Synthèse des chiffrages
Le programme du NFP présenté lors de la campagne des législatives 2024 entraînerait un budget en déséquilibre qui augmenterait le déficit public de 179 Md€ par an selon l’Institut Montaigne. Le programme du NFP propose de nouvelles dépenses et des baisses d’impôts à hauteur de 233 Md€. La majorité d’entre elles concerne des mesures liées au pouvoir d’achat, aux services publics et à l’abrogation de la réforme des retraites. À l’inverse, le NFP propose des économies via une hausse des prélèvements obligatoires, notamment sur les entreprises, les successions, les transactions financières et les ménages qui représentent 54 Md€.
Méthodologie de la synthèse
Dans la droite ligne des analyses produites dans le cadre de cette opération spéciale “Législatives 2024”, cette synthèse de chiffrages s’inscrit dans une réflexion de moyen terme. Elle vise à éclairer le débat public sur les conséquences économiques et financières des mesures proposées par les principales listes politiques dont les éventuelles mises en œuvre seront au cœur des débats parlementaires des prochains mois.
À cet égard, les mesures chiffrées dans cette synthèse correspondent aux mesures programmatiques des principales listes engagées dans ce scrutin. Il peut s’agir de :
- nouvelles mesures, ayant fait l’objet d’un chiffrage inédit dans le cadre de cette campagne des législatives 2024 ;
- mesures plus anciennes, déjà inscrites dans les programmes de l’élection présidentielle 2022 mais reprises dans les programmes de ces élections législatives 2024. Pour celles-ci, le chiffrage a été conservé ou actualisé afin de garantir sa pertinence et le rendre exploitable au regard de la situation économique de 2024.
Par ailleurs, l’ensemble des mesures prises en compte dans cette synthèse sont celles qui n’ont pas déjà fait l’objet d’une loi ou d’un texte réglementaire ou qui reviennent sur une loi déjà adoptée par le Parlement. Les lois et réglementations actuelles correspondent à la base de référence par rapport à laquelle ces chiffrages sont définis :
- En particulier, la réforme des retraites de 2023 est considérée comme faisant aujourd’hui partie du corpus législatif français. Revenir dessus, comme le proposent les listes du Rassemblement national (RN) et du Nouveau Front populaire (NFP) conduirait à alourdir le coût budgétaire des mesures proposées, sans compter les effets potentiellement néfastes sur l’économie dans son ensemble. La liste Ensemble pour la République n’a pas formulé d’annonce relative au régime des retraites et devrait maintenir le système en l’état d’ici à la fin du quinquennat. Ainsi, l’Institut Montaigne a fait le choix de ne pas retenir la réforme de 2023 dans sa synthèse budgétaire, mais propose un chiffrage et une analyse sous forme d’état des lieux de cette réforme.
- De la même manière, la réforme de l’Assurance chômage prévue pour juillet 2024, dont la mise en œuvre a été décalée par le Gouvernement, n’est pas intégrée dans ce corpus de règles existantes. Revenir sur cette réforme, comme le proposent le RN et le NFP, ne coûte donc rien en l’état actuel des choses mais correspond à une économie pour la liste Ensemble pour la République, qui l’aurait vraisemblablement appliquée en cas de prolongation de sa majorité parlementaire.
- Toujours selon ce même principe, les mesures d’indexation des retraites sur l’inflation, soutenues par les listes Ensemble pour la République et le Rassemblement national, sont en réalité déjà ancrées dans la réglementation française. Elles sont donc budgétairement neutres dans le cadre de ces bouclages budgétaires car déjà appliquées en pratique. A des fins d’analyse, l’Institut Montaigne a toutefois décidé d’en conserver le chiffrage pour indiquer le coût annuel de cette réglementation en vigueur qui n’est pas immuable. Elle a déjà été modifiée par le passé, en 2019 par exemple, lors d’une sous-indexation des pensions de retraite sur l’inflation. Cette démarche permet par ailleurs d’évaluer le surcoût d’une indexation des pensions sur les salaires, mesure proposée par le Nouveau Front populaire.
- Enfin, ces chiffrages n’intègrent pas les éventuels changements de comportements des acteurs économiques qui résulteraient de la mise en œuvre des mesures proposées. En particulier, la logique de financement du programme du NFP – d’inspiration “keynésienne” – qui s’appuie sur une relance de l’économie par la demande et la consommation et donc une hausse espérée des recettes fiscales, n’est pas retenue en l’absence de modèles satisfaisants pour l’estimer.
