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29/04/2024

Gouvernance en Palestine : la légitimité impossible ?

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Gouvernance en Palestine : la légitimité impossible ?
 Xavier Guignard
Auteur
Co-directeur du programme Afrique du Nord – Moyen-Orient du centre de recherche Noria

Le Premier ministre palestinien, Mohammad Shtayyeh, a présenté sa démission ainsi que celle de son gouvernement à Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, le 26 février dernier. Le 2 avril, les dirigeants palestiniens relançaient officiellement la procédure de reconnaissance de la Palestine comme membre à part entière des Nations unies. Pourtant, alors que la "solution à deux États" demeure la seule hypothèse officiellement envisagée par les diplomates, la Palestine ne dispose pas de représentant politique reconnu comme légitime. Quel est le statut de l'Autorité palestinienne ? Quelles figures ou mouvements seraient susceptibles d’être considérés à l’international et par les Palestiniens comme représentants légitimes ? Quelles sont les forces en présence et quels acteurs seraient capables d’assurer un leadership ? Dans cet entretien, Xavier Guignard replace les enjeux de la gouvernance politique en Palestine.

Qui sont les différents courants politiques en Palestine et d’où viennent-ils ?

Il existe trois grandes familles politiques en Palestine, dont chacune regroupe plus ou moins de factions qui peuvent soutenir des options idéologiques divergentes.

  • Les mouvements nationalistes
    Le Fatah (acronyme signifiant "Mouvement de libération national de la Palestine", qui compose en acrostiche le mot "victoire") est un mouvement nationaliste palestinien. Parti plastique sans contour idéologique précis, sa ligne évolue selon les conjonctures. Il est né à la fin des années 1950, à une époque où un nationalisme palestinien émergeant et renouvelé cherchait à bâtir  une représentation et une gouvernance politiques aux mains des seuls Palestiniens, sans le contrôle des États arabes.
     
  • La gauche palestinienne
    Au même moment, dans ces années 1950, a émergé un mouvement transnational d’inspiration marxiste : le Mouvement des nationalistes arabes (MNA). L’aspiration révolutionnaire et l’attachement au panarabisme distingue le MNA du Fatah, même s’ils se rejoignent dans l’aspiration à l’autodétermination palestinienne. La Guerre des Six jours, en 1967, marque l’échec du panarabisme et accélère le morcellement du MNA en partis nationaux. C’est ainsi que vont émerger des partis de gauche palestiniens  - le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP) qui composent, avec le Fatah, les principales forces politiques de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP).
    L’OLP, officiellement créé en 1964, a véritablement pris son envol à la fin des années 1960. Il s'agit d’une structure créée initialement afin de donner aux Palestiniens un siège à la Ligue arabe. Elle est rapidement devenue une organisation para-étatique qui regroupe partis politiques, syndicats, associations, institutions financières, groupes armés… Jusqu’à aujourd'hui, c’est la seule instance politique palestinienne reconnue comme légitime par l’ONU.
     
  • Les mouvements islamistes
    Troisième grande famille politique palestinienne, le mouvement islamiste naît dans les années 1980 et recoupe deux partis principaux : le Hamas et le Jihad islamique palestinien, issus de la confrérie des Frères musulmans et nés à Gaza. Ces deux partis, étant nés vingt ans après la création de l'Organisation de libération de la Palestine, n’en font pas partie  ; ils ne l’ont pas rejointe car ils étaient en désaccord stratégique avec ses choix.

La question de leur réunification revient aujourd’hui dans les débats.

La question de leur réunification revient aujourd’hui dans les débats, même si l’on voit mal quelle place pourrait être faite à la mouvance islamiste au sein de la grande entité palestinienne de l’OLP largement délaissée au profit de l’Autorité palestinienne.

Par qui sont administrées les différentes zones palestiniennes ?

