“Soutenir les familles Françaises […] : Instituer une part fiscale complète dès le deuxième enfant”
Programme du Rassemblement National.
Dans une logique de soutien à la natalité, le mécanisme du quotient familial permet de tenir compte de la composition familiale des foyers fiscaux dans le calcul de l’impôt sur le revenu. Il attribue des parts au foyer fiscal, auxquelles sont appliquées le barème de l’impôt : une part par adulte, une demi-part supplémentaire pour chaque enfant et une part entière à partir du troisième. Ce dispositif a un coût pour les finances publiques estimé à 16,5 Md€ en 2021 (dernière donnée disponible).
La proposition du Rassemblement National consiste à instituer une part fiscale complète dès le deuxième enfant, réduisant ainsi l’impôt sur le revenu des foyers fiscaux avec deux enfants ou plus. Le chiffrage de cette mesure sur la base du modèle LexImpact proposé par l’Assemblée nationale aboutit à un coût de 3,4 Md€ en 2024. Cette mesure conduirait à diminuer l’impôt sur le revenu pour 8 % des foyers fiscaux et serait sans effet pour les autres.
L’effet de cette mesure sur la natalité pourrait néanmoins être limité : une évaluation de l’introduction de la demi-part supplémentaire au troisième enfant faisait état d’un effet positif sur la fécondité, mais très faible (étude de 2003).
Faisabilité de la mesure
- Faisabilité constitutionnelle : cette mesure nécessiterait un article de loi de finances mais ne ferait a priori pas l’objet d’une censure constitutionnelle.
- Faisabilité européenne : cette mesure relève entièrement des compétences nationales et ne nécessiterait aucune procédure ou discussion au niveau européen.
- Faisabilité politique : le programme des Républicains (LR) pour les élections de 2022 proposait de renforcer le quotient familial en portant son plafond à 3 000 €. Une majorité absolue RN/LR dans l’hémicycle pourrait donc permettre d’adopter cette mesure. La mesure pourrait également s’appuyer sur des députés de la droite républicaine hors-coalition, comme la ligne historique des Républicains, et ainsi être votée même en cas de majorité relative.
La mesure semble entièrement faisable en théorie, mais pourrait se heurter au parlement en cas de majorité relative. La capacité de la mesure à être adoptée dépendra alors du nombre de députés de droite hors-coalition susceptibles de s’y rallier.
L’impôt sur le revenu est le prélèvement obligatoire qui tient le plus compte de la composition conjugale et familiale des foyers fiscaux. S’agissant en particulier de la composition des foyers, il prend en compte les enfants par le mécanisme du quotient familial, mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il vise à opérer une redistribution dite “horizontale“, des foyers sans enfant vers les foyers avec enfants, et répond au principe constitutionnel de prise en compte des facultés contributives des ménages face à l’impôt et à l’obligation pour la Nation d’assurer à l’individu et à la famille les conditions de leur développement.
Le mécanisme du quotient familial attribue un certain nombre de parts au foyer fiscal : une pour chaque adulte composant le foyer, une demi-part supplémentaire pour chaque enfant et une part entière à partir du troisième. D’autres majorations du quotient familial existent pour prendre en compte des situations particulières (veuvage, invalidité, parent isolé, ancien combattant).
Le barème progressif de l’IR s’applique au revenu imposable par part. Le résultat ainsi obtenu est ensuite multiplié par le nombre de parts du foyer fiscal pour déterminer l’impôt dû. Par exemple, pour un même revenu de 50 000 €, le taux moyen d’imposition d’un célibataire sera de 17,2 %, d’un couple sans enfant de 12,5 % et d’un couple avec deux enfants de 11,7 %. Ces règles permettent d’appliquer, à revenu du foyer égal, un taux marginal plus faible au foyer fiscal qui a les charges de famille les plus élevées. La réduction d’impôt résultant de l’application du quotient familial est néanmoins plafonnée, à 1 678 € pour chaque demi-part supplémentaire outre les parts des adultes.
Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport sur la prise en compte de la famille dans la fiscalité de 2023, l’impact sur les recettes fiscales imputable au quotient familial n’est pas retracé dans la documentation budgétaire et demeure difficile à évaluer. L’Insee avait cependant estimé l’impact du quotient familial à 16,6 Md€ en 2017 ; ce chiffrage est actualisé par la Cour des comptes à 16,5 Md€ pour 2021.
La mesure proposée par le Rassemblement National vise à renforcer le mécanisme de quotient familial pour instituer une part fiscale complète dès le deuxième enfant. Le modèle le plus fiable de chiffrage de cette mesure est celui de LexImpact proposé par l’Assemblée nationale : il permet de simuler son coût en tenant compte de la composition des foyers fiscaux et de son plafonnement. L’attribution, dans ce modèle, d’une part fiscale dès le deuxième enfant a un coût estimé, toutes choses égales par ailleurs, à 3,4 Md€ en 2024. Cette mesure conduirait à diminuer l’impôt sur le revenu pour 8 % des foyers fiscaux et serait sans effet pour les autres.
Cet ordre de grandeur peut être confirmé à partir des données relatives au coût budgétaire du quotient familial par foyer fiscal en fonction du nombre d’enfants figurant dans le rapport de l’inspection générale des finances (IGF) sur la politique familiale de 2021. Le coût de la demi-part attribuée pour le deuxième enfant peut être estimé a minima à 3,4 Md€ en 2018. Cette estimation est réalisée sur des données de 2018 dont le total diffère de celui estimé par d’autres sources ; elle permet néanmoins de confirmer l’ordre de grandeur de la mesure, à savoir près de 3 Md€.
Répartition du coût budgétaire du quotient familial par nombre d’enfants (2019 sur les revenus 2018)
Nombre d’enfants par foyer fiscal | Coût budgétaire du quotient familial (Md€) | Coût de la 1/2 part du 2e enfant |
1 | 3 525 | – |
2 | 5 411 | 2 706 |
3 | 2 607 | 652 |
4 | 533 | 89 |
+4 * | 162 | 20 |
Total | 12 238 | 3 466 |
Source : IGF, 2021 ; Institut Montaigne.
*Pour les ménages de plus de quatre enfants on part de l’hypothèse qu’ils en ont cinq ; ce chiffrage est donc un minorant.
Les travaux existants sur la politique familiale identifient un lien positif entre les aides accordées et la natalité. En particulier, une étude de 2003 sur l’impact de l’introduction de la demi-part supplémentaire au troisième enfant en 1980 faisait état d’un effet positif sur la fécondité, mais très faible. De plus, les travaux de l’inspection générale des finances soulignent que ce mécanisme est contradictoire avec l’objectif de redistribution verticale dans la mesure où il croît avec les revenus des ménages imposables : les 20 % de ménages les plus aisés concentrent 36 % du bénéfice du mécanisme. Enfin, la redistribution horizontale par le quotient familial repose sur l’hypothèse que le coût lié à la présence d’enfants est croissant puisqu’il dépend des revenus des familles et de leur niveau de vie ; certaines études suggèrent, à l’inverse, l’occurrence d’économies d’échelle plus fortes à partir du troisième enfant. Le mécanisme ne distingue pas non plus les unités de consommation en fonction de l’âge de l’enfant, à la différence des allocations familiales.
Benchmark
Les travaux de l’inspection générale des finances soulignent que la France est un des pays de l’OCDE où les dispositifs fiscaux pèsent le plus dans les dépenses publiques familiales (0,7 % du PIB en 2017), derrière la République Tchèque (0,9 % du PIB), l’Allemagne (0,8 %) et la Hongrie (0,7 %), principalement du fait de l’importance du quotient familial.
Si le mécanisme de quotient familial est une spécificité française en Europe, des dispositifs fiscaux à destination des familles existent dans d’autres pays européens, notamment les pays d’Europe continentale (Allemagne, Belgique) et prennent le plus souvent la forme de crédits d’impôt ou d’abattements forfaitaires. En revanche, les pays scandinaves (Suède, Danemark, Norvège, Islande, Finlande) n’utilisent pas ou peu le levier fiscal dans le cadre de leurs politiques familiales.
Mise en œuvre
Cette mesure devrait être adoptée en loi de finances.