Synthèse des chiffrages
Le programme du RN présenté lors de la campagne des législatives 2024 entraînerait un budget en déséquilibre qui augmenterait le déficit public de 71 Md€ par an selon l’Institut Montaigne. La liste politique propose de nouvelles dépenses et des baisses d’impôts à hauteur de 85 Md€ notamment liées à l’abaissement de l’âge de départ à la retraite à 60 ans et à la baisse de la TVA de 20 à 5,5 % sur les produits énergétiques (coût de plus de 11 Md€). À l’inverse, le RN affiche des économies, d’un total de 14 Md€, portant essentiellement sur des mesures d’immigration (8 Md€) et sur la privatisation de l'audiovisuel public (1,6 Md€) dont la faisabilité juridique et politique demeure incertaine.
Méthodologie de la synthèse
Dans la droite ligne des analyses produites dans le cadre de cette opération spéciale “Législatives 2024”, cette synthèse de chiffrages s’inscrit dans une réflexion de moyen terme. Elle vise à éclairer le débat public sur les conséquences économiques et financières des mesures proposées par les principales listes politiques dont les éventuelles mises en œuvre seront au cœur des débats parlementaires des prochains mois.
À cet égard, les mesures chiffrées dans cette synthèse correspondent aux mesures programmatiques des principales listes engagées dans ce scrutin. Il peut s’agir de :
- nouvelles mesures, ayant fait l’objet d’un chiffrage inédit dans le cadre de cette campagne des législatives 2024 ;
- mesures plus anciennes, déjà inscrites dans les programmes de l’élection présidentielle 2022 mais reprises dans les programmes de ces élections législatives 2024. Pour celles-ci, le chiffrage a été conservé ou actualisé afin de garantir sa pertinence et le rendre exploitable au regard de la situation économique de 2024.
Par ailleurs, l’ensemble des mesures prises en compte dans cette synthèse sont celles qui n’ont pas déjà fait l’objet d’une loi ou d’un texte réglementaire ou qui reviennent sur une loi déjà adoptée par le Parlement. Les lois et réglementations actuelles correspondent à la base de référence par rapport à laquelle ces chiffrages sont définis :
- En particulier, la réforme des retraites de 2023 est considérée comme faisant aujourd’hui partie du corpus législatif français. Revenir dessus, comme le proposent les listes du Rassemblement national (RN) et du Nouveau Front populaire (NFP) conduirait à alourdir le coût budgétaire des mesures proposées, sans compter les effets potentiellement néfastes sur l’économie dans son ensemble. La liste Ensemble pour la République n’a pas formulé d’annonce relative au régime des retraites et devrait maintenir le système en l’état d’ici à la fin du quinquennat. Ainsi, l’Institut Montaigne a fait le choix de ne pas retenir la réforme de 2023 dans sa synthèse budgétaire, mais propose un chiffrage et une analyse sous forme d’état des lieux de cette réforme.
- De la même manière, la réforme de l’Assurance chômage prévue pour juillet 2024, dont la mise en œuvre a été décalée par le Gouvernement, n’est pas intégrée dans ce corpus de règles existantes. Revenir sur cette réforme, comme le proposent le RN et le NFP, ne coûte donc rien en l’état actuel des choses mais correspond à une économie pour la liste Ensemble pour la République, qui l’aurait vraisemblablement appliquée en cas de prolongation de sa majorité parlementaire.
- Toujours selon ce même principe, les mesures d’indexation des retraites sur l’inflation, soutenues par les listes Ensemble pour la République et le Rassemblement national, sont en réalité déjà ancrées dans la réglementation française. Elles sont donc budgétairement neutres dans le cadre de ces bouclages budgétaires car déjà appliquées en pratique. À des fins d’analyse, l’Institut Montaigne a toutefois décidé d’en conserver le chiffrage pour indiquer le coût annuel de cette réglementation en vigueur qui n’est pas immuable. Elle a déjà été modifiée par le passé, en 2019 par exemple, lors d’une sous-indexation des pensions de retraite sur l’inflation. Cette démarche permet par ailleurs d’évaluer le surcoût d’une indexation des pensions sur les salaires, mesure proposée par le Nouveau Front populaire.
- Enfin, ces chiffrages n’intègrent pas les éventuels changements de comportements des acteurs économiques qui résulteraient de la mise en œuvre des mesures proposées. En particulier, la logique de financement du programme du NFP – d’inspiration “keynésienne”- qui s’appuie sur une relance de l’économie par la demande et la consommation et donc une hausse espérée des recettes fiscales, n’est pas retenue en l’absence de modèles satisfaisants pour l’estimer.
Contexte économique
Avec une dette s’élevant à 110,7 points de PIB au 3e trimestre 2024, la France est l’un des pays les plus endettés de la zone euro (après la Grèce et l’Italie) et plus largement de l’Union européenne (UE). Son déficit, de 5,5 points de PIB, est également le quatrième déficit le plus important de l’UE, derrière ceux de l’Italie, la Hongrie et la Roumanie. Cette pression exercée sur les finances publiques met en péril la capacité future de la France à faire face à de nouvelles crises, dégrade sa souveraineté en la rendant plus vulnérable aux changements de taux, et compromet de nombreuses dépenses d’avenir. Selon une étude de l’Institut Montaigne de 2022, il faudrait trouver près de 70 Md€ d’économies sur la période 2023-2027 pour respecter une trajectoire de finances publiques soutenable.
Dépenses et baisses d’impôts
Selon les estimations de l’Institut Montaigne, les 85 Md€ de nouvelles dépenses et moindres recettes sur 3 ans, correspondant à un montant de l’ordre de 3 points de PIB, représentent un coût significatif pour les finances publiques. Entre le tiers et la moitié de ces nouvelles dépenses proviennent d’une abrogation de la réforme des retraites de 2023 et de la réduction de l’âge de départ à la retraite (la réforme des retraites de 2023, adoptée au Parlement, est considérée comme faisant partie du tendanciel. Les mesures d’abrogation de cette réforme des retraites sont donc considérées comme des coûts supplémentaires pour les programmes.).