Les Territoires palestiniens occupés (TPO) sont administrés par l’Autorité palestinienne, produit des accords d’Oslo signés en 1993 qui, contrairement à ce qu’on entend parfois, ne parlaient pas de la création d’un État palestinien mais seulement d’une Autorité temporaire et autonome. Fondée en 1994, l’Autorité palestinienne a donc pour mandat d’administrer les territoires palestiniens aux côtés d'Israël, en attendant qu’aboutissent des négociations à venir sur le statut final.

L’expression "statut final" regroupe tous les points d’achoppement que les premières négociations n’étaient pas parvenues à régler et sur lesquelles les parties devaient trouver un accord à échéance de 1999 : la question du partage des ressources en eau, des réfugiés, de Jérusalem, des colonies et bien sûr des frontières. Dans l’intervalle, l’Autorité Palestinienne a donc vocation à exercer, en quelques sortes, une "régence" en territoire palestinien.

Ces territoires palestiniens sont composés de trois zones, la bande de Gaza, Jérusalem-Est et la Cisjordanie, occupées depuis 1967.

  • Jérusalem-Est
    Jérusalem-Est, occupée et annexée depuis 1967, fait l’objet d’un statut particulier. Son annexion a été légalisée, au regard d’Israël, par une loi fondamentale adoptée le 30 juillet 1980 par la Knesset (Israël n’ayant pas de Constitution), qui établit Jérusalem comme la capitale une et indivisible de l'État d'Israël. Cette portion de territoire est administrée exclusivement par Israël.
     
  • La Cisjordanie
    La Cisjordanie est divisée, depuis les accords d’Oslo, en trois zones A, B et C, aux statuts distincts.

Les zones A sont sous le pouvoir civil et sécuritaire de l'Autorité palestinienne. Elles recoupent les centres-villes de Cisjordanie. Cela n’empêche pas Israël d’y mener des opérations, même à Ramallah, capitale de facto de l’Autorité palestinienne.

Dans les zones B, principalement des villages, le pouvoir civil est dévolu à l'Autorité Palestinienne et le pouvoir sécuritaire à Israël.

Les zones C, qui concernent tout le reste du territoire, c’est-à-dire les parties les moins peuplées, mais souvent les plus fertiles et riches en ressources, sont sous le pouvoir civil et sécuritaire israélien.

Cette tripartition était censée être temporaire : toutes les zones occupées étaient destinées à passer en statut A, avec un retrait progressif d’Israël et le transfert des pouvoirs à l’Autorité palestinienne. Durant cette période intérimaire, Israël reste souverain sur l’entièreté de la Cisjordanie.

  • La bande de Gaza
    La Bande de Gaza tombait sous le même régime de tripartition avec une prédominance de zones sous contrôle palestinien. Après le retrait unilatéral de huit mille colons décidé en 2005 par Ariel Sharon, présenté comme un geste de paix, la bande de Gaza est exclusivement peuplée de Palestiniens. Nombreux sont ceux qui  lient cette décision aux coûts considérables requis par la mobilisation d’une présence militaire importante pour protéger une zone de peu d’intérêt économique ou stratégique du fait de la présence de deux millions de Palestiniens. Les élections législatives de 2006 ont porté le Hamas au pouvoir et le parti a pris, à l’issue d’une quasi-guerre civile palestinienne de dix-huit mois, le contrôle de la bande de Gaza. C’est désormais le mouvement islamiste qui assure la gouvernance de la zone. L’ONU considère toujours que la bande de Gaza est occupée de manière indirecte en raison du contrôle par Israël de son espace aérien et maritime ainsi que des biens et des personnes qui y circulent. Le blocus imposé par Israël constitue quant à lui un probable crime de guerre continu depuis dix-sept ans.

On ne peut donc parler nulle part de souveraineté palestinienne car les Palestiniens n’ont pas d’État et que, d’une manière ou d'une autre, Israël continue à avoir le contrôle, dans tous ces territoires et sur l’ensemble de leurs habitants.

On ne peut donc parler nulle part de souveraineté palestinienne car les Palestiniens n’ont pas d’État.

Quelles sont les figures les mieux positionnées pour assurer un leadership politique ou être les interlocuteurs lors de négociations ?

