Porter à 400 euros le chèque énergie pour les ménages qui ont bénéficié du chèque de 100 euros cette année
« 6 millions de ménages français percevront un chèque énergie de 400 euros. Il pourra être utilisé pour payer toutes les dépenses énergétiques (…) ».
« Dès maintenant un chèque énergie de 400 euros doit être accordé aux 6 millions de familles les plus fragiles et un chèque de 100 euros doit être envoyé aux 15 millions de familles des classes moyennes ».
« Ce chèque serait de 400 euros supplémentaires pour les 5,8 millions de familles les plus en difficultés qui touchent déjà 250 euros et de 100 euros pour 15 millions de Français des classes moyennes ».
Le périmètre de la mesure envisagée et par conséquent son coût estimé ont été fortement réduits depuis octobre dernier (cf. tableau ci-dessous). Le candidat prévoyait initialement d’étendre la mesure existante à la fois en nombre et en montant. En nombre, il proposait de couvrir près de quatre fois plus de ménages éligibles, en octroyant à 15 millions de ménages appartenant aux classes moyennes un chèque énergie d’un montant forfaitaire de 100€ en sus du dispositif existant et majoré de 400€ à destination des 5,8 millions de ménages les plus défavorisés qui étaient éligibles au dispositif en 2021 (1) (15 + 5,8 = 20,8). Dans son programme en ligne, il n’est plus envisagé de verser un tel chèque énergie forfaitaire de 100 € aux 15 millions de ménages : seuls les ménages actuellement éligibles (5,8 millions en 2021, estimés à 6,2 millions en 2022 (2)) pourraient bénéficier de l’augmentation du chèque en montant.
En montant, le candidat annonçait le versement de 400 euros supplémentaires à la dotation de « 250€ » déjà versée en 2021 aux 5,8 millions de bénéficiaires. En réalité, le montant annuel versé varie de 48 € à 277€ (3) selon les ressources et la composition du ménage. De fait, le montant moyen annuel programmé pour 2021 était de 150€ en moyenne (4) avant d’être complété par une dotation forfaitaire de 100€ par ménage en septembre 2021. Le montant de la mesure annoncée en mars 2022 est alors réduit : les 400€ ne constituent plus un complément venant s’ajouter à la somme existante, mais un maximum ou une moyenne de la somme effectivement versée (étant la plus favorable, l’hypothèse d’un montant moyen est celle ici retenue).
En tenant compte du coût d’usage, c’est-à-dire du nombre de chèques utilisés rapporté au nombre de chèques envoyés du fait que tous les ménages bénéficiaires n’utilisent pas leur chèque pour diverses raisons (courrier non ouvert, amalgame avec un prospectus, erreur d’adresse ou d’identification, etc.), dont l’estimation s’élève, en fourchette haute, à 87,5 % (5) (soit 12,5 % des ménages éligibles ne bénéficiant pas dans les faits de la mesure), le coût réel de la mesure prévue au programme du candidat serait de 2,17 milliards d’euros. Elle se serait élevée à 4,30 milliards si le périmètre prévu en octobre dernier avait été maintenu. À titre de comparaison, le montant exécuté du chèque énergie en 2021 est estimé à 1,12 Md€ (6).
En intégrant les coûts de gestion au niveau constant de 21,6 M€ (7) (le nombre de bénéficiaires augmente mais le circuit de gestion est mieux maîtrisé), le coût de la mesure est estimé à 2,17 + 0,0216 = 2,19 Md€.
Évaluation de la mesure proposée sur le chèque énergie (en Md€) :
Annonces | Mesure existante (moyenne de 150€ pour 6,2 M de foyers) | Complément proposé (pour 6,2 M de foyers) | Élargissement de 100€ à 15 M de foyers supplémentaires | Coût théorique | Coût d’usage (déduction du non recours) |
oct-21 | 150 x 0,0062 = 0,93 | 400 x 0,0062 = 2,48 | 100 x 0,015 = 1,50 | 0,93 + 2,48 + 1,5 = 4,91 | 4,91 x 0,875 = 4,30 |
mars-22 | 150 x 0,0062 = 0,93 | (400-150) x 0,0062 = 1,55 | 100 x 0,015 = 1,50 | 0,93 + 1,55 + 1,5 = 3,98 | 3,48 |
Programme | 150 x 0,0062 = 0,93 | (400-150) x 0,0062 = 1,55 | 0 | 2,48 | 2,17 |
Source : chiffrage réalisé à partir des travaux de la Cour des comptes sur le chèque énergie
Impact macroéconomique / sur le pouvoir d’achat
Bien que le chèque énergie soit mis en avant comme une mesure destinée à lutter contre la précarité énergétique, il n’atteint pas cet objectif. Ce dispositif illustre parfaitement le phénomène de rationalité limitée et de préférence pour le présent que l’on observe du fait des cycles électoraux : alors qu’il est nécessaire d’orienter la dépense dans l’investissement pour réduire à terme la précarité énergétique des ménages les plus défavorisés et leur permettre de vivre durablement de manière décente sans que leur facture énergétique (d’électricité, de gaz ou autre) ne s’alourdisse, la mesure constitue seulement une aide ponctuelle au pouvoir d’achat des ménages ayant les ressources les plus modestes, sans permettre de sortir durablement ces ménages de leur précarité énergétique. La mesure se trouve être contre-productive sur le long terme, car elle vise à soutenir la consommation de tout type d’énergie, principalement des énergies fossiles, au lieu d’aider les ménages à réaliser des investissements pour réduire à moyen-long terme leur consommation d’énergie ou même la stabiliser (la consommation d’énergie fossile risque donc d’augmenter) (8).
