Augmenter l'âge légal de la retraite à 64 ans progressivement d'ici à 2030 et aligner les différents régimes entre public et privé, avec un système de "bonus-malus" pour éviter les licenciements des seniors
« Il faut augmenter l’âge de la retraite et le porter à 64 ans – cela fait 20 Md€ d’économies – mais pas pour tous les métiers. Il faut aller vers un alignement entre le privé et le public. Il faut imposer aux entreprises un système de bonus-malus, qu’ils ne renvoient pas les gens de 55 ans. »
Éric Zemmour propose de relever l’âge de départ à la retraite à 64 ans, progressivement d’ici à 2030. Il propose également l’alignement des différents régimes entre public et privé, sans suppression des régimes spéciaux, avec un système de « bonus-malus » pour les entreprises, afin d’éviter le licenciement des personnes seniors et d’inciter à leur maintien dans l’emploi.
Sans précisions spécifiques ni sur les règles d’alignement entre le public et le privé ni de coût du système de bonus-malus, le gain envisagé par la réforme peut être approximé en calculant le gain de recettes issus de nouvelles cotisations versées par les actifs continuant à travailler ainsi que les moindres dépenses issues des pensions non versées à ces derniers. Un scénario central engendrerait environ 14 Md€ d’économies brutes, par an, en 2030, sans compter le report sur les autres prestations sociales (notamment sur les minima sociaux comme les prestations d’invalidité et sur le chômage).
Une telle réforme pourrait avoir pour effet d’améliorer l’emploi des seniors, pour laquelle la France demeure en retard sur ses homologues européens. Pour autant, de nombreux effets adverses (hausse du chômage des seniors, invalidité, hausse du nombre de bénéficiaires des minima sociaux) risquent de réduire les économies attendues.
Impact macroéconomique
L’impact macroéconomique de la mesure serait au total positif, puisqu’une telle mesure augmente le potentiel de l’économie par l’augmentation de la population active. Elle augmenterait également le pouvoir d’achat des personnes concernées par un report de l’âge légal dès lors que ces dernières continueraient d’avoir un salaire pendant la durée de travail supplémentaire.
Selon le dernier rapport du COR du 10 juin 2021, le déficit du système de retraites a atteint 18 milliards d’euros en 2020, soit 0,8 % du PIB (1). D’après les prévisions du COR, ce dernier resterait négatif à court-terme. Les hypothèses de fécondité et d’espérance de vie du COR ou de l’Insee de 2021 sont également peu optimistes : le rapport de dépendance démographique passerait de 37 en 2021 à 51 en 2040 (2).
Le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans permet de réaliser des économies sur certaines dépenses mais peut également entraîner des surcoûts.
Afin d’en évaluer l’effet économique, un modèle simple peut être construit : il consiste à considérer qu’en 2030, toutes choses égales par ailleurs, le nombre d’assurés aura cru et le montant de pensions versé aura diminué. Ce modèle a été construit sur la base de la population de deux générations et de son taux d’emploi.
Ainsi, pour la génération 1967 et 1968, en 2030, les assurés paieront d’une part encore une cotisation supplémentaire, du fait d’une liquidation plus tardive des pensions de retraite et, d’autre part, ils verront leurs pensions versées plus tardivement. D’après plusieurs études (Bozio 2011), il est estimé qu’un recul d’un an de l’âge légal de départ à la retraite entraîne un recul de 0,4 an de l’âge effectif de départ à la retraite chez les femmes, et de 0,8 an chez les hommes. Le ratio hommes / femmes étant proche de l’équilibre pour les classes d’âge proches de la retraite, nous faisons l’hypothèse qu’un recul d’un an de l’âge légal de départ à la retraite entraîne un recul de 0,4 an de l’âge effectif de départ à la retraite chez les femmes, et de 0,8 an chez les hommes. Le ratio hommes / femmes étant proche de l’équilibre pour les classes d’âge proches de la retraite, nous faisons l’hypothèse qu’un recul d’un an de l’âge légal entraîne un recul de 0,6 an de l’âge effectif de départ, soit 7,2 mois. Pour calculer les estimations basses et hautes des économies réalisées, la fourchette du recul de l’âge effectif de départ est comprise entre 6 mois et 9 mois.
