« Je propose d’abord que l’État embauche d’urgence 1 000 médecins et les envoie en tant que salariés dans les déserts médicaux ».
Le candidat propose de recruter 1 000 médecins, qui seraient salariés par la puissance publique afin d’être affectés dans les zones sous dotées en médecins, la mesure visant à lutter contre les « déserts médicaux ». Les territoires ruraux étant les premiers touchés par ce phénomène, le candidat présente cette mesure dans la partie « ruralité » de son programme. L’équipe du candidat précise que les médecins seraient recrutés par les collectivités territoriales, auxquelles l’État verserait une compensation.
Le coût pour les finances publiques d’une telle mesure provient des coûts salariaux des médecins recrutés, qui seraient imputés au budget de l’État, ou plus vraisemblablement aux administrations de sécurité sociale (ASSO), qui font partie des administrations publiques.
Les 1000 médecins annoncés dans le cadre de cette mesure pourraient être issus soit de transferts d’autres zones géographiques ou secteurs du système de santé, soit nouvellement diplômés, soit issus d’autres secteurs d’activité, soit recrutés depuis l’étranger (possibilité que l’équipe de campagne exclut).
Ainsi, le coût de la mesure pourrait être faible si les 1 000 médecins affectés dans les déserts médicaux étaient « transférés » de zones bien dotées en médecins libéraux aux zones sous dotées. En effet, les médecins libéraux représentent déjà un coût pour les finances publiques puisqu’ils sont rémunérés par le remboursement des frais médicaux par l’Assurance maladie.
À l’inverse, le coût de la mesure pourrait atteindre 120 M€ dans le cas où les 1 000 médecins seraient recrutés à l’étranger, par une hausse immédiate du nombre de diplômés ou s’ils venaient de postes situés en dehors du système de soins (par exemple d’entreprises pharmaceutiques ou d’autres secteurs d’activité employant des médecins). D’autres coûts que les salaires pourraient se greffer, notamment pour améliorer l’attractivité des postes, aider financièrement à l’installation ou investir en équipements spécialisés.
Par ailleurs, la sous-dotation de certains territoires en personnels médicaux étant principalement liée au manque d’attractivité de ces territoires et non aux conditions d’exercice des professionnels (notamment leur statut), rien ne garantit alors que l’État soit en capacité de trouver des candidats. En effet, quel que soit le levier actionné, le résultat n’est pas acquis, il dépend de l’attractivité des postes proposés par rapport aux alternatives qui s’offriraient aux candidats potentiels (dans d’autres territoires ou d’autres secteurs d’activité).
Commentaires de l’équipe de campagne
Contactée, l’équipe de campagne revient sur les propos du candidat : les médecins ne seraient pas recrutés par l’État, mais par les collectivités. L’État leur verserait une compensation.
Le coût pour les finances publiques de la mesure présentée par le candidat pourrait être très faible si elle donnait lieu uniquement à des transferts depuis d’autres zones géographiques ou depuis l’hôpital. En effet, les 1 000 médecins seraient alors recrutés parmi les médecins en exercice ou les nouveaux diplômés de médecine qui, sans ce recrutement, auraient exercé en libéral ou en établissement de santé. Or, la quasi-totalité du revenu d’un médecin, même exerçant en libéral, est prise en charge par la collectivité, via l’Assurance maladie, qui rembourse le patient lorsqu’il est conventionné (en cas d’honoraires libres, l’assurance maladie continue à rémunérer le médecin, qui perçoit un complément d’honoraire par le patient).
En France, le reste à charge des patients s’établit à seulement 6,5 % de la consommation de soin. Par conséquent, en cas de simple transfert, la mesure serait relativement neutre pour le budget de l’État. Le même raisonnement s’applique, si les consultations réalisées par les médecins ainsi recrutés se substituaient à des consultations effectuées auprès d’autres médecins (grandes villes, hôpitaux), qui verraient leur activité diminuer d’autant.
Le nombre de praticiens nouvellement diplômés en France est assez rigide à moyen terme, sauf à réduire la sélectivité du diplôme. Une augmentation du nombre d’étudiants en médecine ne produirait ses premiers effets qu’au bout de 9 ans (le temps minimum de formation des médecins). En outre, le numerus clausus ayant été supprimé dans le cadre de la réforme »Ma santé 2022« , le nombre d’étudiants en médecine en France dépend du nombre de candidats, lié à l’attractivité du métier et au vivier d’étudiants, deux facteurs par ailleurs peu pilotables sur la durée d’un mandat. Par contre, il est possible d’augmenter le nombre de diplômés en réduisant le niveau de sélectivité à l’Université, ce qui pourrait néanmoins susciter des débats sur la qualité de l’offre de soins.
