Exiger la mise en place sous deux ans d’un mécanisme de commande publique européen permettant à chaque État d’en réserver une part à ses entreprises nationales
« Il faut inciter fortement les consommateurs et la commande publique à favoriser les fournisseurs nationaux ».
Source : Programme Zemmour 2022
« Il n’y a aucune raison que tous les pays du monde réservent leurs marchés publics à leurs entreprises nationales pendant que la France fait le choix de l’étranger par dogmatisme budgétaire et européen (…). [Il faut] contraindre la commande publique à privilégier les entreprises françaises ».
Le candidat propose la mise en place d’un mécanisme de préférence nationale dans le cadre de la commande publique européenne, permettant d’en réserver une part (le niveau de celle-ci n’étant toutefois pas précisé) aux entreprises des États membres.
La faisabilité juridique d’une telle mesure est incertaine, dans la mesure où celle-ci se heurterait aux principes du droit de l’Union européenne régissant le fonctionnement du marché intérieur, notamment le principe de non-discrimination. Une modification du droit européen n’est pas acquise, certains pays s’opposant à priori à une mesure qui les pénaliserait ou qui constituerait un retour en arrière en termes de construction du marché intérieur européen. Une initiative unilatérale de la France pourrait dans ce contexte faire l’objet de recours auprès du juge européen.
Sur le plan économique, une telle mesure vise à accroître la part des marchés publics remportés par des entreprises françaises, et ainsi à stimuler leur production et l’emploi sur le territoire. Cela induirait toutefois également des impacts négatifs à travers un renchérissement des coûts en cas de remise en cause du principe de libre concurrence. Cela pourrait en outre se traduire par une perte de marchés pour les entreprises françaises dans les autres pays européens, dans la mesure où la mise en place d’une part nationale bénéficierait également aux entreprises des autres États membres au sein de l’UE. En outre, certains des États tiers pourraient adopter des mesures de rétorsion et limiter l’accès aux marchés publics des entreprises européennes, notamment si des accords commerciaux déjà en vigueur prenaient pour acquis l’ouverture des marchés publics européens.
À noter que les entreprises françaises ne seraient pas toutes impactées de la même manière par la mesure, certaines pouvant perdre l’accès de marchés publics extérieurs où elles sont déjà positionnées.
Si, la diminution de la concurrence pourrait se traduire nécessairement par des surcouts pour les administrations publiques, ceux-ci dépendraient néanmoins du degré d’utilisation par les donneurs d’ordre public de la faculté de limiter un appel d’offre aux seules entreprises françaises, et du degré de concurrence entre entreprises françaises (en partant d’un niveau déjà élevé d’attribution aux entreprises françaises). L’évaluation d’un tel surcoût est particulièrement incertaine et il est fait l’hypothèse qu’il ne se matérialiserait pas de manière significative avant la fin du quinquennat.
Impact macroéconomique / sur le pouvoir d’achat
La mise en place d’une préférence nationale dans la passation de marchés publics vise à accroître le nombre de contrats publics octroyés aux entreprises nationales, afin de stimuler leur production et l’emploi. Cela permettrait en outre d’améliorer le contrôle des marchés publics et des entreprises prestataires dans ce cadre. Toutefois, l’enjeu serait faible : la part de la commande publique française attribuée directement à des entreprises étrangères est de l’ordre de 2 % en France selon une étude du Conseil d’Analyse Économique datant de 2021. Enfin, la mesure est susceptible d’être contournée de diverses manières : vente à travers des filiales ou des intermédiaires nationaux, sous-traitance, etc. Ainsi, 12 % de la commande publique est déjà attribuée à des filiales françaises d’entreprises étrangères.
Une telle mesure pourrait néanmoins entraîner plusieurs inconvénients sur le plan macroéconomique. L’ouverture des marchés publics a permis de réduire les obstacles à l’achèvement du marché unique, d’accroître la concurrence et ainsi diminuer les coûts pour les donneurs d’ordres (et indirectement, le contribuable). Le respect de la libre concurrence garantit une meilleure affectation des ressources économiques aux entreprises les plus performantes ; les produits et services sont de meilleure qualité, et disponibles à moindre coût pour les autorités publiques. La remise en cause du principe de libre concurrence pourrait donc à l’inverse entraîner un renchérissement des coûts pour les entités publiques adjudicatrices et une hausse de la fiscalité.
L’ouverture des marchés publics français garantit en outre réciproquement l’accès de nos entreprises aux marchés européens et étrangers. La mise en place d’une préférence nationale devrait logiquement donner lieu à la mise en place par nos partenaires de mesures pénalisant la compétitivité de nos entreprises et leurs accès aux marchés étrangers, pouvant induire un impact négatif en termes de croissance et d’emploi. Une telle possibilité est en effet ouverte dans le cadre des règles de l’OMC et de l’accord sur les marchés publics renégocié en 2012 (art. XXII (1)), en cas de non-application de ce dernier.
Enfin, un tel retour en arrière en termes d’intégration du marché intérieur européen pourrait freiner la construction de géants européens capables de rivaliser avec les concurrents américains et asiatiques, qui opèrent sur des marchés de grande taille.
(1) Accord sur les marchés publics, OMC, 2012.
En l’absence de données consolidées sur les marchés publics remportés par des entreprises européennes et françaises, ainsi que de précisions du candidat sur le seuil exigé de part nationale, il est difficile d’estimer les gains et pertes potentielles de marchés pour les entreprises françaises. Les données disponibles permettent néanmoins de tirer des ordres de grandeur quant à la part des marchés publics donnant effectivement lieu à un octroi à des entreprises étrangères en France, et à la part des marchés publics ouvrant des opportunités pour les entreprises françaises et européennes dans les États tiers.
