Pour comparer les propositions de 2 candidats, veuillez tourner votre mobile
Pour consulter La France en chiffres, veuillez tourner votre mobile
Comparer les propositions de
Comparer
avec
...
BIOGRAPHIE

Privatiser l'audiovisuel public

Rassemblement National

L’ambition que nous avons portée pour la présidentielle reste d’actualité, celle à terme de privatiser l’audiovisuel public pour faire des économies“, (Jordan Bardella, France 3, 16 juin 2024)

Selon Le Monde, “le cabinet de Marine Le Pen précise : à part France Médias Monde (France 24, RFI et MCD), sur lequel l’extrême droite souhaite garder la main, tout le reste serait proposé à la vente, “même les antennes locales de France 3 et France Bleu“”.

Estimation
Économie par an à horizon 2027
Par l'Institut Montaigne
2 Md€
Par Rassemblement National

Gain d’environ 2 Md€ de moindres dépenses budgétaires par an à compter d’un horizon de 3 à 5 ans (le délai de procédure de privatisation).
Ajouter 1,5 Md€ de recettes de privatisation en une seule fois et au même horizon.

Le parti souhaiterait privatiser tout l’audiovisuel public sauf France Médias Monde. La cession d’un tel périmètre semble difficile à mener car elle suppose de trouver un repreneur pour chacune des nombreuses composantes, dont certaines à l’audience limitée risquent de ne pas être structurellement réutilisables. Par ailleurs, les règles européennes pourraient conduire à devoir préserver un média avec des obligations de services publics ayant un minimum d’audience.

L’économie budgétaire potentielle devrait donc être réduite à la moitié de l’ensemble du champ de l’audiovisuel public, soit 2 Md€. Un tel montant pourrait difficilement être économisé sur un seul exercice budgétaire, il sera tributaire du calendrier de cession, qui devrait être long compte tenu des procédures applicables (nationales sur les privatisations et européennes sur la liberté de la presse) et du contexte économique du marché de l’audiovisuel.

Par ailleurs, la potentielle privatisation de l’audiovisuel public (France TV et Radio France) pourrait améliorer la dette publique d’environ 1,5 Md€, la valorisation étant toutefois très incertaine et l’encaissement ne pouvant que difficilement être espéré sur un seul exercice budgétaire.

La privatisation de l’audiovisuel public entraînera vraisemblablement des effets au-delà des finances publiques. Notamment, le modèle économique de ces entités pourrait être entièrement remis en cause avec la suppression de la dotation de l’État, compte tenu de la réorganisation alors vraisemblable de cette filière de production audiovisuelle avec le changement de fournisseurs de contenu. En effet, France Télévision a des objectifs clairement définis par la puissance publique de soutien à la production nationale des contenus et en particulier de “production d’œuvres audiovisuelles européennes et d’expression originale française” (Cf. notamment chaque année les objectifs de performance inscrits aux PAP annexés au projet de loi de finances (PLF) de la mission Avances à l’audiovisuel public).

Impact macroéconomique, sur le pouvoir d’achat 

La mesure aurait un effet positif à moyen terme sur les finances publiques mais négatif sur le secteur économique de l’audiovisuel. La contraction prévisible du nouvel ensemble une fois cédé pèserait à la baisse sur les commandes aux producteurs audiovisuels, voire conduirait à des faillites pour les producteurs spécialisés dans les contenus répondant aux exigences de service public.

En comptabilité nationale, ces 1,5 Md€ n’améliorent pas le déficit public mais seulement la dette publique. En effet, il s’agit de la vente d’un actif qui ne correspond ni à un enrichissement, ni à un appauvrissement, mais plutôt à la monétisation d’un actif sous forme de titres. Cette opération est donc neutre en termes bilanciels et n’améliore donc pas le déficit public.

Faisabilité de la mesure en cohabitation avec le président de la République

  • Faisabilité constitutionnelle : la mesure supposerait une loi, qui pourrait faire l’objet d’une censure par le Conseil Constitutionnel, car le “secteur de l’audiovisuel public […] concourt à la mise en œuvre de la liberté de communication” (DC, 12 août 2022, Loi de finances rectificative pour 2022). Si un projet de loi venait à proposer la suppression de l’audiovisuel public, le Conseil Constitutionnel devrait poursuivre sa jurisprudence vers la sacralisation de l’audiovisuel public comme Principe Fondamental reconnu par les Lois de la République, selon le principe de liberté de communication affirmé dans sa décision du 18 septembre 1986.
  • Faisabilité européenne : la mesure pourrait se heurter au règlement européen sur la liberté des médias du 11 avril 2024 (Règlement (UE) 2024/1083 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive 2010/13/UE). Elle devrait faire au préalable l’objet d’une discussion avec la Commission européenne afin de déterminer son incidence sur le fonctionnement indépendant des médias de service public, que le règlement a pour objectif de protéger.
  • Faisabilité politique : la mesure risque de susciter une forte opposition chez les formations politiques en dehors du Rassemblement National.
  • Faisabilité de la mesure en cas de cohabitation : La mesure serait applicable en théorie car intervenant hors du domaine “réservé du président”. Toutefois, l’opposition politique qu’elle susciterait, autant de la part du président qui risquerait de ne pas appuyer la négociation avec la Commission européenne, que du côté du Parlement, où tout passage semble exclu en l’absence de majorité absolue, la rendrait difficilement applicable. Même en cas de vote favorable, une censure constitutionnelle n’est pas à exclure.