Contexte économique
Avec une dette s’élevant à 110,7 points de PIB au 3e trimestre 2024, la France est l’un des pays les plus endettés de la zone euro (après la Grèce et l’Italie) et plus largement de l’Union européenne (UE). Son déficit, de 5,5 points de PIB, est également le quatrième déficit le plus important de l’UE, derrière ceux de l’Italie, la Hongrie et la Roumanie. Cette pression exercée sur les finances publiques met en péril la capacité future de la France à faire face à de nouvelles crises, dégrade sa souveraineté en la rendant plus vulnérable aux changements de taux, et compromet de nombreuses dépenses d’avenir. Selon une étude de l’Institut Montaigne de 2022, il faudrait trouver près de 70 Md€ d’économies sur la période 2023-2027 pour respecter une trajectoire de finances publiques soutenable.
Dépenses et baisses d’impôts
Selon les estimations de l’Institut Montaigne, les 233 Md€ de dépenses nouvelles et moindres recettes sur 3 ans correspondent à 8 points de PIB, et représentent donc un poids significatif pour les finances publiques. Ces dépenses s’articulent essentiellement autour de la mise en place de nouveaux droits pour la retraite, d’accroissements de salaires et d’aides sociales ainsi que de nouvelles prestations. S’y ajoutent de nombreux services supplémentaires et, accessoirement, une baisse d’impôt pérenne de TICFE (taxe sur l’électricité).
Autres mesures (retrouvez le détail ici) :
- Porter le budget de la culture à 1 % du PIB et celui du sport à 1 % du budget de l’État : 20,2 Md€
- Augmenter de 10 % du point d’indice des fonctionnaires : 20,0 Md€
- Introduire une garantie d’autonomie qui complète les revenus des jeunes situés sous le seuil de pauvreté : 12,3 Md€
- Abolir la “taxe Macron” de 10% sur les factures d’énergie : 8,8 Md€
- Lancer un plan pluriannuel de recrutement des professionnels du soin et du médicosocial et de revalorisation des métiers et des salaires : 4,6 Md€
- Proposer des avances à 0 % sur 1 ou 2 ans, par le pôle public bancaire, pour les PME-TPE dont la situation financière est difficile : 3,5 Md€
- Relancer la création d’emplois aidés pour les associations, notamment sportives et d’éducation populaire : 2,6 Md€
- Soutenir la filière du bio et l’agroécologie, encourager la conversion en bio des exploitations en reprenant leur dette dans une caisse nationale et garantir un débouché aux produits bio dans la restauration collective : 2,4 Md€
- Adopter une loi intégrale pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles en portant le budget à 2,6 milliards d’euros comme demandé par les associations : 2,1 Md€
- Abroger loi asile et immigration : 1,3 Md€
- Relancer la construction du logement social en revenant sur les coupes de Macron pour les organismes HLM de 1,4 milliard d’euros annuels : 1,3 Md€
- Mettre en place un fonds de solidarité pour le développement des TPE / PME pour la reprise à 0 % de leurs charges financières : 1,3 Md€
- Garantir des tarifs accessibles et des mesures de gratuité ciblée (jeunes, précaires, etc) dans les transports publics et baisser la TVA sur la tarification des transports en commun à 5,5 % : 1,2 Md€
- Faire une loi de programmation de la recherche plus ambitieuse : 0,7 Md€
- Proposer la revalorisation du travail de nuit et du week-end pour les personnels de l’hôpital : 0,6 Md€
- Assurer l’isolation complète des logements, en renforçant les aides pour tous les ménages et garantissant leur prise en charge complète pour les ménages modestes : 0,46 Md€
- Étendre la gratuité dans tous les musées nationaux, garantir une tarification abordable dans les institutions publiques et encadrer les tarifs abusifs des lieux privés : 0,3 Md€
- Accélérer la rénovation des bâtiments publics (écoles, hôpitaux, etc) : 0,2 Md€
- Recruter massivement des fonctionnaires et leur donner des moyens pour lutter efficacement contre la fraude fiscale et douanière : 0,1 Md€
- Abroger immédiatement les réformes de l’assurance chômage : marginal, car déjà en grande partie dans le tendanciel
- Intensifier la rénovation thermique en privilégiant les rénovations globales, en augmentant les aides dédiées et en mettant en place le 0 reste à charge pour ceux qui en ont besoin : marginal, car déjà en grande partie dans le tendanciel / mesure adoptée par la précédente législature
- Supprimer les niches fiscales inefficaces, injustes et polluantes : mesure non chiffrée en l’absence de précisions