Le dispositif ne permet ni de s’assurer que les ménages bénéficiaires connaissent tous une précarité énergétique (9), ni de discriminer par rapport à la source de l’énergie ainsi soutenue (qui comprend donc principalement des énergies fossiles) (10). En effet, la Cour souligne dans son rapport de février dernier qu’en retenant comme critère de la précarité énergétique la part des revenus consacrée aux dépenses énergétiques, environ un ménage sur quatre en situation de précarité énergétique ne reçoit pas le chèque énergie, et environ la moitié des ménages qui le reçoivent ne remplissent pas les conditions pour être considérés comme en situation de précarité énergétique, la prise en compte du critère de froid ressenti ne modérant que légèrement ce constat.
Pour maintenir l’effet sur le pouvoir d’achat, l’inflation potentiellement durable nécessiterait de maintenir voire d’augmenter le nombre de bénéficiaires en 2023 (hausse du revenu fiscal de référence par unité de consommation ou RFR/UC).
(2) Ibid, page 46.
(3) Ibid, page 7.
(4) Ibid, page 7.
(5) Ibid, page 46.
(6) Ibid, page 48.
(7) Ibid, page 49.
(8) La possibilité offerte aux ménages d’utiliser le chèque énergie pour financer des travaux d’efficacité énergétique n’a pas eu de suites probantes.
(9) Cour des comptes, Le chèque énergie, Communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, Février 2022, page 9.
(10) Ibid, page 9.
Sont concernés en 2021 5,833 millions de ménages (11) ayant déclaré des revenus, habitant dans un logement imposable à la taxe d’habitation et dont les revenus fiscaux de référence par unité de consommation (RFR/UC) sont inférieurs 10 800€ (12).
Le ministère chargé du budget estime le nombre de bénéficiaires à 6,2 millions (13) pour 2022 en conséquence de la crise sanitaire.
Le montant moyen du chèque énergie était de 150€ (14) avant ajout de l’aide exceptionnelle forfaitaire de 100€ par bénéficiaire en deuxième loi de finances rectificative pour 2022 (LFR2) de décembre 2021. Par hypothèse, ce montant moyen demeure inchangé.
Le taux d’usage prévisionnel en loi de finances initiale pour 2022 est estimé à 87,5 %, ce qui semble optimiste au vu des précédentes campagnes (taux de consommation des crédits votés de 70 % et taux d’utilisation de 80 % des chèques envoyés en 2021) mais se justifie par une meilleure appropriation de la mesure par les potentiels bénéficiaires.
L’absence d’indexation des tranches de revenu conduit actuellement à diminuer mécaniquement le montant moyen versé (dégressif en fonction des tranches de RFR/UC), ce que relève la Cour sans toutefois le quantifier. La mesure perd donc de sa pertinence si cette indexation n’est pas réalisée.
La mesure annoncée dans le programme de Yannick Jadot ne prévoit pas non plus d’étendre la condition de RFR/UC au-delà des conditions actuelles. En conséquence, le nombre de bénéficiaires est supposé être de 6,2 millions en 2023 (maintien de la situation inflationniste de sortie de crise sanitaire, sans intégration des pressions inflationnistes liées au conflit russo-ukrainien).
Le chiffrage ne tient pas compte du taux de consommation des crédits à hauteur de 70 % et suppose l’enveloppe intégralement consommée.
Pour ces trois motifs, ce chiffrage constitue une évaluation haute.
Historique de la mesure
Dispositif actuel :
Généralisé en 2018, après une expérimentation de deux ans, ce titre de paiement sous conditions de ressources aide plus équitablement les familles que les tarifs sociaux de l’énergie seulement applicables au gaz et à l’électricité (meilleure couverture des ménages en situation de précarité, moindre taux de non recours de ces ménages selon le rapport de la Cour des comptes sur le chèque énergie, communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale de février 2022).
Il doit aussi permettre de régler les travaux de rénovation énergétique, mais les modalités restent complexes et peu employées.