Moindre dépense budgétaire

Le RN souhaiterait privatiser tout l’audiovisuel public sauf France Médias Monde (France 24, RFI et MCD). Le périmètre exact de la privatisation n’est pas clairement arrêté, faisant l’objet de déclarations contradictoires.

Dépenses pour l’audiovisuel public dans le budget de l’État pour 2024

Organisme Dépense publique pour 2024 (Md€)
France Télévisions 2,52
ARTE France 0,29
Radio France 0,65
France Médias Monde 0,29
Institut national de l’audiovisuel 0,10
TV5 Monde 0,08
Total 3,93
Total sauf France Médias monde 3,64

Si l’on suit le périmètre le plus large évoqué par le RN, la dépense budgétaire qui serait en théorie supprimée à terme serait de l’ordre de 3,64 Md€. Néanmoins, cela suppose de pouvoir trouver un acquéreur pour toutes les composantes de ce champ. Or la privatisation d’un tel périmètre à court ou même moyen terme ferait baisser la valeur théorique de chacun de ses composants. En effet, la valeur de marché d’un média est liée à ses revenus, qui pour l’audiovisuel dépendent essentiellement des recettes publicitaires. Or dans un contexte de baisse tendancielle des recettes publicitaires des médias traditionnels, l’accroissement du volume de publicité diffusée induit par la privatisation risque de faire baisser sa valeur unitaire et donc les recettes des médias, qui seront davantage en concurrence pour attirer des publicités. D’après une étude menée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, janvier 2024), les recettes publicitaires devraient passer de 3,5 Md€ en 2022 à 3,1 Md€ en 2030 (soit -11,4 %).

Par ailleurs, compte tenu de la spécificité de l’audiovisuel public en matière de contenus et de valeurs professionnelles des salariés, la valeur de marché de certains segments les plus exigeants en termes de service public pourrait être très faible ou même nulle s’il n’y a pas de repreneur. L’économie budgétaire théorique est donc à relativiser très largement, l’État pourrait être obligé de financer un plan social de grande ampleur pour être en mesure de céder un tel périmètre, défini sur un champ valorisable sur le marché. En conséquence, le périmètre cessible réel pourrait être bien moins large que celui de la proposition. Par ailleurs, bien que non évoqué dans le périmètre conservé par le RN dans sa proposition, on imagine difficilement une privatisation de l’institut national de l’audiovisuel. Par prudence, nous ne retiendrons que la moitié du périmètre de l’audiovisuel public, soit une moindre dépense budgétaire annuelle d’environ 2 Md€ chaque année mais à compter d’un horizon de 3 à 5 ans compte tenu des délais de procédure.

Conséquences budgétaires de cette mesure de privatisation partielle de l’audiovisuel public

  • Dépenses annuelles potentiellement économisées au terme d’un long processus de 3 à 5 ans : 2 Md€
  • Dépenses qui demeurent : 2 Md€

Recettes potentielles issue de la vente

Par ailleurs, il faut prendre en compte le gain potentiel pour les finances publiques lié à la privatisation notamment de FranceTV et Radio France, pour lesquelles des valorisations de marché pourraient être estimées :

Pour FranceTV

Valorisation de TF1 = 1,6 Md€ pour un chiffre d’affaires prévisionnel de 2,37 Md€ en 2024
On en déduit une valorisation potentielle pour FranceTV (chiffre d’affaires de 3 Md€ en 2023) de l’ordre de 2 Md€.

Pour Radio France

Au regard de la valorisation que l’on peut faire sur d’autres entités du marché à l’instar du groupe NRJ, selon ses publications le groupe de radio a réalisé un chiffres d’affaires prévisionnel 2024 402 M € pour une valorisation de 587 M € en 2024. Radio France a réalisé un chiffre d’affaires de l’ordre de 681 M € en 2022. On en déduit une potentielle valorisation de Radio France de l’ordre de 0,9 Md€.

En conclusion on en déduit une recette unique potentielle de 2,9 Md€ de la privatisation de FranceTV et Radio France.

