Suppression des allocations familiales pour les parents de mineurs délinquants récidivistes
“Il est grand temps d’abandonner la tolérance judiciaire et l’impunité des criminels. La France a besoin d’une législation pénale efficace. C’est pourquoi Jordan Bardella a proposé hier la suspension des aides sociales accordées aux parents de mineurs délinquants multirécidivistes, lorsque des carences éducatives sont avérées”
“Je supprimerai les allocations familiales aux parents de mineurs récidivistes” (Jordan Bardella dans le Face à Face RMC du 14/06)
La mesure propose la suppression des allocations familiales pour les familles dont un des enfants auraient été condamné pour un délit tout en étant en situation de récidive légale.
Selon la définition de l’INSEE, la récidive légale (à distinguer de la réitération) correspond à la situation où un délinquant condamné pour une première infraction (premier terme de la récidive) en commet une ou plusieurs autres (second terme de la récidive).
Les allocations familiales sont quant à elles des prestations versées, sous conditions de ressources, aux personnes qui assument la charge effective d’au moins deux enfants de moins de 20 ans. Il est nécessaire de résider habituellement en France et de détenir un titre de séjour – et d’avoir des enfants présents légalement sur le territoire, qui doivent vivre auprès des parents et à leur charge pour en bénéficier.
Ces allocations proprement dites sont complétées par d’autres prestations familiales telles que :
- le complément familial destiné aux familles résidant avec au moins trois enfants à charge tous âgés d’au moins 3 ans et de moins de 21 ans. Cette prestation est versée à 876 000 foyers, dont un peu plus d’un quart est une famille monoparentale.
- la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) visant à aider à financer les dépenses liées à l’entretien et l’éducation d’un enfant. Elle est destinée aux parents d’un enfant de moins de 3 ans.
- l’allocation de rentrée scolaire (ARS) vise à prendre en charge les fournitures scolaires à chaque rentrée. Elle est versée aux familles ayant au moins un enfant scolarisé et âgé de 6 à 18 ans.
Le champ des foyers potentiellement concernées par cette mesure est donc particulièrement restreint : en plus d’avoir un enfant ayant commis plusieurs actes de délinquance, elles devront également être éligibles aux allocations familiales.
En 2019, on compte 70 000 condamnés pour délit en état de récidive légale. Parmi ces 70 000 condamnés pour délits en état de récidive légale, 0.8 % étaient des mineurs soit 560 personnes au total. En 2021, le montant moyen des prestations familiales versées par foyer aidé est de 388 euros par mois soit 4 656 € par an. En prenant l’hypothèse que 75 % des mineurs délinquants et récidivistes sont dans des familles bénéficiaires du montant moyen des prestations familiales, une estimation médiane de l’économie générée annuelle par la mesure à partir de ces chiffres s’élèverait ainsi à 2 M€.
Cette mesure pose des questions importantes quant à la stigmatisation excessive et à la rupture d’égalité qu’elle entraînerait : au-delà de la pénalité supplémentaire comparée à celle appliquée aux familles non bénéficiaires d’aides pour le délit de leur enfant, cette mesure implique que les délits commis par un des membres d’une fratrie pourraient priver le reste de la fratrie d’aides familiales touchées par le foyer et sans aucun lien avec le mineur délinquant en question (comme la PAJE).
Impact macroéconomique, sur le pouvoir d’achat
En raison du faible nombre de personnes concernées, et de l’économie très modeste qu’une telle mesure gênerait, il n’est pas prévu d’incidence macroéconomique significative. En revanche, il convient de préciser qu’une telle mesure heurterait significativement le pouvoir d’achat des familles sanctionnées, déjà faible pour l’immense majorité d’entre elles. De plus, un effet domino est à analyser car les allocations familiales sont prises en compte dans le calcul d’autres aides, c’est le cas notamment du RSA, et il est donc possible que cette suspension ait des conséquences sur l’attribution de ces autres droits faisant ainsi entrer davantage de bénéficiaires dans les dispositifs.
Faisabilité de la mesure
- Faisabilité constitutionnelle : la mesure propose un régime de sanction différencié pour certaines familles à délit égal, ce qui est susceptible en théorie de constituer une rupture d’égalité et d’être censurée à ce titre par le juge constitutionnel. Le Conseil d’État s’est toutefois déjà prononcé défavorablement à la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité au motif de la suspension du versement d’allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire chronique (CE, 15 juin 2011, Association “Justice pour toutes les familles”, n° 347581). La décision du Conseil constitutionnel face à une telle mesure est donc incertaine même si l’antécédent de la loi Ciotti – qui repose sur des mécanismes philosophiques et de sanctions relativement similaires – pourrait toutefois la protéger d’un risque de censure constitutionnelle.
En amont d’une éventuelle censure du Conseil constitutionnel, la mesure supposerait toutefois l’adoption d’une loi venant modifier l’article L. 521-3 du code de la sécurité sociale.
- Faisabilité européenne : mesure sans lien direct avec les textes européens.
