Exonérer les entreprises des cotisations patronales sur les hausses de 10 % des grilles de salaires pour tous les salariés sous 3 Smic
“Dès 2022, et pendant cinq ans, dans le cadre d’un contrat d’entreprise, pour toute hausse de salaire de 10 % accordée à l’ensemble des salariés gagnant jusqu’à trois fois le Smic, les entreprises seront exonérées de cotisations patronales sur cette augmentation. Celles-là concerneront les employés actuels, ainsi que les nouveaux embauchés sur la base des salaires historiques pratiqués par l’entreprise.” Marine Le Pen dans un tribune aux Echos
“Pour inciter les employeurs à augmenter les salaires, le RN propose d’exonérer ces hausses de cotisations patronales, dans la limite de 10 % et jusqu’à trois fois le salaire minimum.” Le Monde, 14 juin 2024
“En revanche, l’exonération de cotisations patronales pour toute hausse de salaire de 10 % jusqu’à trois Smic fait toujours partie des plans à court terme (…) cette mesure pour favoriser l’augmentation des salaires pourrait être discutée “une grande conférence sociale” avec le patronat et les syndicats que les dirigeants du parti songent à convoquer”. L’Opinion, 12 juin 2024
Cette mesure est estimée à un coût de 800 millions d’euros en 2025, de 4,8 milliards d’euros en 2027 et de 12 milliards d’euros en 2029.
La liste RN propose une exonération, pendant cinq ans, de cotisations patronales pour une entreprise qui augmenterait sa grille salariale d’au moins 10 % jusqu’à trois Smic. L’exonération porterait sur le surcroît de salaire correspondant aux premiers 10 % de hausse. Dans le cas où plusieurs hausses de 10 % seraient mises en place dans la période de cinq ans de validité de la mesure, l’entreprise bénéficierait chaque fois de l’exonération correspondante. 90 % des salariés du secteur privé se situent sous ce seuil de trois Smic et pourraient, sur le principe, être concernés.
Un tel dispositif générerait d’importants effets d’aubaine puisque les employeurs auraient tout intérêt à en profiter pour effectuer des augmentations qu’ils auraient accordées de toute façon. Compte tenu de son effet pérenne sur la grille salariale de l’entreprise, l’hypothèse la plus raisonnable serait, en effet, que cette mesure n’induirait pas de hausses salariales significatives qui n’auraient pas eu lieu de toute façon. Eu égard à l’importance de la hausse nécessaire pour bénéficier de l’exonération, certains employeurs pourraient anticiper des hausses de salaires qui auraient eu lieu de manière plus étalée dans le temps.
En 2024, dans un contexte où:
- l’inflation retrouverait progressivement sa dynamique d’avant crise (sur un an, les prix à la consommation augmentent de 2,2 % en avril 2024, contre 5,9 % sur un an en avril 2023), et alors que les salaires ont progressé plus vite que l’inflation en moyenne en 2023 en France;
- le taux de chômage stagne autour de 7,5 %, après une décrue continue depuis 2017 (hormis durant le Covid);
- les augmentations de salaire dans le secteur privé oscilleraient entre 3 et 4 %, contre entre 5 et 6 % en 2023, nous faisons l’hypothèse que 10 % des entreprises seraient intéressées chaque année, ce qui rend compte du fait que peu d’entreprises relèveraient l’ensemble de leur grille salariale de plus de 10 %.
Par ailleurs, au niveau macroéconomique, le partage de la valeur ajoutée ne présente pas de déséquilibre justifiant de telles hausses pour la généralité des entreprises (voir à ce sujet la note de la DG Trésor de 2019, L’évolution de la part du travail dans la valeur ajoutée dans les économies avancées).
Au total, la mesure représenterait un manque à gagner pour les finances publiques, équivalent aux charges patronales normalement perçues du fait de ces hausses de salaire, qui auraient eu lieu de toute façon en l’absence de la mesure (éventuellement de manière plus étalée dans le temps). La première année, ce manque à gagner est estimé à 1 Md €. Il augmenterait ensuite avec le temps dès lors que davantage d’entreprise y auraient recours : le manque à gagner brut serait ainsi estimé à 15 Md € pour l’année 2029. Cependant, ce manque à gagner se traduirait par une augmentation d’autant du bénéfice des entreprises et donc de l’impôt sur les sociétés. Ce “retour IS” peut être estimé à 20 % de la hausse du bénéfice fiscal et réduirait ainsi le coût de 3 Md€. Le coût net serait alors de 12 Md€ en 2029.
Le manque à gagner serait plus élevé si l’inflation s’avérait durablement supérieure à la dynamique d’avant-crise et que les tensions sur le marché de l’emploi persistaient – notamment si l’objectif de plein emploi de l’actuel Gouvernement était atteint en 2027 –, conduisant davantage d’entreprises à activer la mesure après 2024.
Faisabilité de la mesure en cohabitation avec le président de la République, Emmanuel Macron ?
