Proposer un prêt de l'État jusqu'à 100 000 euros à un taux zéro, plus remboursé après le 3e enfant
« Je propose un prêt de l’État de 100 000 euros, adossé sur un prêt bancaire, à taux zéro pour l’accès à la propriété, prêt qui ne sera plus remboursé à partir du troisième enfant. »
Source ; Twitter de Marine le Pen à la suite d’une interview sur France Info.
Marine le Pen propose qu’un jeune couple puisse emprunter jusqu’à 100 000 € à l’État qu’il rembourse à un taux zéro, adossé à un emprunt bancaire permettant de faciliter l’accès à la propriété des ménages locataires. Cette mesure est complétée par une politique de natalité incitative : au troisième enfant, il ne sera plus nécessaire de rembourser le prêt.
Sans précision supplémentaire, on peut faire l’hypothèse que la mesure concerne tous les ménages en couple, de moins de 35 ans, qui bénéficieraient dès lors d’un prêt à taux zéro. Ces ménages devront le rembourser intégralement s’ils ont entre zéro et deux enfants, mais arrêteront de le rembourser à partir du troisième enfant.
En raison du contexte de taux bas et du faible taux de défaillance, un tel prêt à taux zéro pourrait sembler de prime abord indolore pour les finances publiques. Or, compte tenu de l’accroissement rapide de l’endettement de l’État induit par cette mesure, la prime de risque des emprunts des administrations publiques françaises s’accroîtrait et la charge d’intérêts serait alourdie. En y ajoutant les défaillances ainsi que le non-remboursement de 60 % du prêt par les familles ayant 3 enfants, la mesure pourrait coûter, selon les hypothèses de recours, autour de 13 Md€ par an.
Impact macroéconomique
Si la mesure permet d’augmenter le pouvoir d’achat des jeunes couples par un prêt à taux zéro et doit permettre de réduire le taux d’effort des ménages, une telle mesure conduit d’une part à accroître significativement les risques sur la dette portés par l’État ainsi qu’à renchérir le prix de l’immobilier, déjà problématique en zones tendues, ce qui limiterait l’effet réel de la mesure.
Les effets macroéconomiques sont donc doubles :
- En accroissant significativement le pouvoir d’achat des ménages, les prix de l’immobilier augmenteraient, l’offre de biens immobiliers – c’est-à-dire le nombre de biens mis en vente, en particulier neufs – ne pouvant évoluer aussi rapidement. En effet, les difficultés de recrutement dans le secteur sont déjà élevées (1). Cette augmentation des prix compenserait ainsi en partie le gain en pouvoir d’achat des ménages bénéficiant de cette mesure. Cet effet est incertain et donc non évalué dans ce chiffrage.
- Par ailleurs, en augmentant de manière significative la dette de l’État, cette mesure modifierait de manière très importante le profil de risque portant sur l’État. L’accroissement de la dette publique de l’ordre de 10 points de PIB conduirait à une augmentation mécanique des taux d’intérêts auxquels l’État est soumis et, donc, la charge d’intérêts associée. Le rapport Situation et perspectives des finances publiques de juin 2020 a montré que le spread de taux (c’est-à-dire l’écart de taux entre un pays et le pays de référence – en l’occurrence l’Allemagne en Europe) (2) augmentait de l’ordre de 3 points entre un pays dont la dette publique est comprise entre 90 et 120 points de PIB et un pays dont la dette est supérieure à 120 points de PIB. Une hausse de taux significative fragiliserait l’ensemble du secteur financier français : un choc de taux à la hausse fragiliserait la capacité de transformation du système bancaire, et donc la rentabilité et la viabilité des banques, et les assureurs vie feraient face à une dévalorisation de leurs actifs.
À l’inverse, cette mesure pourrait avoir un effet positif sur la démographie qui serait bénéfique à long terme (à l’horizon 20 ans) grâce à la croissance de la population active. En effet, les familles auraient financièrement intérêt à avoir un troisième enfant – qui annulerait une dette de l’ordre de quelques dizaines de milliers d’euros.
(1) Cf. notamment l’encadré 1 de la note de conjoncture de l’Insee de décembre 2021.
(2) ccomptes.fr graphique 24.