Les économies sont réalisées par deux canaux :
D’une part, une cotisation supplémentaire sera payée pendant 14,4 mois supplémentaires par assuré. Cet effet « hausse de recettes » est évalué à hauteur de 4 Md€ pour la première année de la réforme.
Détail du chiffrage :
- Puisque l’âge légal est de 62 ans, le recul à 64 ans entraîne un recul effectif de 1,2 ans soit 14,4 mois.
- Vu que le montant moyen de cotisation mensuelle est de 28,12 %, alors 14,4 mois de cotisation en plus au salaire moyen des 54-65 ans de 24 598€ = 28,12 % * 14,4 * 24 598/12 => 576,4 € de cotisation moyenne retraite mensuelle => 8 300€ par assuré retraite sur 14,4 mois.
- Le nombre de travailleurs entre 63 et 64 ans est approchable : l’enquête DARES considère qu’une génération 60-64 est en moyenne à 800 000 personnes, avec un taux d’emploi de 33,1 % (la France a le taux le plus bas d’Europe). Pour calculer les économies, la fourchette considérée est située entre 300 000 à 500 000 assurés supplémentaires en travail pour les générations de 63 à 64 ans. L’hypothèse centrale choisie est de 450 000 personnes en emploi. Pour rappel, le taux d’emploi à 65-69 ans est très faible, à 7,5.
- Cet effet « hausse de recettes » est considéré à hauteur de 3,73 Md€ pour la première année de la réforme (arrondi à 4 Md€).
- L’estimation haute (18 mois de recul effectif, 500 000 travailleurs entre 63 et 64 ans) est de 5,2 Md€. L’estimation basse (12 mois de recul effectif, 300 000 travailleurs concernés) est de 2,1 Md€.
Les pensions non versées pour la génération qui retarde son départ à la retraite et continue à travailler. Avec le décalage de 14,4 mois de la liquidation de la retraite, ce sont autant de mois de pension qui ne seront pas versées. Cet effet « moindres dépenses » est évalué à hauteur de 10 Md€.
Détail du chiffrage :
- La pension moyenne à 62/63 ans est de 1 550 € * 14,4 mois * 450 000 travailleurs qui choisissent de ne pas prendre leur retraite (62/63 ans). L’effet « moindre dépenses » est donc de 10 Md€ pour la première année de la réforme.
- L’estimation haute (18 mois de recul effectif, 500 000 travailleurs concernés) est de 14 Md€. L’estimation basse (12 mois de recul effectif, 300 000 travailleurs concernés) est de 7 Md€.
Ainsi, la réforme dans sa globalité permettrait un gain brut de 14 Md€. Cette estimation est proche des estimations réalisées par le Conseil d’orientation des retraites (3) ainsi que la Direction générale du Trésor (4).
La prise en compte des effets adverses peut être approchée par une réduction de 23,3% des gains de la réforme, comme l’a noté la DREES en 2022 : l’effet d’un relèvement de l’âge d’ouverture des droits à la retraite de 2 ans est légèrement tempéré par un effet d’éviction par les prestations sociales de 23,3%. L’effet d’éviction de 23,3% se traduit par une dépense accrue de 3,3Md€ (scénario médian). Le gain de la réforme se situe alors plutôt à 10,7 Md€.
Fiabilité du chiffrage
Le chiffrage est optimiste. En effet, l’âge conjoncturel de départ à la retraite passerait de 62,2 ans en 2019 à près de 64 ans à partir de la fin des années 2030 selon le COR en raison de la hausse de la durée d’assurance requise pour le taux plein et du report de l’âge d’annulation de la décote (de 65 à 67 ans) conjuguée avec des entrées plus tardives sur le marché du travail pour les générations qui prendront leur retraite d’ici 2040. Le COR estime qu’en 2030, l’âge moyen conjoncturel de départ sera déjà proche de 63,5 ans.
Difficulté / aléas du chiffrage
Une des difficultés du chiffrage réside dans le fait que les effets du recul des âges légaux de la retraite sont moindres avec le temps : selon la Cour des comptes en novembre 2021, le recul des âges légaux contribuerait ainsi aux économies de dépenses liées aux réformes depuis 2010 à hauteur de 80 % en 2020, mais seulement un tiers en 2040. Enfin, le recul de l’âge de la retraite peut également conduire à l’augmentation d’autres dépenses sociales – notamment au titre du chômage ou de l’invalidité. Ces dépenses nouvelles réduisent le montant des économies attendues, aux alentours de 20 % du gain réalisé pour une année selon la Cour des comptes (5).
