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BIOGRAPHIE

Suppression de l’aide médicale d’État (AME) et remplacement par l’aide d’urgence vitale

Rassemblement National

Les soins gratuits que nous offrons aux clandestins, c’est également plus d’un milliard d’euros (…) Je remplacerai l’AME par une aide d’urgence, mais il n’y aura plus la gratuité des soins pour les gens qui viennent dans notre pays et qui, bien souvent, sont présents de manière illégale et qui peuvent, malgré tout, bénéficier de cette solidarité nationale.” – Jordan Bardella sur BFMTV le 14/06

Estimation
Économie Par an
Par l'Institut Montaigne
700 M€
1 100 M€ estimation haute
Par Rassemblement National

La Rassemblent National propose de remplacer l’aide médicale d’État (AME) par l’aide d’urgence vitale. L’AME est un dispositif de prise en charge des soins, avec dispense d’avance de frais, accessible, d’une part aux étrangers en situation irrégulière résidant en France (hors Mayotte) depuis au moins trois mois, et dont les ressources sont inférieures au plafond de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUc), et, d’autre part à leurs conjoints, concubins ou enfants, résidants eux aussi en France

Le dispositif prévoit la prise en charge intégrale des dépenses de santé des bénéficiaires. En 2023, 466 000 patients ont bénéficié de l’AME de droit commun, pour un montant de dépenses sur le budget de l’État de près d’un milliard d’euros (montant prévisionnel des dépenses d’AME en 2024, d’après la loi de Finances pour 2024, de 1,2 Md€, contre 968 M€ en 2022). Ce montant prend en compte les soins urgents. Sa suppression assurerait une économie sur le budget de l’État, sans qu’elle atteigne toutefois 1 Md€ annuel, avancé par le Rassemblement National, car l’”aide d’urgence vitale”, qui remplacera l’AME, sera un nouveau dispositif à financer.

L’Institut Montaigne estime que la mesure générerait une économie annuelle de 700 M€. Cependant sa mise en œuvre pourrait générer des coûts supplémentaires non négligeables liés à une propagation des affections contagieuses au sein de la population générale.

Faisabilité de la mesure en cohabitation avec le président de la République

  • Faisabilité constitutionnelle : si les décisions successives du Conseil constitutionnel permettent d’affirmer que la suppression pure de l’AME serait déclarée contraire à la Constitution, certaines restrictions d’accès aux soins non urgents pourraient être admises, tant que ces restrictions au droit à la protection de la santé des individus ne sont pas disproportionnées au regard des objectifs poursuivis. Une autre option afin d’assurer le passage complet de la réforme serait de modifier directement la Constitution (en particulier le préambule de 1946, qui devrait être supprimé, une solution hautement improbable), pour réserver notamment la protection de la santé aux Français et résidents réguliers. Cette option n’est actuellement pas envisageable car bien que le Premier Ministre puisse proposer un référendum au Président de la République, c’est ce dernier qui détient l’initiative de la révision de la Constitution selon les dispositions de l’article 89.
  • Faisabilité de la mesure d’un point de vue des règles européennes et internationales : divers engagements internationaux et européens affirment un socle minimal de règles à respecter dans le domaine de la santé, en particulier s’agissant de situations d’urgence et de populations vulnérables (mineurs, femmes enceintes). Si, à nouveau, la suppression pure de l’AME sera déclarée non conforme aux engagements de la France, notamment par la Cour européenne des droits de l’Homme, son remplacement par une aide d’urgence vitale, selon les restrictions qu’elle apporterait au droit à la protection à la santé, pourrait leur être conforme, sous conditions.
  • Faisabilité “politique” : les partis alliés à la majorité présidentielle entendent réfléchir à une réforme de l’AME notamment pour suivre les recommandations du rapport Evin-Stefanini (remis en décembre 2023). Le Nouveau Front populaire souhaite le maintien de l’AME. Ainsi, seule l’hypothèse d’une majorité absolue ou de coalition majoritaire pour le Rassemblement National semble offrir une possibilité d’adoption de cette mesure, qui dépendra dans une large mesure du contenu de l’aide d’urgence vitale appelée à remplacer l’AME.