Plusieurs hypothèses sont nécessaires pour ce chiffrage :
- Le montant du prêt est de 100 000 € : au vu du coût du logement et en raison du caractère à taux zéro de ce prêt, on fait l’hypothèse que tous les bénéficiaires demanderont à bénéficier de l’intégralité de l’enveloppe qui peut leur être allouée ;
- Le prêt est consenti sur 20 ans ; la durée moyenne des prêts est de 19 ans et demi, mais la durée moyenne des prêts pour l’accession seule est de 20 ans et 10 mois (3). La moitié des nouveaux contrats de prêt sont signés sur une durée supérieure à 20 ans, permettant ainsi de respecter les règles du Haut Conseil de stabilité financière – d’un taux d’endettement à 35 % maximum, assurance de prêt comprise. Une autre hypothèse pourrait être de considérer la durée du prêt sur 25 ans.
- Le taux d’intérêt annuel sur l’emprunt, garanti par l’État, est de 1,25 % ; en effet, le taux moyen de la dette de l’État est de 1,25 % en 2020 (4).
- 40 % des jeunes couples sont primo-accédants et solliciteraient donc ce prêt ; en hypothèse basse, on peut considérer que seuls 30 % des jeunes couples éligibles le solliciteraient et en hypothèse haute 60 % ;
- Le taux de défaillance sur les crédits immobiliers est de 1,5 % (5) soit un taux annuel de 0,20 % ;
- En moyenne, les familles ayant plus de trois enfants auront remboursé déjà 40 % de leur prêt au moment du troisième enfant et de l’arrêt des remboursements – en faisant l’hypothèse que la naissance du premier enfant arrive au moment du prêt et que les deux naissances suivantes ont lieu dans les huit premières années du prêt sur sa durée de 20 ans) (6).
Plusieurs familles de coûts sont alors à prendre en compte :
- Le coût de la prise en charge des intérêts : en raison d’un taux d’intérêt de 1,25 % d’un prêt de 100 000 €, le coût pour l’État d’un seul prêt est de 1 250 € sans défaillance. Or avec un ratio plus fort de locataires parmi les ménages jeunes (79 % des couples sans enfants sont locataires à 30 ans contre moins de 40 % pour les 40-49 ans ; 60 % des couples avec enfants sont locataires à 30 ans) (7), on peut considérer qu’environ 70 % des couples de moins de 35 ans sont locataires, et ils sont ensuite à 40 % propriétaires accédant (entre 30 et 39 ans). Entre 20 et 35 ans, il y a 4,46 millions de couples (8).
Si l’objectif est donc d’augmenter la part des locataires devenant propriétaire accédant, on peut formuler l’hypothèse moyenne que 40 % des locataires choisiront de solliciter ce prêt. soit 1,79 M de couples. L’encours sera alors de 179 Md€ : la prise en charge par l’État, soit l’accroissement annuel des intérêts de l’État, est alors le montant de la hausse de dette supplémentaire multiplié par le taux apparent d’intérêt de l’État : soit un coût de 2,2 Md€. - Le surcoût sur la charge de la dette est significatif, au regard du risque pris par l’État français sur cette dette. Avec une dette publique de 2649 Md€ à fin 2020 (dette maastrichtienne, source : comptes nationaux de l’Insee), un accroissement de 1,5 points des taux d’intérêts coûterait plusieurs dizaines de Md€ de charges d’intérêts supplémentaires, dont l’accroissement serait étalé sur la durée de vie de la dette. En pratique, avec une durée de vie moyenne d’un peu moins de 8 ans et demi aujourd’hui (9), seul un tiers de la dette serait concernée, ce qui réduit le coût à l’issue du quinquennat. L’hypothèse moyenne ne retient qu’une hausse du spread d’un demi-point dans l’hypothèse centrale, soit un surcoût à l’horizon du quinquennat de 7,5 Md€ (10), soit de l’ordre de 0,5 point de PIB 2027. L’hypothèse basse représente une absence de surcoût sur cette mesure et l’hypothèse haute correspond au spread de 3 points, soit 22,5 Md€.
- Le coût de la prise en charge des défaillances : le premier type de défaillance est la défaillance classique d’un crédit immobilier, estimé en France à 1,5 % en raison des nombreux mécanismes de protection (cautionnement notamment). Dans ce cas, l’encours total du prêt (179 Md€) avec un risque de défaut de 1,5 % – soit un risque annuel de défaillance sur 20 ans de 0,75 % – se traduit par un défaut attendu de 0,13 Md€ par an.