Historique de la mesure
L’âge légal de départ à la retraite a été fixé à 65 ans à partir de 1945, date de la fondation du système de retraite par répartition. Il a été ensuite abaissé à 60 ans en 1982. Si différentes réformes des retraites ont eu lieu en 1993 et 2003, l’âge légal de départ à la retraite a été relevé en 2010, en passant de 60 à 62 ans. L’application de la réforme a été étalée jusqu’en 2017.
Lors de la dernière réforme de 2010, celle du passage de 60 à 62 ans, les gains estimés étaient de 14 milliards d’euros d’économies attendues sur les dépenses des régimes de retraite à l’horizon 2017-2020 (selon la DREES en 2016). En revanche, cette même réforme représentait déjà un surcoût d’environ 1,2 à 1,5 milliard d’euros pour les régimes gestionnaires des pensions d’invalidité et devait également se traduire par une augmentation des dépenses d’allocation de minima sociaux de 600 millions d’euros par an.
Benchmark
Selon le dernier panorama des systèmes de retraite en France et à l’étranger (6), l’âge moyen de départ à la retraite s’est rapprochée de 64 ans pour atteindre 63,4 ans en 2017 – et devrait encore croître. En effet, parmi les pays de l’Union européenne, 16 pays appliquent un âge légal de départ à la retraite supérieur ou égal à 64 ans (Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie). Le Royaume-Uni a également repoussé son âge de départ à 66 ans comme âge d’ouverture des droits.
Les réformes récentes dans les autres pays, avec le relèvement des âges légaux de départ à la retraite, s’étendent – à l’exception de la réforme en Belgique avec une augmentation de l’âge légal à 66 ans en 2025 et 67 ans en 2030 – sur plusieurs générations avec des progressivités divergentes. Ainsi, l’Allemagne a un âge de taux plein fixé à 66 ans et 9 mois et qui sera porté à 67 ans à partir de 2030 (pour la génération 1964). L’Italie a quant à elle fixé l’âge de départ à la retraite fixé aujourd’hui à 67 ans et qui devra atteindre 70 ans en 2050 – avec la fin de l’expérimentation lancée entre 2018 et 2021 d’une retraite à 62 ans sous conditions d’années de cotisations.
Mise en œuvre
La mise en œuvre de la proposition suppose l’adoption d’une loi car les grandes règles relatives aux retraites (âge de départ à la retraite, durée de cotisations) relèvent de dispositions législatives codifiées dans le Code de la sécurité sociale. Conformément à l’article L. 1 du Code du travail, la loi est précédée d’une saisine obligatoire des partenaires sociaux. La loi votée devra ensuite être déclinée et précisée par des textes réglementaires élaborés par le Gouvernement.
La modification envisagée concerne à la fois les futurs retraités du régime général (19,4 millions de personnes) et les personnes relevant des régimes des salariés du secteur public (5,66 millions de personnes). Ne seraient pas concernés les assurés des régimes spéciaux. Néanmoins, les effectifs concernés pourront évoluer selon la génération à partir de laquelle cette mesure sera appliquée.
(1) Conseil d’orientation des retraites, Rapport annuel du COR juin 2021 – Évolutions et perspectives des retraites en France, juin 2021, p. 8.
(2) INSEE, Insee Première No 1881, novembre 2021. Le rapport de dépendance démographique mesure le nombre de personnes de 65 ans ou plus, majoritairement retraitées, pour 100 personnes de 20 à 64 ans, qui correspondent en grande partie aux âges d’activité professionnelle.
(3) Conseil d’orientation des retraites, Rapport de novembre 2019 (chiffrage à partir du tableau des pages 63 et 66 (règle de 3 à partir du scénario TCC 1,0%)).
(4) Le Monde, « Retraites : la piste du recul de l’âge légal étudiée par le gouvernement« , 8 juin 2021.
(5) Cour des comptes, Continuer à adapter le système de retraite pour résorber les déficits et renforcer l’équité, octobre 2021, p. 14.
(6) Conseil d’orientation des retraites, Panorama des systèmes de retraite en France et à l’étranger, décembre 2020.