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16/08/2023

De White Lotus à Parasite : quand la fiction s'en prend aux ultra-riches

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De White Lotus à Parasite : quand la fiction s'en prend aux ultra-riches
 Martin Muller
Auteur
Attaché éditorial 

De White Lotus à Succession en passant par Sans filtre ou Parasite, que raconte la fiction lorsqu’elle s’en prend aux ultra-riches ? Drame sous les tropiques, fractures sociales ou secrets de famille, pour ce nouveau volet du Monde au miroir des séries, Martin Muller nous emmène dans un monde où l'opulence est bien souvent synonyme de décadence. 

Retrouvez ici l'ensemble des analyses du Monde au miroir des séries.

En seulement deux saisons, le personnage de Tanya McQuoid dans The White Lotus est devenu iconique. Dire que ses réflexions et ses mimiques relèveraient de l’anecdotique serait passer à côté de la justesse de son interprétation. Cette riche héritière, jouée par Jennifer Coolidge, est tantôt d'une naïveté sympathique, tantôt d’une condescendance passive. Cachée derrière les verres teintés de ses lunettes Versace, elle regarde le monde comme elle seule peut le voir ; sa richesse colossale l'ayant sans nul doute coupée des problèmes des "gens normaux", au premier rang desquels on trouve les employés des hôtels de luxe qu'elle arpente dans les deux saisons de la série. On la déteste, mais on l'adore. Très vite, son personnage est devenu une véritable tendance sur les réseaux sociaux, Instagram, TikTok et Twitter confondus. Auréolée d'un Golden Globe et d’un Emmy pour sa performance, l'actrice américaine parvient à donner vie à l'ambition du créateur de la série Mike White : se payer la tête des ultra-riches. 

En moins de dix ans s'est imposé un nouveau genre dans le paysage des films et des séries. Le festival de Cannes en a consacré deux : Parasite de Bong Joon-ho en 2020, et plus récemment Sans Filtre de Ruben Östlund en 2022. Les séries en ont aussi leur dose : on citera la guerre d'un empire médiatique de Succession, ou les paysages paradisiaques de The White Lotus. Toutes ces productions ont en commun de mettre en avant des personnages principaux aux traits bien définis : millionaires, extravagants, biens entourés, aux marques tape-à-l'œil, et qui ne se refusent pas un détour par la Méditerranée pour passer quelques jours ensoleillés-en jet privé, évidemment. 

Exit les traditions du siècle dernier qui montraient la misère pour élever les consciences-le cinéma néoréaliste italien de l'après-guerre en tête. Ici, on fait tout l'inverse. 

Exit les traditions du siècle dernier qui montraient la misère pour élever les consciences-le cinéma néoréaliste italien de l'après-guerre en tête. Ici, on fait tout l'inverse. Et le succès est au rendez-vous. Récompensées par la plupart des awards américains, les séries Succession et The White Lotus se sont imposées à l'international. Le film Parasite a explosé tous les records du box office pour un film coréen (on parle de près de 250 millions de dollars engrangés dans le monde) avant de remporter l'Oscar du meilleur film.

Et si l'on constate que ces créations ont tout de même été précédées par d'autres au contenu non-moins similaire, elles ont ce petit plus qui fait leur succès : elles parlent de leur époque. 

Toutefois, loin de nous l'idée de nous lancer dans une conclusion simpliste qui nous ferait railler les excès d'une poignée de privilégiés déconnectés qui vivent pour se montrer, aiment humilier des employés en public, et qui pensent que tout s’achète-on parle toujours bien de films et de séries ici, rassurons-nous. 

En poussant leurs représentations dans une forme de surréalisme exubérant, ces productions nous poussent en réalité à regarder le diable qui se cache dans les détails. Car il s'agit moins de savoir si ces riches existent réellement que de comprendre le symbolisme derrière ces récits.

Il s'agit moins de savoir si ces riches existent réellement que de comprendre le symbolisme derrière ces récits.

De quoi parle-t-on réellement ici ? Dans quel imaginaire puisent ces réalisations ? Et, enfin, que cherchent-elles à dire de leur sujet ?

Cachez cette richesse que je ne saurais voir

Pour comprendre dans quoi s’enracine ces imaginaires il faut regarder en arrière. Ceux que ces films et séries cherchent à représenter c’est bien les fameux 1 % que l'on lisait déjà chez Joseph Stiglitz quelques années après la crise des subprimes. On y décèle les ramifications concrètes des analyses portées par Thomas Piketty dans Le capital au XXIe siècle. Car comme dans les travaux de l’économiste français, c’est de patrimoine dont il s’agit ici la plupart du temps. 

C'est de patrimoine dont il s’agit ici la plupart du temps.

Dans Succession, on parle actions et héritages au cœur d’une lutte familiale pour déterminer qui héritera de l’empire médiatique du patriarche Logan Roy, personnage ouvertement inspiré du milliardaire australien et magnat des médias Rupert Murdoch. 