Le recrutement de médecins déjà diplômés, mais occupant des postes en dehors du système de soins (industrie pharmaceutique, agro-alimentaire, autres) est également envisageable, mais il soulève la question de l’attractivité des postes qui seraient créés (par rapport aux postes actuellement occupés par ces personnes) et aussi potentiellement des délais et contraintes liés à la reconversion professionnelle des personnes concernées.
En dehors des deux options ci-dessus, un autre levier de recrutement est de recourir à l’immigration, mais l’équipe du candidat exclut cette possibilité. Selon le Conseil national de l’ordre des médecins, en 2019, 12 % des nouveaux médecins inscrits à l’ordre des médecins étaient diplômés de l’étranger (dont 8 % d’une faculté de l’Union européenne).
En 2018, la France comptait, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 226 000 médecins, dont 102 000 généralistes et 124 000 spécialistes. Le recrutement de 1 000 médecins constituerait une augmentation de 0,4 % du nombre de praticiens en France.
Sous l’hypothèse de l’augmentation de 1 000 du nombre de médecins exerçant dans le système de santé, le coût budgétaire pourrait s’élever à 120 M€ par an, le coût salarial employeur annuel moyen d’un médecin pouvant être estimé à environ 120 000 euros par an (1). Cette dépense serait vraisemblablement imputée à l’Assurance maladie et comprise dans le sous-objectif de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie concernant la médecine de ville. Pour 2022, la loi de financement de la sécurité sociale prévoyait un objectif de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) pour 2022 d’un total de 236,8 Md€, dont 102,5 Md€ pour la médecine de ville.
Le coût de la mesure pourrait être rehaussé si son déploiement nécessitait d’autres dépenses : frais d’installation et d’équipements des médecins recrutés (notamment pour les médecins spécialistes), primes d’attractivité pour encourager l’installation des médecins dans certains territoires, éventuels frais d’apprentissage de la langue pour des médecins étrangers, éventuelles formations qui s’avèreraient nécessaires en cas de non-équivalence des diplômes ou de méconnaissance du système médical français par les candidats, éventuelles formations de reconversion professionnelle pour le recrutement de médecins diplômés exerçant dans d’autres fonctions, etc. Par ailleurs, l’estimation du coût de la mesure dépend de la composition en termes de spécialités du contingent de médecins embauchés, les salaires étant différents selon les spécialités.
En revanche, le coût pour l’État pourrait être réduit s’il était partagé avec les collectivités locales bénéficiant de la mesure.
La mesure pourrait avoir un effet sur d’autres dépenses de santé : d’une part la hausse de l’offre de soins dans les territoires pourrait susciter celle d’autres dépenses de santé, d’autre part les effets positifs en matière de prévention pourraient réduire d’autres dépenses, pour un effet net difficile à apprécier et sans doute dépendant des modalités de mise en œuvre et de la cohérence globale de la politique de santé.
Le coût de la mesure serait réduit si l’on prenait en compte le bouclage macroéconomique, le revenu de ces nouveaux médecins étant dépensé et entraînant une hausse de l’activité économique et des prélèvements obligatoires, l’estimation du surplus de recettes engendrées dépendant alors du multiplicateur budgétaire pris en compte.
Mise en œuvre
Sur son site de campagne, le candidat évoque des médecins salariés « dans les centres de santé communaux et départementaux« . Les personnels des centres de santé ne sont pas salariés par l’État, les centres étant gérés par des collectivités territoriales, des associations à but non lucratifs ou bien des établissements de santé. L’équipe du candidat précise que les médecins seraient salariés par les collectivités, auxquelles l’État verserait une compensation correspondant au salaire ; ce schéma reposerait alors sur une convention avec les collectivités, dont les termes doivent être précisés.
Par ailleurs, la sous dotation de certains territoires en personnels médicaux étant principalement liée au manque d’attractivité de ces territoires et non aux conditions d’exercice des professionnels (notamment leur statut), rien ne garantit alors que l’État soit en capacité de trouver des candidats. En effet, quel que soit le levier actionné, le résultat n’est pas acquis, il dépend de l’attractivité des postes proposés par rapport aux alternatives qui s’offriraient aux candidats potentiels (dans d’autres territoires ou d’autres secteurs d’activité).
Enfin, les leviers actionnables (transferts, immigration, baisse de la sélectivité du diplôme, reconversion de professionnel) sont chacun susceptibles de rencontrer une opposition assez forte par l’opinion publique ainsi que des coûts de mise en œuvre administrative plus ou moins importants.
La faisabilité de la mesure semble en conséquence incertaine.
(1) Selon les chiffres de la Drees pour 2018, un médecin dans le public percevait un salaire mensuel moyen de 5 665 euros nets par mois, ce qui représente un coût salarial pour l’employeur en 2022, après prise en compte de l’inflation depuis 2018, de l’ordre de 120 000 euros par an (voir source : étude de la Drees : « Revenus des médecins libéraux : les facteurs démographiques modèrent la hausse moyenne entre 2005 et 2014« , septembre 2018, page 6, tableau 2).