La faisabilité de la mesure, au niveau juridique, sera définie selon les restrictions qu’elle apporterait au droit à la protection à la santé. Le remplacement de l’AME par une aide d’urgence vitale pourrait être conforme aux droits interne, communautaire et international, sous conditions. La faisabilité de la mesure, au niveau politique, dépendra de la composition de l’hémicycle et d’une éventuelle majorité absolue ou de coalition majoritaire pour le Rassemblement National.

Le Rassemblement National propose de remplacer l’AME par une aide d’urgence vitale et évoque une économie de 1 Md€ par an.

En 2022, selon la candidate Marine Le Pen, qui proposait déjà cette même mesure, cette économie aurait été obtenue en conservant 25 % du montant de l’AME pour financer une aide d’urgence vitale (soit 0,25 M€ par an). Or, selon la Direction de la sécurité sociale (DSS), le coût de l’AME était de 968 M€ en 2022. Sa suppression ne pouvait donc correspondre à une économie d’un montant supérieur.

Néanmoins, dans la loi de Finances pour 2024, le montant prévisionnel des dépenses d’AME s’élève à 1 208 M€, soit une augmentation de +5,4 % par rapport à la prévision 2023 sous-jacente à la LFI 2024. L’AME représenterait alors 0,5 % des dépenses de santé en France en 2024.

Le nombre de bénéficiaires de l’AME a augmenté de près de 123 000 personnes entre la fin 2015 et la mi-2023, soit une progression de 39 % sur 7 ans et demi. Cette croissance est le résultat d’une progression entamée depuis 2019, principalement du fait du Covid (+14% de bénéficiaires sur la période 2020/2021) puis de la hausse du nombre de demandeurs d’asile.

L’AME de droit commun participe des politiques de santé et de solidarité publiques, avec un triple objectif : humanitaire (l’AME protège les personnes concernées en leur permettant l’accès aux soins préventifs et curatifs), sanitaire (elle joue un rôle important en matière de santé publique, en évitant la propagation des affections contagieuses non soignées) et économique (elle permet de faciliter la prise en charge des soins en amont, évitant ainsi les surcoûts liés à des soins retardés et pratiqués dans l’urgence).

Derrière l’aide médicale d’État (AME), trois dispositifs cohabitent :

  • L’AME de droit commun (pour 1 137 M€ en dépenses prévisionnelles 2024, selon la loi de Finances pour 2024) : elle garantit la couverture des soins aux personnes étrangères en situation irrégulière résidant en France depuis plus de trois mois. Ce dispositif est géré par le régime général de l’assurance maladie.
  • L’AME pour “soins urgents” (70 M€) : elle est accessible aux étrangers en situation irrégulière qui ne résident pas en France depuis plus de trois mois ininterrompus. Elle s’applique dans les cas où le pronostic vital de la personne est engagé ou s’il existe un risque d’altération grave et durable de l’état de santé. Ce dispositif fait l’objet d’une prise en charge forfaitaire par l’État, fixée à 70 M€ depuis 2020.
  • L’AME dite “humanitaire et autres dispositifs” (1 M€) : accordée au cas par cas pour les personnes ne résidant pas habituellement sur le territoire français (personnes étrangères en situation régulière ou françaises) par décision individuelle du ministre compétent. Ce dispositif de prise en charge, qui n’a pas le caractère d’un droit pour les personnes soignées, représente chaque année moins d’une centaine d’admissions pour soins hospitaliers. Le dispositif des “soins urgents”, dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé, a été mis en place pour les patients étrangers ne pouvant bénéficier de l’AME. Dans ce troisième volet, sont pris en compte les coûts des évacuations sanitaires d’étrangers résidant à Mayotte vers les hôpitaux de la Réunion et l’aide médicale accordée pour les personnes gardées à vue qui se limite à la prise en charge des médicaments.

La suppression de l’AME pose le sujet de l’égalité dans l’accès aux soins et celui du risque sanitaire de propagation des affections contagieuses. Cette question est fréquemment débattue au Parlement lors de l’examen de la Mission Santé du PLF, et l’a été plus récemment lors des discussions relatives au projet de loi immigration et intégration à l’automne 2023. Lors de ces débats, le Sénat avait voté un amendement pour remplacer l’actuel AME par une “aide médicale d’urgence” (AMU). L’Assemblée nationale avait par la suite supprimé cet amendement sénatorial.

