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24/04/2024

Le paysage politique allemand à l’épreuve des élections européennes

Le paysage politique allemand à l’épreuve des élections européennes
 Joseph de Weck
Auteur
Expert associé - Allemagne

Les enjeux nationaux du scrutin européen, et leurs répercussions, dans un second temps, sur la politique européenne, occupent les esprits en France comme outre-Rhin. Alors que la coalition hétéroclite (alliage des sociaux-démocrates SPD, des Verts et des libéraux FDP) du chancelier SPD Olaf Scholz, qui succédait le 8 décembre 2021 à Angela Merkel, est mise en difficulté, comment les élections de juin pourraient-elles reconfigurer le paysage politique allemand ? Fragmentation politique, avenir du soutien à l’Ukraine, enjeu du vote des jeunes dès 16 ans, montée des extrêmes : notre nouvel expert associé Joseph de Weck décrypte à travers quatre questions clefs les enjeux que revêt pour l’Allemagne - et ses partenaires - une élection sous tension.

Les élections européennes de juin constitueront un premier test national pour la coalition du chancelier Olaf Scholz. Quatre questions majeures pour l’Allemagne et sa place dans l’Union européenne pourraient trouver une réponse lors de ce scrutin. Y aura-t-il des élections anticipées ? L’Allemagne doit-elle s'habituer à être gouvernée par des coalitions tripartites instables ?Olaf Scholz sera-t-il en mesure de maintenir son soutien substantiel, mais mesuré, à l’Ukraine ? Et quel sera l’impact de l’instauration du vote dès 16 ans pour les jeunes, mesure mise en place spécifiquement pour le scrutin européen de juin ?

Des élections anticipées se profilent-elles à l'horizon ?

À Paris, les spéculations des journalistes vont bon train pour savoir si le parti Les Républicains pourrait, par une motion de censure, faire tomber le gouvernement Attal et provoquer des élections anticipées. Il en va de même en Allemagne : Berlin s’interroge sur l’avenir de la coalition tripartite menée par le chancelier Scholz du Parti social-démocrate (SPD), où l’un des trois partenaires de la coalition, le petit Parti libéral-démocrate (FDP), s’est effondré dans les sondages.

En effet, si lors des élections fédérales de 2021, le parti FDP du ministre des Finances Christian Lindner avait obtenu 11,4 % des voix, il a depuis subi une hémorragie au profit des Chrétiens-démocrates (CDU/CSU) et du parti d'extrême-droite "Alternative für Deutschland" (AfD). Avec quelque 4 % dans les sondages, les libéraux du FDP sont désormais menacés dans leur existence puisque, pour siéger au Bundestag, un parti doit recueillir au moins 5 % des voix.

Si l'affaiblissement du FDP se confirme lors des élections européennes, Christian Lindner subira une très forte pression pour quitter la coalition Scholz.

Si l'affaiblissement du FDP se confirme lors des élections européennes, Christian Lindner subira une très forte pression pour quitter la coalition Scholz. D’ores et déjà, lors d’un référendum interne en janvier, 47,76 % des membres du FDP avaient voté en faveur d’une rupture de la coalition. De nombreux libéraux estiment avoir concédé trop de compromis à l’égard de leurs deux partenaires, le SPD et les Verts, pour se maintenir au pouvoir.

Le souvenir du traumatisme des élections fédérales de 2013, où le FDP était resté en dessous de la barre des 5 % au terme de quatre années au gouvernement de la chancelière CDU Angela Merkel, est toujours vif.

Si le FDP obtient un résultat trop décevant le 9 juin, Christian Lindner pourrait conclure que des élections anticipées sont sa dernière chance de se maintenir à la tête du parti et de lui insuffler une dynamique nouvelle ; il pourrait profiter des négociations budgétaires de cet automne pour accuser ses partenaires de faire des dépenses inconsidérées et claquer la porte, ce qui flatterait sa base d'électeurs les plus conservateurs en matière de politique fiscale.

Le maintien de la coalition Scholz jusqu'à la fin de son mandat à l'automne 2025 n’est toutefois pas une hypothèse complètement caduque :  les électeurs allemands ont l’habitude de sanctionner le parti à l’origine de l’échec d’une coalition, ce qui incite les formations à la prudence. Néanmoins, il n’est pas exclu que cette ancienne règle de la politique allemande ne frappe pas les petits partis ; M. Lindner, qui par le passé s'est montré joueur et aime prendre des risques, pourrait décider de tester cette règle.

La mue d'Olaf Scholz en un "chancelier de la paix" continuera-t-elle à fonctionner ?

Il faudra observer de près le score du SPD d'Olaf Scholz lors des élections de juin.  Compte tenu de la faible probabilité que l'économie allemande se redresse avant les élections nationales l'année prochaine, Scholz risque d’être le premier chancelier à ne pas être réélu au moins une fois depuis la fin des années 1960.

Pour relancer son parti, Scholz se positionne donc en tant que "chancelier de la paix" et mise sur le pacifisme d’une partie de l'opinion, en s’appuyant sur une longue tradition. En effet, en réaction au militarisme nazi, la gauche allemande a toujours compté un fort électorat pacifiste. Après la réunification en 1989, ce camp s'est renforcé, car de nombreux Allemands de l'Est sont pro-russes. La stratégie du "chancelier de la paix" a été déployée par deux des trois chanceliers du SPD, Willy Brandt en 1972 et Gerhard Schröder en 2002.