Le choix d’une personnalité politique est une question qui, pour l’instant, ne se pose pas, car la réalité du pouvoir politique n’est pas entre les mains des Palestiniens : en l’état actuel des choses, quels que soient les projets d’un dirigeant élu, il n’aurait pas les moyens de les mettre en place et ses contraintes seraient les mêmes que celles de Mahmoud Abbas, élu en 2005, réduit à l’impuissance mais toujours au pouvoir bien que son mandat ait expiré en 2009.

Néanmoins, dans le paysage actuel, la figure de Marwan Barghouti est souvent citée. Personnalité très consensuelle, on lui fait porter la responsabilité sans doute démesurée d’endosser simultanément l’héritage d’Arafat et le modèle de Nelson Mandela, de dépasser les divisions intra-palestiniennes et de mener à bien les négociations politiques avec Israël et la communauté internationale… Alors que ce cadre du Fatah est incarcéré depuis 2002, il est difficile d’estimer sa capacité réelle à mener des négociations et des réformes…

Sa popularité, au-delà de sa personne et quelle que soit la probabilité qu’il parvienne au pouvoir, dit toutefois la centralité de la question des prisonniers politiques et l’aspiration des Palestiniens à bénéficier d’une figure capable d’être soutenue par l’ensemble des partis. Si Marwan Barghouti se présentait, les autres partis ne lui opposeraient probablement personne.

Concernant sa ligne politique, s’il est attaché à la solution à deux États, il considère que tous les moyens, y compris la lutte armée, sont admissibles pour la mettre en œuvre. Il a participé à la deuxième intifada (commencée en 2000) pour forcer l’application des accords d’Oslo, c’est-à-dire le retrait des forces d’occupation, mais son objectif n’était pas d'"anéantir Israël". Aujourd’hui, il se déclare prêt à assumer le pouvoir et s’exprime par l’intermédiaire de son épouse, Fadwa Barghouti.
 
Il existe une dizaine d’autres personnalités considérées comme "crédibles" pour incarner le leadership, mais personne ne pourra prétendre être légitime sans proposer à la population palestinienne une solution pour mettre fin au statu quo intenable de l’occupation qui dure depuis plus de cinquante ans.

Le choix, tel qu’il se présenterait, se jouerait entre une personnalité issue des cadres sécuritaires palestiniens, dociles à l’égard des Israéliens mais sans aucune légitimité politique ni base sociale, et un représentant solide mais plus dur dans les négociations.

La position centrale occupée par Yasser Arafat, qui avait pourtant été jugé infréquentable durant des années, illustre les avancées permises par une personnalité palestinienne vraiment représentative.

Une partie des Israéliens reconnaît que toute négociation avec un représentant sans ancrage restera vaine. La position centrale occupée par Yasser Arafat, qui avait pourtant été jugé infréquentable durant des années, illustre les avancées permises par une personnalité palestinienne vraiment représentative, même si elle s’avère moins conciliante. À l’inverse, un politicien prêt à faire des concessions, s’il s’avère incapable de les mettre en oeuvre, ne sera d’aucune utilité à Israël.

La Charte du Hamas parle de la libération de la Palestine, mais ne parle pas d’État Palestinien. Comment les différents mouvements palestiniens se positionnent-ils par rapport à la solution à deux États ?

Cette question est au coeur du mouvement national palestinien depuis ses débuts. Dès les années 1930, quand la Palestine était sous mandat britannique et que la situation semblait déjà inextricable, deux options antagonistes divisaient les esprits : celle d’un État unique ou celle d’une partition en deux États. Le choix qui fut fait en 1947, celui de la partition, n’a emporté la préférence que de peu.  

Ces deux options divisent également l’OLP depuis ses débuts : les uns veulent privilégier la libération de la Palestine, en donnant la priorité à la reconquête de tout le territoire avant l’établissement d’un État, dont les contours resteraient à définir (un État démocratique et binational ? Fondé sur une base ethnique ou religieuse ?), les autres défendent l’option, qu’ils jugent plus pragmatique, de l’établissement d’un État sur une partie seulement de la Palestine libérée de l'occupation.