- Par ailleurs, en cas de naissance d’un troisième enfant, les mensualités restantes du prêt contracté ne devront plus être remboursées. Afin de le chiffrer, il est nécessaire de savoir la part des familles qui auront 3 enfants et plus, et la durée moyenne du prêt après la naissance du troisième enfant qui resterait à rembourser. En 2018, l’Insee considère que sur les 18,4 millions de familles en France, 1,7 millions de familles ont 3 enfants ou plus soit 9,2 % des familles (11). En prenant une hypothèse parmi les jeunes couples de 8,5 % qui auront trois enfants ou plus, on peut faire l’hypothèse que 8,5 % des ménages ne rembourseront pas l’intégralité de leur prêt. Si on prend une hypothèse de natalité – dès lors que les familles ont un intérêt à avoir un troisième enfant – que les trois naissances auront globalement lieu dans les 8 premières années du prêt, alors ils ne rembourseraient pas leurs prêts sur 60 % de celui-ci (les 12 années restantes). Cela risque de coûter alors 9,1 Md€ sur la durée du quinquennat, soit 1,8 Md€ par an en étalant le coût.
- Enfin, il est pris en compte un coût de gestion et de distribution de ces prêts. Les frais de fonctionnement des banques commerciales en France représentent de l’ordre de 0,8 % de leur actif (12). L’hypothèse prise en compte ici correspond à des frais de gestion moins élevés, de l’ordre de 0,5 % du volume total de prêt dans l’hypothèse centrale, 0,25 % dans l’hypothèse basse et 0,75 % dans l’hypothèse haute. En pratique, si ces prêts étaient distribués par les banques commerciales usuelles, il se pourrait qu’elles demandent une contrepartie financière aux surcoûts occasionnés pour elles-mêmes dans la gestion et la distribution de ces prêts. La prise en charge directement par l’État mettrait à contribution vraisemblablement la DGFiP dont les coûts de fonctionnement pourraient alors s’accroître à due concurrence.
Ainsi, par an :
- Le coût pour l’État de la prise en charge des intérêts, sans défaillance, est de 2,2 Md€ ;
- Le coût pour l’État de la prise en charge des défaillances est de 0,13 Md€ ;
- Le surcoût lié au spread est de 7,5 Md€ ;
- Le coût pour l’État de la prise en charge du défaut de remboursement des ménages ayant 3 enfants et plus est de 1,8 Md€
- Le coût de la distribution des prêts serait de près d’1 Md€ par an.
Ces prêts à taux zéro sont donc estimés à hauteur d’un coût pour l’État de près de 13 Md€ par an à l’horizon du quinquennat.
Une fourchette d’estimation peut être calculée :
- Hypothèse basse : En réduisant le taux de recours à 30 % des jeunes couples, l’encours total se réduit – réduisant mathématiquement le montant des défaillances, l’accroissement annuel des intérêts de l’État. En considérant aucun surcoût lié au spread, on arrive alors à 3,5 Md€ par an, en cumulant toutes les hypothèses favorables liées à ce chiffrage.
- Hypothèse haute : les ménages décident d’accéder davantage à la propriété et 60 % sollicitent ce prêt. Dans ce cas, l’encours global des prêts augmentent à 268 Md€ ce qui se traduit par des montants annuels de défaillance et un accroissement annuel des intérêts de l’État ainsi que des coûts de distribution qui sont considérés comme proportionnels au montant total de prêts. En prenant une hypothèse de spread à 3 %, le coût annuel est de 22,5 Md€ – contre 7,5 Md€ en hypothèse moyenne. Au total, le coût de la mesure est estimé à 30,8 Md€ par an.
Fiabilité du chiffrage
Faute d’information supplémentaire de la candidate, la précision de ce chiffrage est limitée : il repose en effet sur un comportement d’éviction du crédit privé. Par ailleurs, le chiffrage est réalisé dans un contexte de taux bas, alors que le retournement des taux n’est pas improbable dans les prochaines années.
Difficulté
Le coût de l’accroissement des taux d’intérêt de la dette est fragile, car reposant sur de nombreuses hypothèses.
Ce chiffrage ne prend pas en compte les effets directs de cette incitation à avoir au moins 3 enfants, ce qui pourrait augmenter le nombre de non remboursements. Un tel accroissement du nombre de naissances pourrait par ailleurs avoir d’autres effets à l’horizon du quinquennat, non pris en compte dans ce chiffrage, d’accroissement de certaines aides sociales, voire d’éducation nationale. Les études empiriques démontrent que les incitations fiscales ont pu avoir des effets sur la natalité (13), mais les conséquences financières d’un accroissement du nombre d’enfant dans un ménage étaient alors limitées – ce qui n’est pas le cas de la mesure proposée ici.