- Renouveler et développer le transport ferroviaire avec un plan pour le rail et le fret : marginal, car déjà en grande partie dans le tendanciel / mesure adoptée par la précédente législature
- Garantir l’accès aux services publics à toutes et tous sans condition de nationalité et sur tout le territoire par un plan d’investissement : personne ne doit habiter à moins de trente minutes d’un accueil physique des services publics : 0,0 Md€ (déjà le cas avec les maisons France services)
- Appliquer l’impôt Zucman sur les bénéfices des multinationales (26 milliards d’euros) : mesure non-chiffrée car le temps des négociations multilatérales rend quasi-impossible son adoption avant 2027
- Revoir et allonger la formation des policiers : marginal
- Rétablir les milliers de postes supprimés dans le service public de suivi et de protection de la nature : à l’Office national des forêts, à l’Office français de la biodiversité, à Météo France, au Cerema : marginal
Économies et hausses d’impôts
L’Institut Montaigne distingue trois groupes de mesures d’augmentation des prélèvements obligatoires. L’impôt sur les sociétés devrait être significativement rehaussé pour atteindre l’un des plus haut taux des pays de l’OCDE, tandis que l’ISF serait rétabli et fléché vers des investissements climatiques. Enfin, la fiscalité du capital devrait progresser, tout comme les cotisations et contributions sociales , en particulier pour les hauts revenus. Au total, ces hausses de prélèvements obligatoires représenteraient 54 Md€.
Thématiques | Principales mesures | Économies (en Md€ par an) |
FISCALITÉ | Taxer les superprofits | 15,0 |
FISCALITÉ | Augmenter de 0,25 point par an pendant 5 ans les cotisations vieillesse et moduler les cotisations sociales patronales | 6,3 |
FISCALITÉ | Supprimer la flat tax et rétablir l’exit tax | 3,2 |
FISCALITÉ | Renforcer la taxe sur les transactions financières | 3,0 |
Autres mesures (retrouvez le détail ici) :
- Créer un impôt sur les successions dorées qui rend l’impôt sur l’héritage plus progressif et cible les plus hauts patrimoines en instaurant une transmission maximale de 12 millions d’euros : 9 Md€
- Soumettre à cotisation les dividendes, la participation, l’épargne salariale, les rachats d’action, les heures supplémentaires : 6,3 Md€
- Mettre en place un barème de 14 tranches de l’impôt sur le revenu pour le rendre plus progressif : 4,7 Md€
- Lever un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) avec une composante climatique : 3,5 Md€
- Créer une surcotisation sur les hauts salaires : 2,5 Md€
- Instaurer une taxe kilométrique sur les produits importés : 1 Md€
Bouclage macro-financier
Avec une dette de 110,7 points de PIB et 5,5 points de PIB de déficit, la situation des finances publiques française est fragile et nécessite une consolidation structurelle et durable. En outre, les perspectives de croissance dans les années à venir n’apparaissent pas suffisamment favorables pour obtenir une convergence du déficit public vers une situation plus soutenable sans effort.
Selon les estimations de l’Institut Montaigne, le programme propose d’augmenter les prélèvements obligatoires pour des recettes totales de 54 Md€ (1,9 point de PIB) et d’augmenter les dépenses de 233 Md€ (8,2 points de PIB), ce qui aboutirait à un déficit de 179 Md€ (6,3 points de PIB) toutes choses égales par ailleurs. Le Nouveau Front populaire assume le coût important de son programme et l’insuffisance des seules mesures fiscales pour le financer. Il fait en effet le pari que les dépenses publiques créeront davantage de richesses, selon un effet multiplicateur particulièrement fort, parfois nommé “consommation populaire” par certains responsables du Nouveau Front populaire.
Ce programme apparaît difficilement soutenable pour l’économie française. En effet, aucune économie ne pourrait venir suffisamment compenser les coûts occasionnés par les mesures d’autant que la perspective d’équilibrage par la consommation et la hausse de recettes fiscales, demeure très incertaine. Dans le cadre du lancement probable d’une procédure pour déficit excessif de la France par la Commission européenne, l’application du programme du NFP verrait la crédibilité budgétaire de la France, à l’international et au niveau européen, être indubitablement remise en question. Le NFP aura sans aucun doute des difficultés à tenir ses multiples engagements de campagne compte tenu de leurs coûts, en premier lieu desquels, son projet d’abrogation de la réforme des retraites.