mal fou à les faire revenir, pas seulement pour des questions financières, mais aussi pour des questions de qualité de travail. C’est une épée de Damoclès qui pèse sur la qualité de la recherche en France.

Y.L. Attention au catastrophisme ! La France est encore le cinquième pays au monde en termes de dépenses de recherche et développement, le sixième en termes de publications, le quatrième en ce qui concerne le nombre de brevets européens déposés et le huitième pour ce qui est des brevets américains. L’état de la recherche française reste donc satisfaisant. Ce qui l’est moins, c’est la tendance. La part occupée par la France dans l’ensemble des publications mondiales est en baisse relative. Bien que la qualité moyenne de la recherche française reste bonne, nous avons du mal à faire des percées sur les nouveaux fronts de la recherche. Mais surtout, notre point faible, c’est l’insuffisance des dépenses privées, celles des entreprises. La recherche fondamentale et la recherche appliquée sont deux mondes qui ne se côtoient pas ou très peu. Le manque d’accrochage entre le monde académique et celui de la valorisation est une des raisons de la perte de vitesse de la France.

  • Quel bilan peut-on tirer de la loi LRU sur l’indépendance des universités ?


L.B. C’est un texte voté en 2007 et qui est encore en cours de mise en œuvre. Cette grande réforme dessine un paysage à dix ans. On connaîtra vraiment le bilan de la loi LRU dans les années 2015-2020. Il n’empêche que l’on commence à en ressentir les premiers effets. Dans les universités, cette loi a libéré une certaine forme d’audace dans la capacité notamment à prendre en main le pilotage et donc l’avenir de ces établissements. Mais l’autonomie en soi ne suffit pas. Elle doit être guidée par des projets nés au sein même des universités, par une évolution réelle de la gouvernance et surtout servie par des financements plus importants. La loi de 2007 n’a pas répondu à toutes ces questions. Il faut donc acter l’indépendance des établissements et leur permettre une certaine forme d’expérimentation, en matière de gouvernance, de cartes des formations et en matière de recherche de financements. Certes, l’"État stratège" doit fixer des grands caps pour la collectivité, mais il doit prendre l’habitude de laisser faire les établissements, et ces derniers doivent aussi se montrer à la hauteur.

Y.L. La loi LRU est finalement une loi de décentralisation. Sur ses quatre premières années d’existence, elle a été mise en place avec des budgets croissants. Cela a été une condition de réussite importante. J’ai peur, de ce point de vue, que la crise des finances publiques soit un frein à la progression des financements. Pour progresser, il faut une visibilité sur les moyens apportés par l’État et plus de clarté sur les modes d’attribution de ses financements. Les moyens récurrents versés aux universités doivent être stables, les contrats quinquennaux qui les complètent doivent être accrus en fonction des nouvelles missions qu’elles assument. Aujourd’hui, l'attribution des budgets entre les universités dépend théoriquement de l'activité et de la performance, mais avec un paramétrage tel que les disparités entre établissements liées à leur histoire ne sont pas corrigées. L’État devrait accroître l’autonomie des plus performantes et mieux les récompenser, et à l’inverse accroître les prescriptions et flécher plus étroitement les moyens, bref proposer une forme de mise sous tutelle pour celles qui sont à la traîne.

  • Quel mode de financement pour l’Université de demain ?


Y.L. Je pense qu’il faut poser la question autrement : quel mode de financement pour quelles missions ? Tout le monde s’accorde à dire qu’un des objectifs pour élever le potentiel de croissance de l’économie française est de parvenir à ce que 50% d’une génération obtienne un diplôme de l’enseignement supérieur. Actuellement, 60% d’une génération obtient le bac, 50% entre dans l’enseignement supérieur et 40% seulement en sort avec un diplôme. Nous sommes face à deux enjeux. D’une part, il faut qu’une proportion plus importante de diplômés de BTS poursuive ses études jusqu’en licence. D’autre part, il faut faire en sorte que les 10% d’étudiants qui échouent dès le début réussissent. Or, l’échec est socialement très typé. Il faut donc développer des pédagogies nouvelles, accompagner davantage les étudiants. Et tout cela coûte beaucoup d’argent. D’où peut-il venir ? D’abord de l’État. La part des financements apportés par l’État doit absolument être maintenue et sécurisée. Prenons garde à ne pas prendre le chemin du Royaume-Uni, où la hausse des droits d’inscription s’est faite parallèlement au désengagement de l’État. Deuxièmement, l’apport financier des régions doit être plus visible et faire partie des contrats quinquennaux des universités. Troisièmement, il faut accroître le financement par les entreprises sur ce qui est de leur responsabilité : la formation professionnelle, l’apprentissage, la formation continue, la recherche appliquée. Les universités doivent ainsi pouvoir développer considérablement leur offre sur ces segments en adoptant une vraie politique de partenariats. Cela fera du bien à tout le monde. Enfin, il serait normal, dans ce cadre, d’autoriser les universités à accroître les droits d’inscription payés par les étudiants, sauf par les boursiers, en fixant une fourchette dépendant du niveau des services qui leur sont rendus.