Pour relancer son parti, Scholz se positionne donc en tant que "chancelier de la paix" et mise sur le pacifisme d’une partie de l'opinion, en s’appuyant sur une longue tradition.

Helmut Schmidt en revanche fut abandonné par son parti parce qu’il préconisait dès 1979 le stationnement de nouveaux missiles américains (Nachrüstung). Les dirigeants du SPD se portent traditionnellement garants de la paix, tout en décriant la CDU comme un parti va-t-en-guerre, prompt à suivre les États-Unis dans des aventures périlleuses.

C’est ce stratagème que tente O. Scholz. Il affirme que les Allemands devraient avoir "peur" de la CDU qui – parce qu’elle exige la livraison de missiles à longue portée Taurus à Kiev – serait prête à mettre en péril la sécurité de l’Allemagne et à risquer une grande guerre européenne. Le chef du groupe SPD au Bundestag, Rolf Mützenich, va jusqu’à recommander de "geler" le conflit en Ukraine et d’envisager des alternatives diplomatiques à l'envoi de nouvelles armes. Scholz ne fait aucun effort pour tempérer Mützenich.

La stratégie du "chancelier de la paix" est-t-elle prometteuse ? Il serait prématuré de répondre. Toutefois, si le SPD se rétablit un tant soit peu avant les élections européennes, Scholz conclura que le renforcement du soutien à l'Ukraine nuirait à sa réélection et à son parti lors des trois élections dans des Länder est-allemands cet automne (Thuringe, Saxe et Brandebourg). Scholz s'en tiendrait donc à sa stratégie d’un soutien fort en matériel à l'Ukraine, en refusant le saut qualitatif qui consisterait à envoyer des Taurus ou des jets à l'Ukraine.

Les coalitions tripartites deviendront-elles la norme en Allemagne au niveau fédéral ?

Après ses 10,3 % aux élections fédérales de 2021, l'AfD atteint aujourd'hui 18 % dans les sondages. Mais ces derniers temps, la véritable surprise a été le succès dans les sondages de l'Alliance Sahra Wagenknecht (Bündnis Sahra Wagenknecht) BSW.

Fondé en janvier 2024, ce parti est une sorte de croisement entre l’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon et l’extrême-droite d’Éric Zemmour.

Fondé en janvier 2024, ce parti est une sorte de croisement entre l’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon et l’extrême-droite d’Éric Zemmour. De gauche en matière de politique économique et de droite dure sur l'immigration, l'islam et la transition climatique, le BSW recueille entre 6 et 7 % des voix. En politique étrangère, BSW demande, comme l’AfD, la fin des livraisons d'armes à Kiev.

Mais l'attrait du BSW provient également de sa position pro-palestinienne. Si les partis traditionnels allemands et l'AfD sont fortement pro-israéliens, les opinions au sein de la population sont variées. 61 % des Allemands estiment que la réponse militaire d'Israël au massacre du 7 octobre est allée trop loin.

En Allemagne, les sondages tendent à surestimer les nouveaux partis. Par exemple, au cours des deux dernières décennies, les Verts ont obtenu des résultats inférieurs à leur score dans les sondages. Les élections européennes révèleront la force réelle de l'AfD et du BSW et l’on saura si le paysage politique est devenu durablement plus fragmenté.

Si les résultats électoraux de l’AfD et de la BSW confirment les prévisions des sondages, les coalitions bipartites qui ont été au pouvoir dans la République fédérale pendant la majeure partie de son histoire pourraient être très difficiles à reconduire. Après 2025, l'Allemagne pourrait donc être gouvernée à nouveau par une coalition à trois, instable et perpétuellement en conflit, à l’image du gouvernement Scholz aujourd'hui. Berlin resterait alors un partenaire assez imprévisible à Bruxelles et s’avèrerait incapable de former le consensus interne nécessaire pour sortir l'économie allemande de la stagnation.

L'Allemagne va-t-elle abaisser à 16 ans l'âge du droit de vote ?

Lors des élections européennes de juin, les jeunes de 16 et 17 ans pourront élire pour la première fois les 96 députés qui représentent l’Allemagne à Strasbourg et Bruxelles. Le nombre de ces mineurs dépasse les 1,4 million.

L'Allemagne n'est pas la seule à tenter d'intéresser les jeunes à la politique. En Autriche, en Belgique, en Grèce et à Malte, les jeunes de 16 et 17 ans se rendront également aux urnes. L'espoir est qu'en abaissant l'âge du vote, et en enseignant à l’école des cours d’éducation civique sur le vote et ses modalités, les jeunes citoyens puissent être motivés pour exercer leurs droits démocratiques. Dans toute l'Europe, la participation électorale des jeunes reste faible ( l'Eurobaromètre 2023 prévoit que 21 % des Européens âgés de 18 à 25 ans n'iront pas voter lors des prochaines élections, même si leur participation avait augmenté de 14% lors du scrutin européen de 2019).

La question est désormais de savoir si les jeunes allemands iront voter le 9 juin. Si tel est le cas, cela renforcerait les tenants de l'abaissement du droit de vote à 16 ans pour les élections fédérales. Le SPD, les Verts et le FDP y sont favorables. Mais ce changement impliquerait une modification de la Constitution, ce qui requiert la majorité des deux tiers au Parlement ; il faudrait que l'opposition CDU/CSU joue le jeu.

La question est désormais de savoir si les jeunes allemands iront voter le 9 juin.

Christian Lindner et Olaf Scholz à la Chancellerie, à Berlin.
Copyright image : Tobias SCHWARZ / AFP

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