« Nous créerons un impôt climatique sur la fortune, qui taxera les patrimoines supérieurs à 2 M€ et comportera un bonus-malus selon l’impact des actifs financiers et immobiliers sur le climat, qui rapportera au moins 15 Md€. »
Le candidat propose la mise en place d’un impôt de solidarité sur la fortune (ISF), dérivé de l’ISF en vigueur jusqu’en 2017, avec une imposition progressive et renforcée, un seuil d’entrée légèrement relevé à 2 millions d’euros, et une assiette élargie.
En outre, l’imposition serait modulée selon la mesure de l’empreinte carbone induite par les placements financiers et le patrimoine immobilier des personnes physiques détenant les plus hauts patrimoines. L’imposition des activités les plus polluantes serait renforcée par un taux additionnel compris entre 0,5 et 1 % ; à l’inverse, les placements et biens liés à des activités responsables écologiquement et socialement seraient exonérés cette surimposition. L’ISF climat comporterait donc un mécanisme de « bonus/malus » écologique, visant à accroître la contribution des plus hauts patrimoines aux finances publiques, tout en cherchant à réorienter les investissements vers des activités décarbonées (selon une logique incitative pigouvienne).
Une telle mesure pourrait se traduire par une hausse annuelle du rendement de l’impôt de l’ordre de 15 à 22 Md€. Il est néanmoins difficile d’évaluer à ce stade le rendement lié au surcroît d’imposition des activités les plus polluantes. Par ailleurs, il existe un risque important de départ des patrimoines susceptibles d’être assujettis au nouvel impôt, eu égard à la différence d’imposition avec les autres pays européens.
Impact environnemental
Une telle mesure devrait contribuer à favoriser les placements vers des activités décarbonées et réduire leur coût de financement. En théorie, pour un financement par la dette, le coût de financement devrait diminuer dans des proportions inférieures ou égales à l’économie d’impôt réalisée.
L’impact sur l’investissement dans les activités carbonées serait globalement négatif, mais différerait en fonction de la taille de l’entreprise, les plus grandes entreprises accédant plus facilement aux marchés financiers internationaux.
Impact macroéconomique
Une telle mesure contribuerait à la réduction des inégalités de patrimoine en renforçant l’imposition des patrimoines les plus élevés.
S’agissant de l’impact sur le financement de l’économie, la réforme de la fiscalité du capital en France (marquée notamment par le remplacement de l’ISF en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et la mise en place d’un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus de l’épargne) cherchait à réorienter l’épargne et le patrimoine des contribuables les plus aisés vers le financement des entreprises, de l’investissement et de l’innovation. Elle visait également à préserver une base capitalistique en France, en faisant converger la fiscalité du capital avec celle pratiquée dans le reste de l’Europe.
À ce jour, l’observation des grandes variables économiques (croissance, investissement, flux de placements financiers des ménages) avant et après la réforme de la fiscalité du capital ne permet pas de quantifier précisément les effets de la réforme, notamment dans le contexte de crise depuis 2020. Depuis le passage de l’ISF à l’IFI, on observe néanmoins une baisse du nombre d’expatriations et une hausse du nombre d’impatriations fiscales de ménages français fortunés, dans des proportions qui restent néanmoins marginales (1).
Le nouvel ISF, certes doté d’un bonus malus en faveur des investissements respectueux du climat, singulariserait à nouveau la France en matière de fiscalité du patrimoine. Une expatriation des ménages susceptibles d’être soumis au nouvel ISF, encouragée par le différentiel d’imposition avec nos voisins européens, pourrait considérablement réduire la recette et l’efficacité du dispositif.
(1) France Stratégie, Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, troisième rapport, octobre 2021.
Le produit de l’ISF en 2017, dernière année lors de laquelle il était en vigueur, s’est élevé à 4,23 Md€ (5,56 Md€ avant plafonnement). Il reposait sur des taux compris entre 0,25 % et 1,5 %, pour un seuil d’entrée de 1,3 M€ de patrimoine – en sachant que l’imposition était appliquée à la fraction du patrimoine supérieure à 800 000€. Il a été transformé en impôt sur la fortune immobilière (IFI) à partir de 2018, entraînant une réduction de l’assiette imposable au patrimoine immobilier. Le rendement de ce dernier était de 2 Md€ en 2020 (1), et évalué à 2,3 Md€ dans la loi de finances pour 2022.