- Faisabilité constitutionnelle : cette mesure nécessiterait un article de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, ainsi qu’une modification du code du travail. Risque de censure constitutionnelle limité.
- Faisabilité européenne : cette mesure relève entièrement des compétences nationales et ne nécessiterait aucune procédure ou discussion au niveau européen.
- Faisabilité politique : une proposition de loi visant à favoriser les augmentations de salaires de 10 % en contrepartie d’une exemption des charges jusqu’à 3 Smic a été déposée en novembre 2022 à l’Assemblée nationale par des députés du Rassemblement national. L’ensemble des opposants politiques avaient rejeté cette proposition. L’hypothèse d’une majorité absolue du RN semble ainsi être la seule possibilité d’adoption de cette mesure.
Commentaire général sur la faisabilité de la mesure en cas de cohabitation avec le président de la République : réelle en théorie mais limitée sans majorité absolue du RN au sein de l’hémicycle.
Commentaires et précisions apportées par l’équipe de campagne
Contactée, l’équipe de campagne estime que la méthode de chiffrage retenue par l’Institut Montaigne (incluant le taux de retour d’IS) correspond à la sienne. Elle estime toutefois qu’il est impossible de chiffrer un manque à gagner pour les finances publiques, alors que les hausses de salaire couvertes par la mesure n’auraient pas eu lieu en son absence. Par ailleurs, la mesure s’appliquerait à des hausses de salaire généralisées, et non individuelles. Il est donc impossible selon elle d’évoquer des effets d’aubaine assimilables à des exonérations de cotisations patronales pour des hausses qui auraient eu lieu de toute façon.
Lorsqu’une entreprise augmente les salaires, des charges patronales supplémentaires s’ajoutent à la hausse du salaire brut. Pour les salaires en dessous de 2,5 Smic, la hausse des charges est renforcée par le fait que les allègements de charges dont bénéficient ces niveaux de rémunération diminuent (ce point est particulièrement fort au niveau du Smic).
Voici l’impact d’une hausse aujourd’hui de 10 % de salaire brut sur le coût salarial (salaire chargé) selon le simulateur de cotisations de l’Urssaf :
Salaire actuel | |||
Smic | Salaire brut | Coût total employeur | Charges patronales |
0,5 | 883,50 € | 932,00 € | 48,50 € |
1 | 1 767,00 € | 1 844,00 € | 77,00 € |
1,5 | 2 650,50 € | 3 507,00 € | 856,50 € |
2 | 3 534,00 € | 4 796,00 € | 1 262,00 € |
2,5 | 4 417,50 € | 6 264,00 € | 1 846,50 € |
3 | 5 301,00 € | 7 513,00 € | 2 212,00 € |
Augmentation de 10 % | |||
Smic | Salaire brut | Coût total employeur | Charges patronales |
0,5 | 971,85 € | 1 023,00 € | 51,15 € |
1 | 1 943,70 € | 2 177,00 € | 233,30 € |
1,5 | 2 915,55 € | 3 961,00 € | 1 045,45 € |
2 | 3 887,40 € | 5 282,00 € | 1 394,60 € |
2,5 | 4 859,25 € | 6 888,00 € | 2 028,75 € |
3 | 5 831,10 € | 8 261,00 € | 2 429,90 € |
Évolution du taux de cotisation patronale avec la hausse du salaire brut de 10 % | |
Smic | |
0,5 | 5% |
1 | 203% |
1,5 | 22% |
2 | 11% |
2,5 | 10% |
3 | 10% |
Il est possible de calculer le manque à gagner brut sur une année de la mesure si elle bénéficiait à tous les salariés du privé dont la rémunération est inférieure à 3 Smic. Le pourcentage de hausse de cotisation étant différent selon le niveau de salaire, il faut calculer la hausse par tranche de salaire (en utilisant le simulateur de l’Urssaf) puis faire une moyenne pondérée sur la distribution de salaires du secteur privé de l’Insee. On peut estimer ainsi qu’une hausse uniforme de 10 % de tous les salaires sous 3 Smic conduit à une hausse de 12 % de la masse salariale brute chargée correspondante.
Par ailleurs, la part de salaires sous les 3 Smic étant estimée à 70 % de la masse salariale brute, la masse salariale du secteur privé prise en considération ici s’établit à 465 Md€, avec 2022 comme année de référence.
Dès lors, lorsque les cotisations s’appliquent normalement, une hausse de 10 % de salaires pour l’ensemble des salariés éligibles induit une hausse de 46 Md€ de la masse salariale brute correspondante, et une hausse de 56 Md€ de la masse salariale brute chargée, soit par différence une hausse de 10 Md€ des cotisations patronales.
Le manque à gagner budgétaire brut effectif de la mesure dépend du comportement des entreprises. Une hausse de 10 % de la grille salariale, exonérée de charges patronales, représente un surcoût important pour l’entreprise (10 % de sa masse salariale). Le surcoût peut également être compensé par des hausses de salaire moins importantes les années suivantes, avec un point d’équilibre qui dépend de la dynamique des salaires de l’entreprise.
