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06/10/2023

En quête de stabilité et de paix : les Slovaques ont-ils fait le bon choix ? 

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En quête de stabilité et de paix : les Slovaques ont-ils fait le bon choix ? 
 Kinga Brudzińska
Auteur
Chercheuse associée à l'Institut pour la région du Danube et l'Europe centrale de Vienne

Incertitudes sur la guerre en Ukraine, inquiétudes pour son modèle de démocratie : c'est une Union européenne tendue qui a observé le résultat des élections législatives en Slovaquie le 30 septembre dernier. 

La victoire du parti d’extrême-droite pro-russe de Robert Fico a été accueillie comme une nouvelle préoccupante et un précédent de mauvaise augure avant les législatives polonaises du 15 octobre.

Si le pragmatisme prudent qui prévaut à Bratislava peut permettre d’écarter certains scénarios noirs, il ne suffit pas pour rassurer : les nuages slovaques vont-ils s’étendre par le Nord jusqu’à Varsovie et assombrir encore un peu la situation orientale, vers Kiev ?

La Slovaquie est un pays polarisé. Jusqu’au bout, les spécialistes et commentateurs slovaques sont restés divisés sur l’identité du vainqueur des législatives anticipées, entre d’une part, le parti populiste de gauche SMER-SSD (Direction) dirigé par Robert Fico (Premier ministre de 2006 à 2010, puis de 2012 à 2018), et d’autre part, le parti libéral centriste Progresivne Slovensko (Slovaquie progressiste, PS) emmené par Michal Šimečka, vice-président du Parlement européen et nouveau venu dans la politique nationale. Les deux partis ont chacun mené une campagne réussie, comme en une parfaite illustration de la polarisation politique de ce pays d’Europe centrale. 

Robert Fico a mené une campagne pro-russe et anti-américaine, avec la promesse de ramener la stabilité politique et la paix dans le pays, notamment en cessant l’aide militaire à l’Ukraine voisine (pour de nombreux Slovaques, la guerre est la première cause d’instabilité sur leur territoire et doit prendre fin). Michal Šimečka a quant à lui suivi une approche pro-Europe et pro-OTAN, en plus de s’engager dans la défense des droits LGBT+. Il promettait à la jeunesse slovaque un avenir meilleur, basé sur le respect de l’État de droit et de solides principes démocratiques. 

Robert Fico a mené une campagne pro-russe et anti-américaine, avec la promesse de ramener la stabilité politique et la paix dans le pays.

L'arène politique slovaque est fragmentée. Le fait que ce pays d’environ 5 millions d'habitants (dont 4,4 millions d'électeurs) puisse compter entre 23 et 25 partis politiques désireux d'être présents au parlement complique singulièrement la formation d'une coalition gouvernementale.

La Slovaquie fait face à des menaces hybrides, et sa population manifeste une profonde défiance à l'égard de ses institutions étatiques. À titre d’illustration, un sondage récent a révélé que les Slovaques sont respectivement 73  % et 75  % à ne pas avoir confiance dans leur gouvernement et dans leur parlement - bien plus que les citoyens de nations voisines -, et qu’ils veulent une personnalité forte à la tête de leur pays. Le sentiment pro-russe est bien présent au sein d’une partie de la population : selon les sondages d’opinion, seuls 40  % des Slovaques tiennent la Russie responsable de la guerre en Ukraine, tandis qu’ils sont 34 % à penser que c'est l'Occident qui a provoqué la Russie. Et seulement 54  % d’entre eux considèrent la Russie comme une menace pour leur sécurité. En l’espace d’un an, le pourcentage de Slovaques blâmant la Russie, plutôt que l’Ukraine ou l’Occident, a reculé de 51 % à 40 %. La Slovaquie est donc une cible privilégiée pour l’influence russe et les menaces hybrides.

État de droit, inflation et guerre en Ukraine : une campagne électorale sous le coup des crises

Les menaces pesant sur l’état de droit furent au cœur de la campagne. L’assassinat, en 2018, du journaliste d’investigation Jan Kuciak et de sa fiancée a provoqué de vifs débats sur la nécessité de renforcer les mesures anti-corruption et d’amener en justice les coupables de ce meurtre. Dans leur campagne électorale de 2020, les partis de la coalition au pouvoir se sont engagés à lutter contre la corruption, ce qui s’est ensuite traduit par de nombreux procès contre des chefs d’entreprise, des juges, des policiers et des personnalités politiques. Soupçonné d’avoir utilisé des informations provenant des services de police et de l’administration fiscale pour salir ses opposants, Robert Fico a lui-même fait l’objet de poursuites - lesquelles ont toutefois été abandonnées depuis.