Néanmoins, la cession d’un tel périmètre à court ou moyen terme devrait faire baisser les valorisations, compte tenu de la tendance à la baisse des recettes publicitaires, ce qui ferait baisser fortement la rentabilité de l’ensemble des entreprises du secteur. Les cours de bourse de TF1 et NRJ ont ainsi baissé jusqu’à respectivement -17 % et -10 % après l’annonce de la dissolution, en lien direct avec la mesure de privatisation de l’audiovisuel public. Cette baisse pourrait se poursuivre en fonction des résultats, réduisant d’autant la valorisation potentielle sur le marché de France TV et RadioFrance.

En outre, l’intégralité du périmètre de ces entreprises ne paraît pas cessible, compte tenu des exigences actuelles de service public et des audiences très limitées d’une partie des chaînes et radio composant France TV et Radio France. Par ailleurs, compte tenu des règles européennes sur la liberté des médias, les éventuels acquéreurs devraient atteindre la fin de la procédure avec la Commission européenne avant de finaliser l’acquisition. Compte tenu de ces incertitudes, relevant autant du périmètre que de la valeur de marché, seul 50 % du périmètre est retenu pour évaluer la recette potentielle issue d’une vente de ces entreprises à un actionnaire privé, soit environ 1,5 Md€.

En comptabilité nationale, ces 1,5 Md€ n’améliorent pas le déficit public mais seulement la dette publique. En effet, il s’agit de la vente d’un actif qui ne correspond ni à un enrichissement, ni à un appauvrissement, mais plutôt à la monétisation d’un actif sous forme de titres. Cette opération est donc neutre en termes bilanciels et n’améliore donc pas le déficit public.

La privatisation de l’audiovisuel public aura des effets au-delà des finances publiques. Des retombées économiques négatives sur le secteur sont à prévoir, avec une baisse des activités des entreprises de la filière de production audiovisuelle destinée au service public avec le changement de fournisseurs de contenu. France Télévision a aujourd’hui des objectifs de service public de soutien à la production nationale des contenus et en particulier de “production d’œuvres audiovisuelles européennes et d’expression originale française” (Cf. notamment chaque année les objectifs de performance inscrits aux PAP annexés au projet de loi de finances (PLF) de la mission Avances à l’audiovisuel public).

L’audiovisuel public permet de faire vivre des médias régionaux importants pour les Français dans les territoires avec les antennes régionales de FranceTV et Radio France qui risqueraient de disparaître.

Benchmark

Peu de pays ont privatisé totalement leur audiovisuel public en Europe, même dans les pays où l’extrême droite est au pouvoir.

Mise en œuvre

D’après la Commission des participations et des transferts, une privatisation de FranceTV et RadioFrance devrait être autorisée par la loi et être ensuite décidée par décret. En outre, il faudrait s’assurer que la cession des participations ne se fasse pas à un prix inférieur à leur valeur et que le choix des investisseurs ne procède d’aucun privilège.

Contexte général

  • Selon l’article 34 de la Constitution de 1958, relèvent du domaine de la loi “les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé“.
  • Le Conseil constitutionnel a précisé (décision n°86-207 des 25 et 26 juin 1986) que cette disposition “n’impose pas que toute opération impliquant un transfert du secteur public au secteur privé soit directement décidée par le législateur ; qu’il appartient à celui-ci de poser des règles dont l’application incombera aux autorités ou aux organes désignés par lui“.

Le cas d’une privatisation de FranceTV et RadioFrance

  • Ce projet rejoint la catégorie des opérations qui entraînent le transfert par l’État au secteur privé de la majorité du capital d’une entreprise qui était entrée dans le secteur public en application d’une disposition législative ou qu’il détenait majoritairement depuis plus de cinq et qui dépassait certains seuils (effectifs > 500 personnes ou CA > 75 M €) ;
  • Une telle opération doit avoir être autorisée par la loi et être ensuite décidée par décret ;

Garanties supplémentaires

  • La cession par l’État (ou une entité publique) de la majorité du capital d’une société doit s’accompagner des garanties nécessaires à la préservation des intérêts essentiels de la Nation dans les domaines concernés (art. 21-1 de l’ordonnance).
  • Le Conseil constitutionnel avait explicité les garanties auxquelles sont conditionnés de tels transferts, en particulier pour assurer que la cession des participations ne se fasse pas à un prix inférieur à leur valeur et que le choix des investisseurs ne procède d’aucun privilège.

Procédure européenne

La mesure pourrait se heurter au règlement européen sur la liberté des médias du 11 avril 2024 (Règlement (UE) 2024/1083 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive 2010/13/UE). Elle devrait faire au préalable l’objet d’une discussion avec la Commission européenne afin de déterminer si son impact sur le fonctionnement indépendant des médias de service public, que le règlement a pour objectif de protéger. La cession d’une part trop importante de parts d’audiences pourrait être un motif de procédure en manquement.

Les chiffrages proposés ici traitent prioritairement de l’impact immédiat des mesures sur les finances publiques et, dans la mesure du possible, examinent certains de leurs effets macroéconomiques. Notre démarche, réalisée dans le temps contraint de cette campagne, est itérative et invite au débat contradictoire.