L.B. La formation continue est évidemment un enjeu crucial, particulièrement dans un pays où le système de formation professionnelle est si déficient. Mais je voudrais ajouter trois points. Le premier concerne la recherche de financements privés. La philanthropie ne sera jamais en France ce qu’elle est aux États-Unis. Il ne faut pas donc attendre monts et merveilles des fondations d’universités. Mais on doit pouvoir modifier notre Code civil de façon à ce que des personnes privées puissent léguer une part importante de leur fortune aux universités. Deuxième point, il faut que les dépenses de l’État continuent d’augmenter en dépit de la crise sur les finances publiques. Ne pas faire cet investissement maintenant serait criminel. Si l’on doit garder une priorité, c’est l’éducation, d’autant que la France est à peine entrée dans la moyenne de l’OCDE en termes de dépenses moyennes par étudiant. Ensuite, et surtout, il faudra poser la question de la contribution des familles au financement des études supérieures, notamment au niveau des masters. Le niveau bac+3 concerne la nation dans son ensemble et doit bénéficier d’un important effort de solidarité. Le niveau bac+5 relève davantage du choix individuel. Je ne pense pas qu’on puisse continuer d’acquitter les mêmes droits pour un master d’anthropologie ou de finance de marché. L’obtention d’un diplôme bac+5 donne aujourd’hui un avantage considérable en matière d’insertion sur le marché du travail et de potentiel de rémunération tout au long de la vie. Cet avantage a donc un coût, et les familles doivent le comprendre. D’autant que ceux qui entrent en master sont généralement issus des familles les plus aisées. Ces droits doivent être proportionnels aux revenus des familles et ils doivent principalement servir à financer un système d’aides sociales renforcé pour aider les plus défavorisés à accéder à ce niveau d’études. Voilà ce que pourrait être une politique réellement sociale et redistributrice.

  • LEURS PROPOSITIONS POUR L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR


Yves Lichtenberger

  1. Clarifier le mode de financement des universités, stabiliser les moyens récurrents modulés selon la performance, donner une plus grande importance aux moyens contractuels basés sur des objectifs, autoriser une augmentation des droits d’inscription selon une fourchette dépendant des services fournis.
  2. Inciter aux coopérations régionales entre universités, écoles et instituts de recherche, et pour cela conclure des contrats quinquennaux, entre l’État, la région, les organismes de recherche et les PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur).
  3. Aller au bout du LMD, et pour cela favoriser une revalorisation de la licence et établir une entrée sélective à l’entrée et non au milieu du master.
  4. Poursuivre l’autonomie des universités en facilitant l’engagement et l’expression de la communauté universitaire par la création d’un Sénat académique consultatif, avec en échange une plus grande latitude sur l’organisation des conseils internes.


Laurent Bigorgne

  1. Il est essentiel que la majorité politique amenée à gouverner à partir de juin 2012 continue de faire de l’enseignement supérieur et de la recherche une priorité budgétaire nationale et se fixe comme objectif de réaliser au moins le même effort en fonctionnement et en investissement que celui accompli depuis 2007.
  2. Cet effort doit être respectueux d’une autonomie consolidée et renforcée des établissements universitaires. Les contrats passés entre l’État et les universités ne mettent en jeu qu’une petite partie du budget de celles-ci : il faut augmenter résolument la part de ces fonds plutôt que les financements récurrents. Les universités les plus avancées en matière d’autonomie doivent pouvoir accéder au statut de "grand établissement".
  3. Avec la recherche, le premier cycle doit faire l’objet d’une attention toute particulière : accueil des étudiants, pluridisciplinarité systématique, mobilisation des meilleurs enseignants, travail sur l’insertion professionnelle… Les résultats obtenus par chaque université dans ce domaine devront être rendus publics chaque année et faire l’objet d’une diffusion la plus large possible par le ministère.
  4. Les prochaines évolutions du système universitaire doivent reposer sur les établissements plutôt que sur des évolutions législatives. Les établissements qui souhaiteront expérimenter des solutions nouvelles en matière de gouvernance, de carte des formations, de financement, etc. doivent pouvoir s’engager dans des protocoles expérimentaux, évalués bien sûr, susceptibles d’être ensuite repris par d’autres.


  • CHIFFRES CLÉS

2.316.000. C’est le nombre d’étudiants inscrits à la rentrée 2009 dans l’enseignement supérieur (dernier chiffre connu). Un record.

+ 10,2%. C’est l’augmentation de la dépense publique moyenne par étudiant dans le supérieur entre 2007 et 2012, toutes formations confondues.

14.000 dollars. C’est la dépense publique annuelle pour un étudiant du supérieur en France, contre 15.390 $ en Allemagne, 20.014 $ en Suède et 29.910 $ aux États-Unis, d’après l’OCDE.

141.900 €. C’est le coût théorique d’une scolarité de dix-huit ans menant sans redoublement à l’obtention d’une licence.

36% des étudiants bénéficient d’une bourse pour financer leurs études.

2,26%. C’est le poids des dépenses privées et publiques de recherche et développement rapporté au produit intérieur brut, en 2010."

Extrait de l’ouvrage La Présidentielle en 25 débats, paru le 12 janvier 2012, Express Roularta Éditions, Hors collection L’Express, Emmanuel Lechypre et Béatrice Mathieu, préface de Christophe Barbier, 15 €.
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