C’est cette dernière option qu’a choisie l’OLP lorsqu’elle a reconnu Israël en 1993 à travers les Accords d’Oslo, et même avant cela, à travers sa Déclaration d'indépendance de la Palestine et le discours de Yasser Arafat de 1988 qui reconnaissaient la résolution 181 adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies en 1947, préconisant  le partage de la Palestine entre un État juif et un État arabe.

Le Hamas aussi est travaillé par ces mêmes questions. Sa Charte met l’accent sur la libération de la Palestine comme préalable à tout établissement d’un État, mais sa réforme de 2017 a ouvert la voie à l'établissement d’un État palestinien sur les frontières de 1967 (Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem Est).

Ainsi, aujourd’hui, l’OLP a adhéré à la solution à deux États ; le Hamas, lui, a évolué depuis sa création, passant de l’exigence de la libération de toute la Palestine à l’aceptation, de facto, d’un État palestinien à l’intérieur des territoires occupés, sans toutefois franchir le pas de la reconnaissance de la légitimité d’Israël.

Quelles que soient les options idéologiques, l’opposition à la solution à deux États repose aussi sur des raisons pratiques : comment penser un État palestinien établi sur un territoire aussi morcellé que celui des territoires occupés ?

Comment penser un État palestinien établi sur un territoire aussi morcellé que celui des territoires occupés ?

Qui compose le Bureau politique du Hamas et comment est-il organisé ?

Le Hamas est divisé entre un bureau politique de quinze personnalités et une aile militaire. Le bureau politique du Hamas est actuellement dirigé par Ismaël Haniyeh, qui réside au Qatar. Le bureau politique est une instance élue tous les quatre ans, avec des représentants issus de  quatre districts, qui forment des sortes de circonscriptions électorales représentant les habitants de Gaza, ceux de la Cisjordanie, les Palestiniens détenus dans les prisons israélienne (qui forment une communauté importante comprenant notamment un grand nombre de cadres du parti) et la "diaspora" (les réfugiés). Après le 7 octobre, on assiste à une montée d’influence des représentants politiques restés dans la Bande de Gaza, plus proches de la branche armée du Hamas et réputés être moins pragmatiques. La figure centrale est Yahya Sinouar, l’un des cadres les plus recherchés par Israël, à la tête du bureau politique du Hamas à Gaza depuis 2017.

L’aile militaire du Hamas est incarnée par les brigades Izz al-Din al-Qassam, du nom d’un prédicateur syrien qui lutta contre le mandat français en Syrie puis se réfugia en Égypte où il dirigea des factions armées palestiniennes dans les années 1930. Elle est majoritairementt présente à Gaza et sa direction est assumée par Mohammed Deif, proche des représentants politiques de Gaza menés par Yahya Sinouar.

La relance de la candidature de la Palestine à l’ONU (après une première tentative lancée par Mahmoud Abbas en 2011) a-t-elle une chance d’aboutir ? De quoi la procédure engagée par les dirigeants palestiniens est-elle le nom ?

En 2011, les Palestiniens ont obtenu le statut très particulier d’État observateur non membre auprès de l’ONU. Au-delà du symbole, cela a permis à la Palestine d’avoir accès à des institutions internationales telles que la Cour pénale internationale et d’obtenir certains bénéfices politiques.

Le 19 avril, les États-Unis ont opposé leur veto à l'adhésion de la Palestine à l'ONU comme État membre à part entière. L'octroi de ce statut aurait été une victoire symbolique forte et, a contrario, le veto souligne l'isolement américain sur le sujet. Mais la Palestine poursuit son offensive diplomatique par des demandes de reconnaissance bilatérale. Devenir État membre des Nations Unies serait une victoire symbolique forte, mais la Palestine mène surtout son offensive diplomatique en passant pas des demandes de reconnaissance bilatérale. Les États européens avancent en marche dispersée sur ce sujet. Plusieurs États membres ont annoncé leur volonté de reconnaître la Palestine, à l'instar de l'Irlande le 10 avril dernier. L’Autorité palestinienne cherche à ce que la Palestine soit reconnue par un maximum de puissances occidentales afin de faire pression sur les États qui ne la reconnaissent pas.