Les modalités de l’impôt tel que proposé par le candidat diffèrent toutefois de l’ISF et de l’IFI. Le nouvel ISF climatique serait composé d’un ISF de base, portant uniformément sur tout le patrimoine, et d’un mécanisme de bonus malus pénalisant davantage les actifs polluants.
Le dispositif de base
Par rapport à l’ISF d’avant 2017, le seuil d’entrée serait relevé à 2 millions d’euros, ce qui correspond environ aux 1 % des ménages aux patrimoines les plus élevés (la borne inférieure du dernier centile s’élevant à 1,94 M€ selon l’enquête Histoire de vie et Patrimoine 2017-2018 de l’Insee). Le taux d’imposition serait de 1 % pour les patrimoines compris entre 2 et 8 M€, 2 % entre 8 M€ et un milliard, et 3 % pour la dernière tranche, au-delà d’un milliard. En outre, la fiscalité du patrimoine serait doublée d’une dimension climat.
Le chiffrage de l’impôt sur le patrimoine (hors dimension climat) est très incertain faute de données sur les très hauts patrimoines concernés par la mesure. Le relèvement du seuil d’imposition réduirait l’assiette d’environ 25 % par rapport à l’ancien ISF, mais le taux serait plus élevé.
Les recettes pourraient toutefois s’avérer supérieures à l’ISF en vigueur jusqu’en 2017. Le patrimoine moyen du dernier centile s’élève en moyenne à 4,5 M€ (2) ; en appliquant un taux de 1 % à la tranche supérieure du patrimoine (à partir de 800 000 euros), les recettes totales avoisineraient les 10 Md€. Les recettes pourraient dépasser ce niveau, eu égard à la progressivité du taux annoncée par le candidat, mais dans des proportions difficiles à évaluer, faute de données détaillées ; à l’inverse, la mise en place d’éventuelles exonérations similaires à celle portant sur l’ISF en vigueur jusqu’en 2017 (par exemple sur la résidence principale) pourrait réduire la recette (3).
Le dispositif de bonus malus
Le candidat propose en outre la mise en place d’une imposition supplémentaire de 0,5 ou 1 % pour les activités les plus polluantes. L’évaluation de l’impact environnemental des plus hauts patrimoines reposerait sur des labels de certification existants (GreenFin (4), ISR (5)) ; bien que le candidat n’y ait à ce stade pas fait référence, la taxonomie européenne pourrait également constituer un référentiel pertinent (6). S’il est difficile de chiffrer l’impact budgétaire d’un tel « bonus/malus » écologique, aucune évaluation n’existant à ce jour, on peut néanmoins formuler des hypothèses sur la base du patrimoine total des ménages du dernier centile. Ceux-ci détiennent 16 % de la masse de patrimoine brut de l’ensemble des ménages (7). Le patrimoine net total des ménages s’élevait à 12 423 milliards d’euros fin 2019 (8) ; le patrimoine net des ménages les plus riches représenterait donc 1 987 Md€ (16 % de 12 423). En supposant que 70 % du patrimoine des 1 % des ménages les plus riches soit considéré comme polluant, le mécanisme de bonus malus procurerait des recettes supplémentaires d’environ 7 Md€ dans le cas d’un taux additionnel moyen de 0,5 % et de 14 Md pour un taux de 1 %.
Partant de ces différents scénarios, à court terme, la mesure devrait se traduire par une hausse des recettes comprises entre 15 et 22 Md€ (partant du fait que les recettes de l’IFI actuel sont comprises entre 1,5 et 2 Md€).
L’impact budgétaire à plus long terme d’une telle mesure est difficile à évaluer. D’une part, dans un contexte de mobilité du capital, une partie de l’assiette pourrait échapper à l’imposition, du fait d’un différentiel d’imposition important avec nos voisins européens qui n’ont pas mis en place l’imposition du capital, si bien que les recettes pourraient s’en trouver considérablement diminuées. D’autre part, la réallocation des placements des plus hauts patrimoines financiers vers des activités moins polluantes pourrait entraîner une baisse progressive des recettes perçues.
Historique de la mesure
Un impôt de solidarité sur la fortune, ou ISF, était en vigueur jusqu’au 1er janvier 2018 (article 885 À du code général des impôts). Il s’agissait d’un impôt progressif par tranche sur les personnes physiques, assis sur la partie supérieure du patrimoine. Le seuil d’entrée s’élevait à 1,3 M€ de 2016 à 2018, pour des taux compris entre 0,25 et 1,5 %.