Historique de la mesure
Marine le Pen avait déjà proposé en 2012 un chèque premier logement, dont le montant aurait varié en fonction des ressources du foyer. Un tel crédit d’impôt n’avait pu être chiffré en 2012 par l’Institut Montaigne faute de détails de la proposition (14). Lors de l’élection présidentielle de 2007, l’idée d’un prêt gratuit de 10 000€ avait également été avancé par Ségolène Royal pour un coût estimé alors à 2,1 Md€ pour 3,5 M de jeunes bénéficiaires.
Il existe en revanche déjà de nombreuses aides pour l’accession d’une résidence principale, au niveau national et au niveau des collectivités territoriales, dans l’ancien comme dans le neuf. Action Logement permet ainsi de bénéficier d’une aide Prime accession de 10 000 €, sous conditions de ressources. Plusieurs régions, départements ou communes – 70 en 2020 selon l’Agence nationale de l’information sur le logement, en baisse – prévoient ainsi des prêts à taux zéro, des prêts bonifiés ou des subventions pour accompagner à l’accession à la propriété. Certaines communes prévoient des subventions allant jusqu’à 20 000 € (Amiens), ou des prêts à taux zéro jusqu’à 25 000 € (en Occitanie).
Benchmark
À notre connaissance, il n’existe aucun mécanisme national de prêt public de l’État à taux zéro pour faciliter la primo-accession des jeunes ménages comparable dans un pays étranger (15). Seul des prêts à taux préférentiel ont pu être mis en place comme en Slovaquie (prêt public entre 1-2 % sous conditions d’âge et conditions de ressources) à Malte, ou par les collectivités territoriales elle-même : ainsi, la ville de Rotterdam propose un prêt à taux préférentiel jusqu’à 30 000 € pour les primo-accédants entre 18 et 35 ans (16).
Mise en œuvre
Selon la forme que prendra ce mécanisme de prêt (dépense fiscale, prêt par la Banque de France ou garantie de l’État aux établissements bancaires), il sera nécessaire de passer par une loi. Si une telle mesure passe par la Banque de France, elle nécessitera alors une modification des statuts, cette dernière ne pouvant actuellement accorder de prêts aux particuliers.
Si l’État met en place un tel mécanisme, il sera nécessairement inscrit au sein d’une loi financière pour les dépenses fiscales et les garanties de l’État aux établissements bancaires.
Qui est concerné par une telle mesure ?
Cette mesure concerne les particuliers, en couples et jeunes, envisageant d’accéder à la propriété et de quitter le marché locatif.
(3) Observatoire Crédit Logement / CSA, novembre 2021.
(4) Agence France Trésor. La charge d’intérêt de la dette en LFI 2022 est prévue à 1,35% (39,5 Md€ de charge d’intérêt de la dette/ 2 834 Md€ de dette.)
(5) ACPR, Le financement de l’habitat en 2020, 2021.
(6) Insee, Un premier enfant à 28,5 ans en 2015 : 4,5 ans plus tard qu’en 1974, 2017.
(7) Insee, Les conditions de logement en France, édition 2017.
(8) Insee, Des ménages toujours plus nombreux, toujours plus petits, 2017
(9) Gouv.fr
(10) Trésor éco N° 297 de janvier 2022, La stratégie d’émission de la dette souveraine française, de Pol COPIN et Jean DALBARD, page 7
(11) Insee, Tableaux de l’économie française, 2021.
(12) Calcul à partir des données ACPR sur 2020 : les charges administratives sont de l’ordre de 90 Md€ (page 57), l’actif total d’un peu plus de 11 100 Md€ (page 48), soit des frais de gestion moyens de 0,8%.
(13) Camille Landais, Le quotient familial a-t-il stimulé la natalité française ?, Économie publique/Public economics, 13 | 2003/2, mis en ligne le 04 janvier 2006, consulté le 12 janvier 2022.
(14) Les Échos, Logement, les propositions des candidats passés au crible, décembre 2011.
(15) L’OCDE référence ainsi, au sein de son Affordable Housing Database, toutes les politiques publiques mises en œuvre en faveur de l’accès au logement. Au sein de l’indicateur « Subsidised mortgages and mortgage guarantees for home buyers: Overview of existing measures« , il existe notamment des mécanismes de garanties aux banques commerciales pour la fourniture de prêts à des ménages fragiles, des compléments de prêts par des fonds publics, mais aucun prêt à taux zéro de l’État vers des jeunes ménages.
(16) Themayor.eu
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