Autres mesures (retrouvez le détail ici) :
- Créer un prêt public à taux zéro transformé en subvention pour les couples qui ont un troisième enfant : 12,6 Md€
- Revaloriser le métier d’enseignant du recrutement à la fin de la carrière : 5,8 Md€
- Supprimer la fiscalité sur les transmissions de TPE/PME/ETI en contrepartie d’un engagement à en rester propriétaire pendant au moins 10 ans : 5,3 Md€
- Exonérer les jeunes de moins de 30 ans d’impôt sur le revenu : 3,7 Md€
- Lancer enfin la construction effective des places de prison dont la France a besoin : 1,5 Md€, à horizon 2027
- Soutenir financièrement les jeunes et les entreprises faisant le choix de l’apprentissage ou de l’alternance : 1,2 Md€
- Supprimer les impôts sur l’héritage pour les classes populaires et moyennes : 1 Md€
- Exonérer d’impôt sur les sociétés pendant cinq ans les entreprises créées par un jeune de moins de 30 ans : 0,7 Md€
- Restaurer la demi-part fiscale des veufs et des veuves : 0,5 Md€
- Créer la carte vitale biométrique : 0,4 Md€
- Rendre obligatoire la création d’une police municipale pour les communes de plus de 10 000 habitants : 0,3 Md€
- Proposer 80 % de produits français dans les cantines scolaires à l’horizon 2027 : 0,3 Md€
- Augmenter le nombre d’étudiants en médecine (fin du numerus apertus) : 0,1 Md€
- Interdire les importations de produits agricoles ne respectant pas les normes de production française : 0,06 Md€
- Annuler la réforme de l’assurance chômage de juillet 2024 : 0 Md€
- Supprimer le droit du sol : marginal
- Ré-instaurer la loi Ciotti (suspension aides sociales en cas d’écart disciplinaire) : marginal
- Renforcer le soutien aux proches-aidants : marginal
- Supprimer les Zones à Faibles Émissions : marginal
Économies et hausses d’impôts
Selon les estimations de l’Institut Montaigne, le programme présente trois groupes de mesures susceptibles de générer des économies : en premier lieu, il s’agit de la différenciation dans le versement des aides entre les détenteurs de la nationalité française des résidents de nationalité étrangère ainsi que la réforme du droit d’asile (pour près de 8 Md€). La privatisation de l’audiovisuel public conduit à économiser sur les coûts aujourd’hui supportés par l’État. Enfin, le groupe RN envisage de supprimer les agences régionales de santé (ARS) et une grande partie du personnel administratif dans les hôpitaux.
Thématique | Principales mesures | Économies (en Md€ par an) |
Immigration | Réserver les allocations familiales aux Français (Accorder les prestations familiales aux seuls foyers dont au moins un des parents est Français) | 3,8 |
Sécurité et justice | Réserver le bénéfice du RSA et des prestations de solidarités aux étrangers ayant au moins 5 ans d’équivalent temps plein travaillé en France | 2,6 |
Services publics | Privatiser l’audiovisuel public | 2 |
Services publics | Remplacer l’aide médicale d’État par une “aide d’urgence vitale” | 0,7 |
Sécurité et justice | Supprimer les allocations familiales pour les parents de mineurs délinquants récidivistes | 0,002 |
Autres mesures (retrouvez le détail ici) :
- Supprimer les ARS et réduire à 10 % les postes administratifs dans les hôpitaux : 3,6 Md€, à horizon 2026
- Réformer la politique de l’asile : 1,2 Md€
- Remplacer l’IFI par un impôt sur la fortune financière (IFF) : imprécis
Bouclage macro-financier
Avec une dette de 110,7 points de PIB et 5,5 points de PIB de déficit, la situation des finances publiques française est fragile et nécessite une consolidation structurelle et durable. En outre, les perspectives de croissance dans les années à venir n’apparaissent pas suffisamment favorables pour obtenir une convergence du déficit public vers une situation plus soutenable sans effort.
Selon les estimations de l’Institut Montaigne, le programme soutient une hausse des recettes et des mesures d’économie pour 14 Md€ (0,5 point de PIB) et une augmentation des dépenses ou de moindres recettes fiscales pour 85 Md€ (3 points de PIB), ce qui conduit à accroître le déficit public de 71 Md€ (2,5 points de PIB) toutes choses égales par ailleurs.
Les mesures d’économies, substantielles, sont loin d’être suffisantes pour compenser les coûts du programme. Réaliser un effort sur les dépenses et les prélèvements obligatoires permettant d’une part de compenser l’accroissement des coûts publics de 2,5 points de PIB d’économies et d’autre part de redresser les finances publiques françaises n’a jamais été accompli au cours des deux décennies sur 3 ans en France (Cf, à titre de comparaison : fipeco.fr).
Au total, sans économie supplémentaire, la mise en œuvre d’un tel programme risque de placer le pays sur une trajectoire d’insoutenabilité financière mettant en risque sa souveraineté. Dans le cadre du lancement probable d’une procédure pour déficit excessif de la France par la Commission Européenne, l’application du programme du RN verrait la crédibilité budgétaire de la France, à l’international et au niveau européen, être indubitablement remise en question. Le RN aura sans aucun doute des difficultés à tenir ses multiples engagements de campagne compte tenu de leurs coûts, en premier lieu desquels, son projet d’abrogation de la réforme des retraites et de la faisabilité juridique et européenne de nombreuses mesures.