La France comptait 171 000 marchés publics d’un montant total de 111 Md€ en 2019 (4,6 % du PIB), répartis en trois parts :
- état et hôpitaux,
- collectivités territoriales,
- autres pouvoirs adjudicateurs (entreprises publiques notamment) (2)
Le nombre de marchés publics attribués directement à une entreprise étrangère serait toutefois relativement faible, oscillant entre 1 % et 3 % en moyenne selon les données de l’observatoire économique de la commande publique (soit environ 3,3 Md€). Ainsi, la part de la commande publique française attribuée
directement à des entreprises étrangères est de l’ordre de 2 % en France selon une étude du Conseil d’Analyse Économique datant de 2021. L’impact pourrait donc être relativement limité en termes de marchés publics supplémentaires bénéficiant aux entreprises nationales.
À l’inverse, les entreprises françaises bénéficient par effet de réciprocité de l’ouverture des marchés publics européens et étrangers.
Au niveau européen, les marchés publics représenteraient près de 2 448 milliards d’euros, soit plus de 16 % du PIB européen selon les données de la Commission européenne (2). Avant la mise en œuvre de la législation européenne en la matière (cf. infra), seuls 2 % des marchés publics étaient adjugés à des entreprises non nationales. À ce jour, 90 % des marchés publics européens sont ouverts à la libre concurrence, dont peuvent potentiellement bénéficier les entreprises françaises. Dès lors, la mise en place d’une part nationale bénéficierait également aux autres États membres et pourrait se traduire par une perte des marchés pour les entreprises françaises.
Au niveau mondial, le marché est estimé à 1 700 Md USD selon l’OMC, présentant ainsi des opportunités pour la France et l’UE. Ainsi, en 2015, l’UE agrégée aurait remporté pour près de 2,8 Md USD de marchés publics aux États-Unis, selon les données du Government Accountability Office (3). Selon une étude du CAE de 2021, la France fournissait en importation 2,9 % de la commande publique américaine et 1,8 % de la commande publique chinoise (contre respectivement 4,7 % et 4,3 % pour l’Allemagne). Or la mise en place d’un mécanisme instaurant une part nationale pour les États membres dans le cadre de la commande publique européenne pourrait entraîner la perte de l’accès à ces marchés pour les entreprises européennes.
Historique de la mesure
Il n’existe pas de dispositions en matière de préférence nationale en France. L’article L.2111-1 du code de la commande publique dispose néanmoins que « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision […] en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale » ; or la mise en place d’exigences élevées en matière de standards environnementaux et sociaux peut constituer une manière de favoriser indirectement les entreprises nationales.
Benchmark
Certains pays tiers ont mis en place des mécanismes de préférence nationale, à l’image des États-Unis (par exemple avec le Buy American Act dès 1933). Même si les deux pays sont des États parties à l’AMP dans le cadre de l’OMC, la part des marchés publics ouverte aux entreprises étrangères serait ainsi de seulement 30 % aux États-Unis et 28 % au Japon. De nombreux États ne sont par ailleurs pas partie à cet instrument, qui en compte 20 outre l’Union Européenne et ses États membres.
Dans ce contexte, la Commission européenne a présenté un projet de règlement visant à promouvoir la réciprocité dans l’accès aux marchés publics internationaux et permettant de restreindre l’accès aux marchés publics européens, dans le cas où un État tiers limiterait l’accès des entreprises de l’UE à ses propres marchés publics.
Mise en œuvre
La mise en place d’une telle mesure se heurterait aux principes du droit européen. Celui-ci repose en effet sur le principe de libre circulation des marchandises et de non-discrimination en fonction de la nationalité (article 18 du Traité sur le fonctionnement de l’européenne). Le principe de concurrence et de non-discrimination de la passation des marchés publics au sein de l’UE sont également encadrés par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics (considérant 90). La Cour de justice de l’Union européenne réaffirme avec constance ces principes de non-discrimination et de libre prestation, dont découlent l’interdiction de critères visant à réserver les marchés publics à des entreprises en raison de leur implantation locale, de leur nationalité, ainsi que des critères relatifs à l’utilisation de produits locaux, au détriment des entreprises et produits originaires d’autres États membres (5).
Le droit européen réserve certains marchés publics aux entreprises nationales, mais de manière limitée, lorsqu’ils sont notamment liés aux activités régaliennes (en matière de défense en particulier, bien que la directive 2009/81/CE ait introduit des règles spécifiques pour les marchés publics de la défense afin de faciliter l’accès aux marchés de la défense d’autres États membres).
La faisabilité juridique d’une telle mesure semble donc très incertaine, elle nécessiterait une modification des traités, qui nécessite l’unanimité des États membres, ce qui n’est pas acquis vu la nature autant économique que politique de la mesure. Une mise en œuvre unilatérale présenterait le risque de recours devant le juge européen.
Enfin, les entreprises françaises bénéficiant aujourd’hui de l’ouverture des autres marchés publics s’opposeraient probablement à la mesure, du fait des risques pour l’activité et l’emploi national.
(4) Rapport au Congrès du Government Accountability Office, Mai 2019.
(5) Par exemple dans l’arrêt de la Cour de Justice des communautés européennes, Commission des Communautés européennes contre République italienne, affaire C-360/89, 3 juin 1992.
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