Dans le contexte de ce projet de loi, une mission d’évaluation du dispositif de l’AME a été confiée à l’automne 2023, par le Gouvernement, à Claude EVIN et Patrick STEFANINI. Le rapport sur l’AME a été rendu en décembre 2023 et ne soutient pas la suppression de ce dispositif mais esquisse des pistes de réforme.

Ce rapport affirme notamment que “l’utilité sanitaire de l’AME est confirmée” et estime que le projet du Sénat de remplacer l’AME par une AMU comporte un “risque important de renoncement aux soins“, qui “aurait pour triple impact une dégradation de l’état de la santé des personnes concernées, des conséquences possibles sur la santé publique et une pression accentuée sur les établissements de santé“. En somme, sans l’AME, les étrangers ne pourraient plus recourir à la médecine de ville, solliciteraient davantage les hôpitaux, dans des états plus dégradés, et donc de façon plus coûteuse pour le système de soins.

Si ce coût supplémentaire est, par principe, difficilement chiffrable, l’Institut Montaigne estime les économies brutes générées par cette mesure entre 700€ et 1,1 Md€ par an.

Les hypothèses

Hypothèse haute

La seule suppression de l’AME de droit commun, c’est-à-dire avec maintien des soins urgents (pour 70 M€ en 2024), générerait une économie brute sur le budget général de l’État de 1,1 Md€ selon la loi de Finances pour 2024.

Hypothèse centrale

Cette économie apparaît surévaluée car elle ne prend pas en compte le déport de soins d’hospitalisation vers le dispositif de “soins urgents”.

Les bénéficiaires de l’AME sont ainsi soignés à l’hôpital pour des pathologies nécessitant une prise en charge pouvant devenir “vitales”, telles que l’hépatogastro-entérologie, la pneumologie ou encore les affections cardio-vasculaires

Il est en effet probable que la suppression de l’AME entraîne ce type d’effet, sans impact immédiat sur le budget général de l’État dans la mesure où la dotation de l’État est forfaitaire (70 M€) mais viendrait creuser le déficit de la Caisse Nationale Assurance Maladie, qui assure le remboursement aux établissements de santé des dépenses réalisées à ce titre.

Des hypothèses fortes ont été prises pour réaliser le présent chiffrage. Considérant que le déport vers les soins urgents serait uniquement constitué de dépenses d’hospitalisation, il pourrait être raisonnablement envisagé un déport vers les soins urgents à hauteur de 50 % des dépenses hospitalières prévisionnelles pour 2024 relevant de l’AME de droit commun. Les dépenses d’hospitalisation représentent 800 M€ en 2024. L’économie de 1,1 Md€ explicitée ci-dessus serait ainsi minorée de 400 M€. L’économie toutes administrations publiques confondues serait alors ramenée à 700 M€.

Toutefois, cette économie ne prend pas en compte les coûts que générerait une propagation des affections contagieuses au sein de la population, qui pourraient se révéler bien plus élevés.

Historique de la mesure

Le remplacement de l’aide médicale d’État (AME), avancé par la liste Rassemblement National en 2024, a déjà été proposée à plusieurs reprises depuis sa création. En 2010, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi visant à imposer des conditions à l’accès à l’AME. Les bénéficiaires devaient alors s’acquitter d’un droit de 30 euros par an et seuls leur conjoint et leurs enfants pouvaient désormais être leurs ayants droit. Cette disposition a été abrogée par la loi de finances rectificative pour 2012. Le 6 juillet 2016, une proposition de loi visant à supprimer l’Aide médicale d’État et à la remplacer par une aide médicale d’urgence a été déposée par Yannick Moreau (député Les Républicains). Cette même démarche a été adoptée par le Sénat lors des discussions relatives à la loi immigration et intégration en fin 2023.

Le dispositif a été partiellement réformé à l’occasion de la loi de Finances pour 2020, entrée en vigueur au 1er janvier 2020, pour réguler le recours à l’AME (mise en place d’un accord préalable de la Sécurité sociale pour certains soins programmés non urgents) et lutter contre la fraude.

La réforme de ce dispositif a également été un point de discussion important lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2021. Depuis le 1er janvier 2021, certains soins et traitements non urgents ne sont pris en charge qu’au bout d’un délai de 9 mois après l’admission à l’AME pour tout nouveau bénéficiaire ou pour celui qui n’a pas bénéficié de l’AME depuis plus d’un an.