- Faisabilité politique : en cas de majorité absolue du RN à la suite des élections législatives anticipées, la mesure pourrait être adoptée par voie législative. En cas de majorité relative, la capacité du RN à faire adopter cette mesure dépendra assez largement du nombre de députés Les Républicains dont certains pourraient se rallier au dispositif au regard des propositions de loi similaires faites par ce même groupe parlementaire ces dernières années.
L’adoption d’un tel projet de loi ne paraît pas impossible mais reste conditionnée à la majorité absolue du RN ou à sa capacité à créer une citation majoritaire avec le bloc de droite sur ce sujet. Le risque de censure constitutionnelle demeure réel et pourrait entraver la mise en œuvre de la mesure.
En 2019, on compte 70 000 condamnés pour délit en état de récidive légale. Parmi ces 70 000 condamnés pour délits en état de récidive légale, 0,8 % étaient des mineurs soit 560 personnes au total.
En 2021, le montant moyen des prestations familiales versées par foyer aidé est de 388 euros par mois soit 4 656 € par an.
Estimation haute
100 % des mineurs délinquants et récidivistes sont dans des foyers bénéficiaires du montant moyen des prestations familiales. L’économie annuelle engendrée par la mesure serait alors de 2.6 M€ par an.
Estimation médiane
Si 75 % des mineurs délinquants et récidivistes sont dans des familles bénéficiaires du montant moyen des prestations familiales, l’économie annuelle engendrée par la mesure est de près de 2 M€.
Estimation basse
Si 50 % des mineurs délinquants et récidivistes sont dans des familles bénéficiaires du montant moyen des prestations familiales, l’économie annuelle engendrée par la mesure est de 1.3 M€.
Historique de la mesure
Cette mesure n’est pas la première tentative d’introduire un élément de conditionnalité à l’octroi des allocations familiales lié au “comportement” d’un des enfants à la charge du foyer bénéficiaire.
En 2010, la loi 2010-1127 dite loi Ciotti visant à lutter contre l’absentéisme scolaire avait réinstauré la suspension des allocations familiales en cas d’absences répétées d’un enfant entraînant un manquement grave à l’obligation scolaire. Cette loi a été abrogée en 2013, la mesure étant critiquée dans le rapport du Sénat sur son efficacité. Le dispositif avait cependant été réintroduit par le Sénat lors de l’examen du texte sur le respect des principes de la République par amendement (adopté en séance publique avec les votes LR et UC notamment) sans être intégré au texte final.
Depuis, des propositions de loi visant à suspendre les allocations familiales et prestations sociales aux parents des enfants délinquants ont été déposées les 5 décembre 2018 et le 20 juillet 2023 par des députés issus du groupe parlementaire Les Républicains (LR) ainsi que par le RN le 29 août 2023.
Par ailleurs, les allocations familiales peuvent dès à présent être suspendues en cas d’incarcération d’un mineur selon les dispositions prévues à l’article L113-2 du code de la justice pénale des mineurs.
Benchmark
Au Royaume-Uni, le paiement des prestations peut être suspendu ou modifié si le partenaire ou l’enfant est en prison. Le parent doit obligatoirement signaler la condamnation de son enfant au Tax Credit Office. De plus, la State Pension est automatiquement suspendue lors d’un séjour en prison. Les membres d’une famille au comportement antisocial grave peuvent perdre leurs allocations familiales, mais bénéficient d’un accompagnement dans le cadre du “Trouble Families Programme“, mis en place par David Cameron.
L’idée de mettre en place un programme qui permet un accompagnement (1,2 milliards de livres selon un rapport de 2015) tout en garantissant des sanctions a été reprise par Olivier Véran dernièrement, qui a proposé l’instauration de “stages de responsabilisation parentale“. Le programme britannique a été réformé en 2021, pour devenir le “Supporting Families Programme” à la suite du Covid-19. Mais le volet répressif n’est qu’une petite partie du dispositif, qui a accompagné plus de 400 000 familles entre 2015 et 2021. Le dispositif a été critiqué outre-Manche, mais semble avoir des résultats positifs sur cette période :
- Le nombre d’enfants pris en charge est passé de 2,5 % à 1,7 %, soit une baisse de 32 % ;
- Les adultes condamnés à des peines privatives de liberté sont passés de 1,6 % à 1,2 % (soit une baisse de 25 %) ;
- Les mineurs condamnés à des peines privatives de liberté sont passés de 0,8 % à 0,5 % (diminution de 38 %) ;
- Le nombre d’adultes bénéficiant de l’allocation de demandeur d’emploi a diminué de 11 %.
En 2018, un député du Parti modéré suédois a proposé une mesure visant à lier les allocations familiales au respect des obligations parentales et à la prévention de la délinquance juvénile. L’idée était d’utiliser les allocations familiales comme moyen d’encouragement et de motivation pour que les parents prennent leurs responsabilités dans l’éducation de leurs enfants. Les parents dont les enfants étaient impliqués dans des activités criminelles ou avaient des comportements antisociaux graves pouvaient voir leurs allocations familiales suspendues ou réduites.
Mise en œuvre
Une modification de l’article L. 521-3 du code de la sécurité sociale serait nécessaire par voie législative. La mesure pourrait également faire l’objet d’une censure constitutionnelle.