Son coût est estimé à 837,5 M€ en loi de finances initiale pour 2022 (16) (813,5 M€ en dépenses d’intervention – crédits de paiements) (17). Le montant d’aide distribué est de 864,7 M€ pour la campagne de 2021 (18) pour une estimation totale en loi de finances initiale pour 2021 de 755,8 M€ d’autorisations d’engagement (19) – auxquels s’ajoutent 575,5 M€ (20) en autorisations d’engagement lors de la loi de finances rectificative pour 2021 en raison de l’octroi d’un chèque additionnel forfaitaire de 100€ pour les 5,8 millions de foyers bénéficiaires (le montant de l’aide distribuée correspondant n’est pas disponible).
En 2020, son taux d’usage (nombre de chèques utilisés rapporté au nombre de chèques envoyés) est de 80 % (21) (environ 50 % dans les résidences sociales) (22) en l’absence d’activation automatique de la mesure.
L’activation des droits associés (d’une part, la gratuité de mise en service et d’enregistrement du contrat de fourniture d’électricité ou de gaz naturel, d’autre part, un abattement de 80 % sur la facturation d’un déplacement en raison d’une interruption de fourniture imputable à un impayé) et des protections spécifiques (interdiction pour le fournisseur, en cas d’impayé, de réduire la puissance électrique pendant la trêve hivernale, interdiction de facturer les frais liés au rejet du paiement des factures, mise en œuvre d’une procédure particulière en cas d’impayés) est également plus contraignante que prévue.
Les dépenses de gestion portant sur le dispositif chèque énergie sont de 21,6 M€ en 2020 et tendent à se stabiliser sur 5 ans à hauteur de 4,9 % par bénéficiaire de 2016 à 2020 (23).
L’objectif de lutte contre la précarité énergétique n’est pas atteint, car ce chèque énergie repose sur le seul critère des ressources, sans intégrer la qualité de la résidence ou sa géographie. Selon le rapport de la Cour des comptes précité, la moitié des bénéficiaires ne sont pas en situation de précarité énergétique et un quart de ceux qui le sont ne le reçoivent pas.
Les ménages perdants sont ceux chauffés au gaz naturel auparavant bénéficiaires des tarifs spéciaux de solidarité (TSS), ceux de la fourchette haute d’éligibilité aux TSS ou encore ceux qui cumulaient ces deux situations.
Benchmark
L’observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) recense 29 dispositifs dans 10 pays (24), dont certains concernent plus spécifiquement la fourniture ou la consommation d’énergie (aides ponctuelles, remises, plafonnement des tarifs, primes) ce qui limite toute comparaison. Ainsi au Royaume-Uni, plusieurs dispositifs sont associés : une aide automatique annuelle de 115€ à 350€ est attribuée aux personnes âgées pour leur facture de chauffage, à laquelle peut s’ajouter une aide ponctuelle de 29€ pour sept jours par période de grand froid versée à 3,8 millions de bénéficiaires de l’aide sociale, une remise fixe de 164€ accordée par les fournisseurs d’électricité à environ 2,2 millions de clients éligibles et un plafonnement par défaut des tarifs d’électricité et de gaz pour 11 millions de clients.
Mise en œuvre
Concernant les crédits à mettre à disposition, la proposition serait présentée en loi de finances (programme 174 Énergies, climat et après-mines pour le dispositif général et programme 345 Service public de l’énergie pour la partie relative à la gratuité de la mise en service du contrat de fourniture d’électricité ou de gaz naturel et à l’abattement de 80 % sur les frais de déplacement pour impayés en vertu de l’article R.124-16-I du code de l’énergie).
Par ailleurs, les modifications de champ et de critères applicables sur le chèque énergie doivent donner lieu à une modification des textes réglementaires (décrets) le régissant (articles R.124-1 à D.124-17 du code de l’énergie) notamment pour tenir compte de la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des contribuables (les bénéficiaires devant jusqu’à présent habiter un logement imposable à la taxe d’habitation).
(11) Ibid, page 7.
(12) Cf. notamment Service public.
(13) Cour des comptes, Le chèque énergie, Communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, Février 2022, page 46.
(14) Ibid, page 7.
(15) Ibidem, page 46.
(16) Ibid, page 46.
(17) Ibid, page 48.
(18) Ibid, page 29.
(19) Ibid, page 46.
(20) Ibid, page 48.
(21) Ibid, page 74.
(22) Ibid, page 33.
(23) Ibid, page 49.
(24) Ibidem, page 15.
Déconjugaliser et revaloriser l'allocation aux adultes handicapés
Octroyer les allocations familiales dès le 1er enfant
Mettre en place une assurance universelle sur les loyers
Insérer des conditions sociales et environnementales pour bénéficier des aides publiques