Si le rapport sur l’Aide médicale de l’État, rédigé par Claude Evin et Patrick Stefanini en 2023, réaffirme la légitimité de l’AME, il encourage également un renforcement des contrôles et le resserrement des critères d’éligibilité. Selon eux, la création proposée par le Sénat en 2023 d’une Aide médicale d’urgence plus restrictive entraînerait “une complexification générale”, notamment pour apprécier ce qui relève des soins urgents et ce qui n’en relève pas. Cette remarque s’appliquerait également avec la mise en œuvre de la proposition du Rassemblement National.

Benchmark

Un socle commun de couverture des étrangers en situation irrégulière est constaté dans de nombreux européens. Il couvre la prise en charge des pathologies nécessitant des soins urgents, la prise en charge des femmes enceintes et des mineurs, ainsi que la prévention des infections.

Toutefois, selon un rapport de l’IGAS/IGF de 2019 sur l’AME, le dispositif français apparaît comme l’un des plus généreux de l’Union européenne tant par sa logique d’ouverture de droits que par la définition d’un panier de soins proches de ceux du droit commun. Le dispositif français y est aussi présenté comme plus transparent en termes de dépense publique.

Mise en œuvre

Par application du principe général d’égalité, le Conseil d’État a jugé que les étrangers ne pouvaient du seul fait de leur nationalité être écartés du bénéfice d’une prestation sociale d’assistance (CE, 30 juin 1989, Ville de Paris et bureau d’aide sociale de Paris c. Lévy). Le Conseil constitutionnel a consacré cette jurisprudence au niveau constitutionnel (CC, 22 janvier 1990, n° 89-269 DC). Si les étrangers jouissent du droit à la protection sociale, ils doivent également établir résider de manière stable et régulière sur le territoire français (CC, 13 août 1993, n° 83-325 DC (considérant 3), le Conseil d’État en 2015 (décision n° 375887) a réaffirmé ce principe et ainsi estimé que la condition de résidence régulière en France depuis au moins 5 ans imposée aux étrangers pour bénéficier du RSA ne constituait pas une discrimination illégale au regard des stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 1er de son premier protocole additionnel).

Toutefois, un socle minimum en matière d’accès aux soins pour les personnes en situation irrégulière est garanti par divers texte. L’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 définit le principe d’un droit à la protection de la santé. Divers engagements internationaux et européens affirment un socle minimal de règles à respecter dans le domaine de la santé en particulier notamment s’agissant de situations d’urgence et de populations vulnérables (mineurs, femmes enceintes) (exemples : Convention des Nations-Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels, Convention des Nations-unies relative aux droits de l’enfant, Convention européenne des droits de l’homme (article 2)).

Le Conseil constitutionnel en a fait une application relativement restrictive de ce socle minimum en matière d’accès aux soins pour les personnes en situation irrégulière considérant qu’il s’agissait d’une protection minimale (le Conseil constitutionnel a jugé constitutionnelles (i) la mise en place d’un mécanisme de vérification ex ante assurant que les bénéficiaires remplissent les conditions d’éligibilité à l’AME pour un champ limité de soins et (ii) un dispositif financier de paiement d’un droit d’entrée de 30 € dont sont exclus les soins urgents (CC, 28 décembre 2010)). De même, à propos de la proposition de référendum d’initiative partagée déposée par les parlementaires Les Républicains en février 2024, tendant à remplacer l’aide médicale de l’État par une aide médicale réduite aux urgences (entre autres mesures réduisant les droits sociaux des étrangers), le Conseil constitutionnel n’a pas vraiment apporté de précisions, se limitant à rappeler le préambule de la Constitution de 1946 : la Nation “garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs” (décision du 11 avril 2024).

Il apparaît que le législateur peut prendre des dispositions spécifiques à l’égard des étrangers en situation irrégulière en régulant le parcours de soins (autorisation préalable avant une opération) et en limitant le panier de soins ouvert aux étrangers en situation irrégulière

Les chiffrages proposés ici traitent prioritairement de l’impact immédiat des mesures sur les finances publiques et, dans la mesure du possible, examinent certains de leurs effets macroéconomiques. Notre démarche, réalisée dans le temps contraint de cette campagne, est itérative et invite au débat contradictoire.