D’un côté, en 2024, dans le contexte rappelé plus haut, un nombre relativement limité d’entreprises pourraient mettre en place cette mesure.
De l’autre côté, l’expérience de la prime “Macron” de 2023 (prime de partage de la valeur (PPV), séduisante pour les entreprises car simple à mettre en œuvre et exonérée de charges sociale) laisse penser également, dans un cadre toutefois différent (prime optionnelle vs augmentation pérenne de salaire), que les entreprises disposent de marges limitées pour relever de façon pérenne et conséquente les salaires.
Dès lors, nous faisons l’hypothèse que 10 % des entreprises seraient intéressées chaque année, ce qui rend compte du fait que peu d’entreprises relèveraient l’ensemble de leur grille salariale de plus de 10 %.
Le manque à gagner annuel brut pourrait être alors estimé à 1 Md€ pour les finances publiques la première année.
Le manque à gagner se traduirait par une augmentation d’autant du bénéfice des entreprises et donc de l’impôt sur les sociétés. Ce “retour IS” peut être estimé à 20 % de la hausse du bénéfice fiscal. Cette hypothèse correspond au “retour IS” retenu par la DG Trésor, par exemple, pour l’estimation de l’effet de la baisse des impôts de production sur l’IS.
Ainsi, si le RN reprend sa mesure telle qu’évoquée pour le programme présidentiel de 2022, c’est-à-dire que celle-ci pourrait s’appliquer pendant 5 ans, l’impact cumulé pour le finances publiques s’évaluerait comme suit :
Année | Manque à gagner brut |
2025 | 0,8 Md € |
2026 | 1,6 Md€ |
2027 | 2,4 Md € |
2028 | 3,2 Md € |
2029 | 4 Md € |
TOTAL sur 5 ans | 12 Md € |
Au total, dans le scénario considéré et dans le contexte actuel, la mesure représenterait un manque à gagner budgétaire brut d’0,8 Md € la première année. Le manque à gagner brut augmenterait avec le temps dès lors que davantage d’entreprises y auraient recours : le manque à gagner brut serait alors de 12 Md € en 2029.
Néanmoins, il est essentiel de préciser que le manque à gagner net pourra être atténué sous l’effet des cotisations salariales et de l’impôt sur le revenu induits par les hausses de salaire, incitées par cette mesure.
De plus, cette mesure contribue à diminuer le coût du travail, à travers un allégement de charge, et pourrait donc contribuer à augmenter l’emploi. D’après la littérature économique, la baisse du coût du travail de 1 % se traduit par une augmentation de 0,3 % de l’emploi. Une baisse de 15 Md€ du coût du travail pourrait ainsi conduire à un augmentation à 0,4 % de l’emploi salarié soit 70 000 emplois. Cependant, cette estimation constitue un majorant dès lors que l’exonération de charges n’est pas concentrée sur les emplois à bas salaires qui sont plus sensibles au coût du travail. Par ailleurs, cette mesure pourrait pour partie avoir pour effet d’ augmenter les salaires et donc de ne pas abaisser le coût du travail.
Historique de la mesure
Le gouvernement actuel entend également mettre en place des mesures visant à favoriser le pouvoir d’achat des ménages sans nuire à la compétitivité des entreprises.
La prime de partage de la valeur (également surnommée “prime Macron”) s’est notamment établie en moyenne à 885 € en 2023, pour près de 6 millions de salariés (sur près de 20 millions de salariés éligibles), versée par près de 520 000 entreprises. L’effet d’aubaine associé à cette mesure est estimée par l’Insee à 30 % en 2022. Ainsi, l’effet de la mesure sur le salaire serait de 600 €.
Néanmoins, si le montant moyen versé aux salariés l’an dernier est supérieur à celui enregistré en 2022, il reste loin du plafond de 3.000 € prévu (porté à 6.000 € dans les entreprises ayant un accord d’intéressement ou de participation volontaire).
Cette mesure, si elle cible les mêmes thématiques que celles proposées par le Rassemblement national (pouvoir d’achat et compétitivité des entreprises), n’a évidemment pas la même portée, ni les mêmes effets.
Benchmark
Le coût du travail reste globalement supérieur en France par rapport aux autres pays européens, y compris l’Allemagne, cet écart résultant pour partie du niveau des charges sociales.
Grâce aux allègements de charge en dessous de 2,5 Smic, le coût du travail est néanmoins désormais compétitif pour les bas salaires.
Mise en œuvre
La mesure nécessite une mesure de financement (loi des finances) et une modification du code de la sécurité sociale (loi de financement de la sécurité sociale). Elle nécessiterait également une modification du code du travail, pour définir les modalités d’un accord de révision de grille salariale permettant de bénéficier de cette mesure.