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11/04/2017

[Anti-brouillard] Accès aux soins : des promesses coûteuses aux contours flous

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[Anti-brouillard] Accès aux soins : des promesses coûteuses aux contours flous
 Angèle Malâtre-Lansac
Auteur
Déléguée générale de l'Alliance pour la santé mentale

 

Pour la première fois, la santé occupe une place importante dans la campagne présidentielle, et chaque candidat a présenté son ordonnance pour réformer notre système de santé. Au c'ur des programmes : la question du remboursement des soins et du coût pour les patients. Les débats sur la santé se sont en effet beaucoup concentrés autour de cet enjeu : qui de la Sécurité sociale ou des mutuelles doit payer ? Comment permettre aux patients de ne plus débourser d'argent pour les soins les plus coûteux ? Comment lutter contre les dépassements d'honoraires et faire baisser la participation financière des patients ?

Santé trop chère ? Le coût des soins est-il un véritable enjeu en France ?

D’après une étude de la Caisse nationale de l’Assurance maladie, un quart des assurés sociaux aurait renoncé à des soins en 2016. Parmi les soins les plus touchés par ce renoncement figurent en premier lieu les soins dentaires, notamment les prothèses (près de 40 % des renoncements), loin devant l’optique et les spécialistes. La raison financière est citée en premier, suivie des délais d’attente pour avoir un rendez-vous et d’autres freins plus culturels (peur du médecin, peur du diagnostic, etc.).

Le renoncement aux soins pour des raisons financières est donc une réalité qui doit être combattue. Mais rappelons toutefois que le reste à charge, c’est-à-dire la participation des ménages après intervention de l’assurance maladie et des complémentaires (mutuelles, instituts de prévoyance ou assurances privées), est en France la plus faible de tous les pays de l’OCDE. Avec 7 % de la dépense courante de santé financée directement par les ménages, ce reste à charge est inférieur de moitié à la moyenne de l’OCDE qui se situe autour de 15%.

Le reste à charge par habitant exprimé en parité de pouvoir d’achat ("PPA" qui permet de comparer les coûts en fonction du niveau de vie de chaque pays) est également le plus faible en France : 230€ alors que la moyenne de l’Union européenne est de 470€. Ce reste à charge est nettement supérieur en Norvège (665€), aux États-Unis (780€) et surtout en Suisse (1 370€) selon la Drees.

Ainsi, en France, de nombreux dispositifs permettent une bonne prise en charge des dépenses de santé :

  • pour les patients ayant besoin de soins coûteux avec le dispositif des affections de longue durée (ALD) qui permet la prise en charge à 100% des dépenses des personnes souffrant de maladie chronique comportant un traitement prolongé et des soins particulièrement coûteux. 11 millions de personnes sont couvertes par ce régime ;
  • pour les personnes dont les ressources sont limitées : la CMU (devenue PUMA en 2016), l’aide médicale d’État, la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) créées en 2000, puis l’aide à la complémentaire santé (ACS) créée en 2005 permettent aux plus démunis d’avoir une couverture financière satisfaisante. Il faut toutefois souligner que le non-recours à ces dispositifs est très fort : les trois quart des personnes éligibles à l’ACS ne font pas valoir leur droit et un tiers des bénéficiaires potentiels n'a pas recours à la couverture maladie universelle complémentaire… Et si le véritable enjeu de l’accès aux soins était plutôt de garantir le recours à ces dispositifs plutôt que d’en créer de nouveaux ?

Mettre fin aux reste à charge : combien ça coûte ?

Au cours de la campagne, tous les candidats ont évoqué la question du reste à charge des ménages : comment limiter la participation financière des patients ? Comment prendre en charge intégralement les dépenses de santé ? Retour sur les programmes… et leur coût pour les finances publiques.

Du côté d’En Marche !, Emmanuel Macron propose une prise en charge à 100 % des frais optiques, dentaires et des audioprothèses qui représentent à eux seuls près de 5 milliards d’euros pour les patients : 2,5 milliards pour les soins dentaires, 1,5 milliards pour l’optique, 760 millions pour les audioprothèses. Emmanuel Macron propose de répartir le coût de cette prise en charge entre assurance maladie et complémentaires santé et parie sur une baisse des tarifs grâce à la mise en concurrence des complémentaires et à la négociation avec les professionnels. Nous avons évalué le coût de cette mesure à 1,8 milliards d’euros pour l’assurance maladie, dans l’hypothèse où la prise en charge serait partagée à part égale entre cette dernière et les complémentaires.

Pour Les Républicains, François Fillon s’est engagé pour un "reste à charge zéro" qui engloberait les dépassements d’honoraires des médecins en sus de l’optique, du dentaire et des audioprothèses. Le candidat promet également que l’optique pour les enfants sera pris en charge intégralement par l’assurance maladie pour un coût médian estimé à 390 millions d’euros. Le mécanisme de lutte contre les restes à charge est différent de celui proposé par En Marche ! puisque le candidat Les Républicains propose de faire peser l’intégralité de ces coûts sur les complémentaires santé qui seraient mises en concurrence et disposeraient de plus grands pouvoirs de négociation avec les professionnels de santé. Ce coût est évalué à 280 millions d’euros annuels. L’impact le plus sensible de cette mesure pourrait toutefois se situer au niveau du coût des complémentaires qui pourrait sensiblement augmenter.

Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France Insoumise, promet pour sa part la suppression des dépassements d’honoraires qui représentent 3 milliards d’euros pour les médecins, près de 5 milliards pour les dentistes et la quasi-totalité de la rémunération des opticiens et des audioprothésistes. Cette mesure, très positive pour l’accès aux soins des catégories moyennes et modestes, aurait probablement à long terme un impact défavorable sur la qualité des soins compte tenu de la réduction des revenus des professionnels de santé et du risque d’un développement d’un système de santé à deux vitesses. De plus, on peut imaginer que pour limiter l’impact de la réforme pour les professionnels concernés, le candidat pourrait décider d’une hausse des tarifs. Selon notre chiffrage, la compensation de 60 % des dépassements est évaluée à 7,2 milliards d’euros par an.

Sécu, mutuelles : qui paye pour la santé ?

En France, l’assurance maladie est le principal financeur de la dépense de soins et prend en charge 76% de la dépense (la prise en charge publique des dépenses de santé est de 73% en moyenne dans l’OCDE). Ce financement varie toutefois largement en fonction des soins : ainsi, la Sécurité sociale prend en charge plus de 90 % des dépenses hospitalières contre 50 à 60% des dépenses liées aux soins de ville (professionnels libéraux : médecins généralistes, spécialistes, auxiliaires médicaux, mais aussi consommation de médicaments, actes de biologie, frais de transport,…)

Les complémentaires santé (mutuelles et autres) financent pour leur part près de 15% des dépenses de santé. Elles jouent un rôle plus important en France que dans la plupart des autres pays de l’OCDE. Elles sont notamment très utiles pour les soins optiques, dentaires et les audioprothèses : les complémentaires financent ainsi à plus de 70 % les soins d’optique, à 40 % les soins dentaires et à 30 % l’audioprothèse.

Depuis le 1er janvier 2016, suite à l’accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2013, la généralisation de la complémentaire santé en entreprise est mise en place et plus de 95 % des personnes résidant en France sont aujourd’hui couvertes par une complémentaire santé.

Le débat sur le rôle des complémentaires santé a été vif pendant la campagne, avec la proposition développée dans une tribune du Monde datée de janvier 2017 de l’économiste Didier Tabuteau et du directeur général de l’APHP, Martin Hirsch, de nationaliser les complémentaires santé critiquées pour leur complexité et leurs coûts de gestion.

La proposition de Jean-Luc Mélenchon de faire rembourser par la Sécurité sociale l’intégralité des soins de santé prescrits pourrait coûter 16,4 milliards d’euros par an à l’assurance maladie. Si les complémentaires santé étaient totalement supprimées, ce coût pourrait dépasser les 40 milliards d’euros selon les chiffrages de la Mutualité française.

Et si on parlait de la qualité des soins ?

Souvent soucieux de mettre en avant des mesures emblématiques, les candidats semblent parfois oublier que les pratiques médicales sont en pleine évolution en raison des progrès médicaux et que les besoins de santé de la population changent très rapidement du fait du vieillissement et du développement des pathologies chroniques. Dans ce contexte changeant, rien ne sert de multiplier les actes ou de les rembourser intégralement si leur qualité laisse à désirer.

On sait pourtant que les pratiques varient largement d’une région à une autre et d’un établissement à l’autre malgré les recommandations de la Haute autorité de santé : par exemple, les pratiques chirurgicales en cas de cancer du sein ne sont pas les mêmes partout en France et font varier les chances des patientes comme l’a montré l’IRDES récemment. Les césariennes programmées sont un autre exemple : on constate des pratiques très différentes en fonction des régions et des taux variant de 2 à 20 %. Ou encore l’ablation de la vésicule biliaire, une opération très courante, dont le taux de recours varie entre 78 pour 100 000 habitants et 224 selon les départements…

Cet enjeu de la qualité et de la pertinence des actes est crucial, chaque patient devrait en effet pouvoir bénéficier des meilleurs soins possibles et d’une information claire et pertinente concernant sa pathologie, la qualité des établissements de santé, les comportements à adopter etc.

Assurer la qualité des soins permet aussi de dégager des marges de manœuvre financières qui pourraient être réinvesties dans la modernisation de notre système de santé. Ainsi, selon l’OCDE, un cinquième à un tiers des dépenses de santé dans les pays développés relèveraient du gaspillage : mauvaises prescriptions, redondance des actes, errances thérapeutiques, soins inadaptés ou inutiles, non respects des recommandations, etc. Pour lutter contre ces dépenses inutiles et assurer à tous des soins de qualité partout sur le territoire, un investissement massif doit être fait dans les systèmes d’information, le développement de bases de données partagées, la publication d’indicateurs sur la pertinence des actes comme sur leur qualité, l’information et l’incitation pour responsabiliser patients et professionnels de santé.

Encourager la qualité et évaluer la performance de notre système de santé est doublement gagnant : pour les patients, qui bénéficieront des meilleurs soins possibles, et pour le budget de l’assurance maladie.

Angèle Malâtre-Lansac est Directrice déléguée à la Santé à l'Institut Montaigne.

Pour aller plus loin :

Présidentielle 2017 : le grand décryptage - Santé et Protection sociale

Anti-brouillard - Immigration : et si on arrêtait les fantasmes ?

Anti-brouillard - Le Brexit n’a pas eu lieu (pas encore)

Anti-brouillard - Au diable la Constitution'

Anti-brouillard - Évasion fiscale : la cagnotte miracle ?

Anti-brouillard - Sortie de l’euro : démêler le vrai du faux

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