Comment les opinions publiques sont-elles positionnées ? Par qui se sentent-elles représentées ?

Il est excessivement difficile de mesurer l’opinion publique gazaouie et la fiabilité des sondages est faible. Elle oscille entre le soutien à la solution à deux États et la demande du retrait total d'Israël.

 

Le soutien visible au Hamas après le 7 octobre correspond moins à un soutien à l’extrême violence du moyen qu’à un désir de sortie du statu quo, qui est plus manifeste encore en Cisjordanie.

Le soutien visible au Hamas après le 7 octobre correspond moins à un soutien à l’extrême violence du moyen qu’à un désir de sortie du statu quo, qui est plus manifeste encore en Cisjordanie ; cela confirme, s’il en était besoin, l’absence totale de légitimité de Mahmoud Abbas. On voit que le 7 octobre a réactivé tous les débats latents, notamment concernant le désir de réunification de Gaza et de Ramallah, la revendication d’une représentativité politique plus inclusive et la relance d’un processus politique quel qu’il soit.

Quelle est la position de Mahmoud Abbas sur l’attaque perpétrée le 7 octobre ?

Mahmoud Abbas l’a condamnée, comme il a toujours condamné toute lutte armée. Le dirigeant de l’Autorité palestinienne s’est montré viscéralement opposé au Hamas qu’il ne considère pas seulement comme un concurrent mais comme un adversaire fratricide. Pour lui, le 7 octobre a porté un coup considérable à la légitimité du peuple palestinien et fait porter des coûts insupportables aux populations. Il mesure aussi la marginalité grandissante du Fatah qu’il a contribué à scléroser et qui s’avère incapable de proposer un horizon politique.

Lors de sa démission, le Premier ministre Mohammad Shtayyeh avait justifié sa décision par le "besoin urgent d'un consensus interpalestinien" : quels sont les principaux points de dissension et comment le nouveau gouvernement tente-t-il d’y remédier ? Alors que les États-Unis souhaitent l’émergence d’un nouveau leadership politique palestinien afin d’assurer la gouvernance de Gaza, le nouveau gouvernement a-t-il les moyens de parvenir à cet objectif ?

Il faudrait plutôt dire que Mohammad Shtayyeh a "démissionné", et a été "remplacé" par Mohammed Mustafa, dans le contexte d’une profonde crise de légitimité de l’Autorité palestinienne. Changer de gouvernement était la voie de sortie la moins coûteuse pour Mahmoud Abbas, lui évitant d’en passer par sa propre démission ou de nouvelles élections. Mahmoud Abbas a assuré le service minimum afin de préempter le changement. Il a en même temps répondu à une forte demande de la communauté internationale, et notamment des Américains, qui craignaient de violentes vagues de contestation en Cisjordanie si le gouvernement se maintenait en l’état.

Mahmoud Abbas a fait mine de répondre à la demande populaire d’une réunification politique de la Cisjordanie et de Gaza à travers la constitution de son gouvernement, qui rassemble des profils très "technocrates" et comprend une forte proportion de Gazaouis. La mission principale de ce nouveau gouvernement sera de superviser la reconstruction de Gaza (on parle de 100 milliards de dollars de besoin, sans être capable d'évaluer plus finement les attentes) et d’assurer le lien avec les interlocuteurs internationaux et les partenaires arabes. Cette tâche colossale précède toutes les autres priorités : la gouvernance politique de Gaza, la conduite du processus de négociation avec Israël, la réponse aux autres attentes des Palestiniens…

Il s’agit donc d’un mandat humanitaire et à peine politique. La tâche est quasi impossible et on peut considérer que les membres de ce gouvernement sont quasi sacrifiés car la reconstruction de Gaza ne pourra susciter que la frustration et d’amères déceptions. En cas de faillite, on blâmera donc les technocrates, sans remise en cause plus profonde des dirigeants politiques.