Depuis le 1er janvier 2018, l’ISF a été remplacé par un impôt sur la fortune immobilière (IFI), lequel s’applique uniquement sur le patrimoine immobilier (article 964 du CGI).
Les actifs financiers n’ont toutefois jamais été soumis à une taxation spécifique adossée à leurs émissions de gaz à effet de serre.
Benchmark
Une telle mesure n’a à ce stade jamais été appliquée à l’étranger.
À l’échelle de l’OCDE, l’existence même d’un impôt sur la fortune s’est vue réduite : seuls 3 pays en disposent aujourd’hui (la Norvège, l’Espagne où il a été réintroduit en 2011 dans le contexte de crise des dettes souveraines, et la Suisse).
Seuil d’application de l’ISF pour un célibataire (en euros) (9)
Pays disposant d’un ISF | Norvège | 157 833 |
Espagne | 700 000 | |
Suisse | 67 550 | |
Pays où l’ISF a été supprimé | France (2017) | 1 300 000 |
Islande (2015) | 473 248 | |
Suède (2007) | 166 214 | |
Finlande (2006) | 250 000 | |
Luxembourg (2006) | Aucun | |
Pays-Bas (2001) | 90 756 | |
Allemagne (1997) | 61 355 | |
Autriche (1994) | Aucun | |
Irlande (1978) | 88 882 |
Mise en œuvre
La proposition du candidat peut être mise en œuvre par une loi de finances, initiale ou rectificative.
Elle pourrait concerner les contribuables anciennement assujettis à l’ISF, avec un seuil d’entrée relevé : à savoir les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France, à raison de leurs biens situés en France ou hors de France, ainsi que les personnes ayant leur domicile fiscal hors de France à raison de leurs biens situés en France, et dont la valeur des biens est supérieure à 2 M€ (contre 1,3 M€ pour l’ISF en vigueur jusqu’en 2017).
Sur le plan juridique, l’une des difficultés de mise en œuvre résiderait toutefois dans le fait que l’administration fiscale n’a pas accès à la nature des placements détenus par les contribuables, qui devra être établie sur une base déclarative. En outre, la classification des investissements en activités plus ou moins polluantes devra dépendre de l’octroi de labels ou de notations, qui devront par ailleurs être adoptés par les gestionnaires d’actifs.
(1) Annexe au projet de loi de finances pour 2022, Évaluation des voies et moyens, Tome 1 : Évaluation des recettes fiscales.
(2) Insee, Enquête Histoire de vie et Patrimoine 2017-2018.
(3) L’ISF en vigueur jusqu’en 2017 prévoyait de nombreux mécanisme d’exonération, en particulier l’abattement de 30 % pour la résidence principale, l’exonération de l’assiette imposable des biens professionnels, des antiquités (âge supérieur à 100 ans), œuvres d’art et objets de collection, ainsi que des titres reçus en contrepartie de la souscription au capital d’une PME. Il existait par ailleurs deux réductions d’impôt : la première pour les investissements dans des PME, la deuxième pour les dons à certains organismes d’intérêt général.
(4) Label créé par le Ministère de la transition écologique et solidaire au moment de la COP21 en 2015, visant à garantir la qualité verte des fonds d’investissement (décret n° 2015-1615 du 10 décembre 2015 relatif au label « Transition énergétique et écologique pour le climat »). À ce titre, le label exclut les fonds qui investissent dans des entreprises opérant dans le secteur nucléaire et les énergies fossiles.
(5) Le label pour l’investissement socialement responsable a été créé par le Ministère de l’Économie et des finances en 2016, afin de prendre en compte, au-delà des critères financiers de risque et de rendement, des facteurs liés à l’impact des émetteurs sur l’environnement, la société et sur les enjeux de gouvernance. Il est encadré par le décret n° 2016-10 du 8 janvier 2016 relatif au label « investissement socialement responsable ».
(6) Le règlement « Taxonomie » a été adopté en 2020, mais fait encore l’objet de négociations après la publication d’actes délégués par la Commission européenne, lesquels prévoient notamment d’inclure le gaz et le nucléaire dans les activités durables.
(7) Insee, Enquête Histoire de vie et Patrimoine 2017-2018.
(8) Insee et Banque de France, comptes nationaux base 2014.
(9) Commission des finances du Sénat, d’après : OCDE, The Role and Design of Net Wealth Taxes in the OECD, 2019.
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