La situation économique a aussi mobilisé les candidats. À 9,6  %, le taux d'inflation observé en Slovaquie est très supérieur à la moyenne de l'Union européenne (4,2 %), y compris à celle de la France (5,7 %). La lutte contre l’inflation a été l’un des grands sujets de la campagne et une priorité pour de nombreux électeurs, qui sont nombreux à dénoncer l'inaction de la coalition sortante face à la flambée des prix de l’énergie. La santé et l'enseignement ont également été des thèmes phares dans cette campagne.

Il a affiché son opposition aux sanctions contre la Russie et manifesté son soutien au rétablissement des relations avec cette dernière. Or, la population slovaque est divisée sur la question de l'Ukraine : si elle est globalement favorable au déploiement d'une aide humanitaire, à l'accueil de réfugiés ukrainiens et à l'adoption de sanctions, elle se montre plus ambivalente quant aux dons militaires à l'Ukraine, notamment par crainte que ceux-ci ne prolongent le conflit et n’entretiennent l'instabilité dans la région.

La population slovaque est divisée sur la question de l'Ukraine [...] elle se montre plus ambivalente quant aux dons militaires à l'Ukraine.

La valse des incertitudes : coalitions potentielles et scénarios probables 

Deux scénarios sont envisageables. Le premier, le plus plausible, est celui de la formation d'une coalition tripartite SMER-Hlas-SNS. Ces trois partis se sont déjà alliés par le passé et, durant la campagne, ils n'ont jamais exclu de former une coalition, bien que leurs positions soient différentes, notamment sur l'Union européenne et sur l’OTAN (voire sur les dons militaires à l'Ukraine) - de sorte que même si Robert Fico reprenait la tête du gouvernement, le soutien à l'Ukraine pourrait être maintenu. Comme ils comptabilisaient un total de 79 sièges sur 150 au Parlement (où la majorité est atteinte dès 76 sièges), une telle coalition ne serait, a priori, ni optimale ni stable.

Le deuxième scénario est celui d'une coalition quadripartite PS-Hlas-SaS-KDH, dans le cas moins probable où le premier scénario n'aboutirait pas. Ces quatre partis, qui détiennent ensemble 81 sièges, formeraient alors un gouvernement pro-européen stable et le soutien à l'Ukraine serait maintenu. Il n’y aurait toutefois pas de consensus sur les moyens employés pour promouvoir et défendre les valeurs fondamentales, telles que les droits des personnes LGBTQ+ ou la lutte contre la corruption. 

Reste à savoir quel sera l'impact de la trajectoire politique de la Slovaquie sur l'Ukraine. Or, Robert Fico a, par le passé, fait preuve de pragmatisme sur les scènes européenne et transatlantique : s'il a critiqué, par exemple, l'OTAN et l'Union européenne, il n’est pas allé jusqu’à proposer que son pays en sorte. De plus, son nouveau gouvernement devrait se concentrer principalement sur les affaires domestiques plutôt que de mettre ses forces dans ses frontières Est. Enfin, la Slovaquie a déjà envoyé la plupart de son équipement militaire à l'Ukraine et a tenu la quasi intégralité de ses engagements. Les négociations visant à former un gouvernement de coalition pourraient par ailleurs mener, comme en 2017, à la signature d’une déclaration commune sur les priorités liées à l'appartenance de la Slovaquie à l'Union et à l'OTAN, ce qui supposerait le maintien sans équivoque d'une orientation pro-européenne et pro-atlantique dans l'intérêt stratégique de la République slovaque. 

Nul doute que les résultats de ces législatives auront une incidence sur les prochaines élections européennes de juin 2024.

De plus, nul doute que les résultats de ces législatives auront une incidence sur les prochaines élections européennes de juin 2024. Selon le dernier Eurobaromètre, un quart seulement des citoyens interrogés juge que la Slovaquie serait promise à un meilleur avenir hors de l'Union européenne. Les Slovaques sont donc attachés au marché commun, mais leur taux de participation aux élections du Parlement européen est faible (23 % en 2019). 

En conclusion, après une campagne électorale énergique et houleuse, la question cruciale est de savoir si la prochaine coalition gouvernementale aura les moyens d'apporter l'unité et la stabilité tant réclamée par les Slovaques. Un échec pourrait être lourd de conséquences, non seulement pour la Slovaquie, mais aussi pour le reste de la région et pour l'Union européenne.

 

Copyright Image : VLADIMIR SIMICEK / AFP

 

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