Dans Parasite, on fait de la maison d’architecte, véritable joyaux pour les classes privilégiées, l'élément clé d'un récit qui matérialise ainsi la lutte des classes. En surface, une splendide maison style moderne surplombe un jardin que l’on entrevoit dans chaque pièce par les larges baies-vitrées qui ouvrent sur l’extérieur. Mais sous-terre, le réalisateur coréen fait vivre les classes les plus pauvres, privées de lumière, et dont les habitants sont entassés les uns sur les autres. Chez Bong Joon-ho, la hiérarchie des classes s’incarne dans l’espace, et donc de haut en bas. 

Ces films et séries cherchent aussi à montrer les transformations profondes des codes culturels qui régissent Hollywood et consort. Il ne s'agit pas tellement de créer ex-nihilo un courant de pensée, voire de trancher un débat. Plutôt, il s'agit de s’emparer des thèmes contemporains afin de susciter-certains diraient d'attiser-quelque chose chez le spectateur. 

Dans The White Lotus, on parle décolonialisme, privilèges de classe et l'on s'empare de la question ethnique. Pour la citer directement, on s'attarde sur les "rich, white, fucked up people" ("les riches blancs foutus" en français). Au détour d'une scène de danse enracinée dans les traditions hawaïennes, une famille américaine se questionne sur l’éventuelle appropriation culturelle dont elle est témoin. Dans Sans Filtre, on se demande ce qu’il reste des hiérarchies sociales lorsque tout un équipage est menacé d’une fin proche. Alors que leur bateau de croisière coule, son capitaine et un richissime oligarque russe se lancent dans une compétition de citations marxistes et capitalistes : "le dernier capitaliste que l’on pendra sera celui qui nous aura vendu la corde", entend-on parmi leurs élucubrations. Les deux hommes parlent alors politique comme s’ils pouvaient se soustraire à l’Histoire du siècle dernier ; chez eux, on ne tire pas de leçon du passé, on ne l’évoque que pour l’amusement. 

C'est comme si les studios puisaient désormais dans le lexique politique hérité des courants contemporains. Là où certains y voient un vent de fraicheur, d'autres critiques y verraient l'empreinte d'un soi-disant "wokisme" qui s’empresserait de miner les structures politiques et culturelles existantes. Il en reste que, armés de dialogues souvent vifs et finement écrits, ces échanges ont de quoi susciter un débat nécessaire auprès des publics. 

On y voit au moins une satire féroce de la société d'aujourd'hui.

Et si ces productions ne prennent pas parti de manière ostentatoire, on y voit au moins une satire féroce de la société d'aujourd'hui.

Autant en emporte l’argent

Une fois que l’on a saisi ce dans quoi s’enracinent ces réalisations, il convient d’essayer de dévoiler ce qu’elles cherchent à dire des classes qu’elles ont pris pour cible. Et c’est peut-être là que ça coince. Devant The White Lotus, on rit. Devant Succession, on est happés par la tension de l’intrigue. Souvent, le sujet abordé n’est utilisé que dans un but précis : le divertissement. Comme si l’on tendait vers une forme de voyeurisme. Il suffit de constater que les industries du tourisme de Hawaii et Taormine bénéficient grandement de leur exposition dans les saisons de The White Lotus. De la satire, on passe rapidement au guide touristique. 

Et une telle narration n'est d’ailleurs pas du goût de tout le monde. Certaines critiques se sont élevées contre la chaîne américaine HBO, diffuseur de Succession et de The White Lotus, pointée du doigt pour sa "fixation" envers les riches. D'aucuns pourraient en dire de même pour la Palme d’or de Ruben Östlund, qui, malgré un film qui se moque des ultra-riches pendant près de 2h30, finit par rejeter toute portée politique : "les riches sont gentils, ils ne payent juste pas leurs impôts", a-t-il asséné au cours d’une interview. 

Oubliez la morale à la La Fontaine, c'est le pessimisme qui règne ici-comme un miroir de la réalité ?

En somme, la conclusion nous la trouvons à la fin de la série The White Lotus. Car malgré tout le mal commis, c'est le vice qui l'emporte. On regrette les tragédies qui ont entaché les vacances, on ne trouve aucune forme de catharsis à l’égard de nos employés favoris si mal traités, et on voit ceux à l'origine de tous les maux plier bagages, encore et toujours privilégiés. Oubliez la morale à la La Fontaine, c'est le pessimisme qui règne ici-comme un miroir de la réalité ?

S'il y a un jour eu un cinéma social, plein de revendications, on est loin du compte. L'industrie du divertissement en est-elle d’ailleurs dotée ? En tout cas, au moment où l'on écrit, Hollywood entame sa pire grève en 60 ans. Et sur les piquets de grève on lit des slogans qui empruntent à Succession ou à The White Lotus -des formules certainement appropriées dans le combat des syndicats contre des studios qu’ils décrivent trop souvent comme avares. Comme si la réalité rattrapait déjà la fiction. 

 

Copyright Image : FR_tmdb

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