Ligue arabe, Iran, Qatar, Égypte… Quels mouvements soutiennent les puissances étrangères et dans quelle mesure sont-elles capables d’interférer dans leur agenda ?

La formation du nouveau gouvernement de Mohammed Mustafa permet aussi de temporiser les désirs d’influence voire d’immiction des puissances régionales dans la formation d’une nouvelle direction politique palestinine. Les partenaires de la Palestine ont moins les moyens de contrôler des technocrates sans assise.

Le 29 février, les différentes factions palestiniennes se sont réunies à Moscou afin de réfléchir à leur réunification.

En dehors des puissances arabes, la Russie joue aussi les médiateurs. Le 29 février, les différentes factions palestiniennes se sont réunies à Moscou afin de réfléchir à leur réunification. Le communiqué officiel, à l'issue des pourparlers, a annoncé publiquement la volonté d’intégrer le Hamas dans l’OLP. C’est un horizon politique, sans effet immédiat ni échéancier précis.

Un compromis est-il possible entre le Hamas et le Fatah ? Le dialogue est-il ouvert ?

Depuis 2007, les antagonismes sont très forts et toutes les tentatives de réconciliation ont échoué, malgré la signature d’une demi-douzaine d’accords. Chaque entité comprend des courants favorables et des courants maximalistes.

Les dialogues, aujourd’hui, se concentrent sur deux thématiques :
- La question de la représentation palestinienne, et notamment de savoir s'il faut ouvrir l’OLP aux islamistes du Hamas. Le Hamas ne tient d'ailleurs pas spécialement à être la pierre angulaire d’un futur gouvernement mais plutôt à disposer d’une sorte de pouvoir de veto.
- Le type de solution politique envisagée par l’OLP

Israël considère qu’il n’a pas intérêt à une telle réconciliation et met activement en œuvre des politiques d’arrestation ciblée contre des acteurs clefs favorables à la réunification, y compris contre les cadres du Fatah. Ce faisant, il entrave toute possibilité de réconciliation interpalestinienne.

Israël et l’Autorité palestinienne pourraient-ils accepter, comme les États-Unis le souhaitent, une gouvernance de l’Autorité dans l’enclave de Gaza ? Un gouvernement palestinien d’union nationale, comprenant le Hamas, est-il envisageable ?

Le Hamas ne tient pas spécialement à gouverner et les États-Unis sont favorables au retour de l’Autorité palestinienne à Gaza, ce qui marquerait la réconciliation palestinienne et signifierait le départ du Hamas de Gaza.

Israël, en revanche, s’oppose complètement au déploiement de l'Autorité palestinienne dans Gaza, privilégiant d’autres formes d’administration : soit un contrôle direct de l’enclave de leur part (avec des projets de constructions déjà publiés par des promoteurs immobiliers), soit le déploiement d’une force internationale, soit une gestion purement sécuritaire.

Quel intérêt y aurait-il à être les seuls responsables dans un territoire impossible à gouverner ?

L’Autorité palestinienne, elle, n’est intéressée à la gouvernance qu’en façade : certes, cela signifierait la fin des divisions et la reprise en main par rapport au Hamas, mais au prix d’un coût politique extrêmement lourd sur une zone où sa légitimité est faible et où les attentes sont considérables. Quel intérêt y aurait-il à être les seuls responsables dans un territoire impossible à gouverner ?

La légitimité d’un éventuel pouvoir politique dépendra de l’effectivité réelle de son mandat, en dehors des seuls aspects humanitaires. Comment organiser des élections démocratiques et donner aux Palestiniens une possibilité d’expression dans les territoires de Gaza et de la Cisjordanie ? La capacité d’une autorité à ne pas être seulement la gestionnaire des affaires courantes mais bien la source de décisions politiques conditionnera l’assise et la légitimité d’un gouvernement palestinien.

Sans processus politique poussé par la communauté internationale pour sortir du statu quo, il semble vain d’imaginer une quelconque légitimité pour le gouvernement, actuel ou prochain.

Propos recueillis par Hortense Miginiac

Copyright image : Mohammed ABED / AFP

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