“Adopter un projet de loi de finances rectificative le 4 août, pour se doter d’une politique fiscale juste avec notamment les mesures suivantes : […] Supprimer la flat tax et rétablir l’exit tax” (Nouveau Front Populaire, Contrat de législature, 2024)
Supprimer la “flat tax”
Depuis 2018, les contribuables peuvent opter pour un prélèvement forfaitaire unique (PFU), au taux de 30 %, sur leurs revenus du capital (revenus de capitaux mobiliers et plus-values mobilières), dont 17,2 % de prélèvements sociaux et 12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu. La mesure proposée vise à taxer ces revenus au barème progressif de l’impôt sur le revenu, ce qui représente une hausse d’impôts pour les contribuables soumis au PFU.
La mise en place du PFU en 2018 représente un coût de 1,8 Md€ pour l’État en rythme de croisière (Rapport économique social et financier annexé au projet de loi de finances, 2020 à 2022). Le manque à gagner lié à la baisse du taux moyen d’imposition par rapport à une taxation au barème a toutefois été limité par l’augmentation des dividendes générée par cette mesure.
En actualisant le manque à gagner estimé avec l’accroissement des revenus du capital, et dans l’hypothèse où les comportements des acteurs économiques restent inchangés, le retour à une imposition au barème de l’impôt sur le revenu des revenus du capital rapporterait ainsi entre 3,2 et 3,6 Md€ à l’État.
Toutefois, les réformes précédentes ont montré que le montant des dividendes était fortement sensible au taux d’imposition. La suppression du PFU correspondant à une hausse du taux de prélèvements, la mesure conduirait probablement à une baisse de l’assiette taxable, et donc à des recettes plus faibles. Dans l’hypothèse où l’assiette taxable reviendrait à son niveau de 2017, soit avant l’instauration du PFU, le rendement de la suppression du PFU pourrait être négatif et générer une perte de 700 M€.
Rétablir l’”exit tax”
L’”exit tax” est un dispositif qui permet de taxer les plus-values latentes ou en report d’imposition sur les droits sociaux (actions, obligations, etc.) détenus par les contribuables qui quittent le territoire national, à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. Institué en 2011, il vise à lutter contre l’évasion fiscale et cible ainsi les participations substantielles, à savoir les valeurs ou droits sociaux représentant au moins 50 % des bénéfices sociaux d’une société et supérieurs à 800 000 €.
Contrairement à ce qu’indique le programme du NFP, l’”exit tax” n’a pas été supprimée en France mais a été révisée en 2018 sous la forme d’un mécanisme plus ciblé visant à ne pas décourager les investisseurs. Le rendement de cette taxe n’est pas communiqué aujourd’hui, mais il est en théorie très faible (<50 M€).
En l’absence de précisions, nous supposons que la proposition vise à rétablir l’”exit tax” telle qu’elle existait avant sa révision de 2018. En considérant l’évolution de la base imposable du PFU, on peut estimer que le rétablissement de l’”exit tax” dans sa version initiale pourrait rapporter jusqu’à 67 M€ par an.
Commentaire sur le chiffrage
Il est important de préciser que le chiffrage présenté n’intègre pas les effets dits de “second tour”, c’est-à-dire l’effet macroéconomique réaction des agents à la mise en place de la mesure. En l’occurrence, les effets de second tour pourraient être importants, et induire à moyen-terme des mécaniques fiscales de deux ordres difficilement estimables en l’état :
- Une incidence défavorable sur l’investissement et l’innovation, et une diminution des fonds propres des entreprises. En effet, la suppression du taux à 30% est susceptible d’entraîner une augmentation du coût du capital par baisse du rendement de l’épargne pour tous les contribuables imposés à un taux supérieur à 30%. Or c’est précisément parmi les plus hauts revenus que se situe l’essentiel de l’investissement en capitaux propres, français en particulier.
- Une réintroduction de l’exit tax “plein pot” pourrait venir tarir les entrées de capitaux et favoriser les investissements hors de l’économie française.
Faisabilité de la mesure
- Faisabilité constitutionnelle : La mesure, de nature fiscale, devrait être votée dans le cadre d’une loi de finances.
- Faisabilité européenne : Les deux mesures seraient conformes au droit européen et pourraient être adoptées sans procédures ni discussions au niveau européen. Néanmoins, le rétablissement de l’”exit tax” devrait nécessairement respecter un traitement non‑discriminatoire avec les contribuables résidant en France, raison pour laquelle le dispositif qui avait été mis en place entre 1999‑2004 avait été censuré.
- Faisabilité politique : Cette mesure n’est pas soutenue par le président de la République. La mise en place du PFU est en effet l’une des mesures phares de la réforme de la fiscalité du capital promise lors de sa campagne pour les élections présidentielles en 2017. En cas de cohabitation cependant, le président de la République ne disposerait d’aucun moyen constitutionnel pour s’opposer à l’adoption d’une telle mesure au niveau national si elle était votée par le Parlement en loi de finances. Cela suppose, pour le Nouveau Front Populaire (NFP), de disposer d’une majorité absolue au Parlement ou de recourir à la procédure de l’article 49 al. 3 de la Constitution pour adopter la loi de finances concernée car, en cas de majorité relative, il est peu probable qu’il parvienne à convaincre les autres formations politiques, du centre et de droite, de s’associer à cette mesure. Il s’exposerait, le cas échéant au vote d’une motion de censure.
Cette mesure pourrait être adoptée en cas de cohabitation avec le président de la République mais plus ou moins facilement en fonction du poids du Nouveau Front Populaire dans le futur hémicycle.
Depuis le 1er janvier 2018, un prélèvement forfaitaire unique (PFU) dit “flat tax” s’applique aux revenus de l’épargne et du capital hors immobilier dans l’objectif de simplifier et d’alléger la fiscalité de l’épargne. Les contribuables ont ainsi la possibilité d’opter pour une imposition forfaitaire de leurs revenus du capital : revenus mobiliers, plus-values de cession de valeurs mobilières, assurance-vie, plan épargne logement (PEL) et compte épargne logement (CEL) notamment. Le taux de ce PFU est de 30 %, dont 17,2 % de prélèvements sociaux et 12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu.
En 2024, le rendement du PFU au titre de l’impôt sur le revenu est estimé à 6,8 Md€, soit un quasi-doublement depuis 2018.
Recettes d’impôt sur le revenu au titre du PFU
2018 (sur revenus 2017) | 2024 (p) | |
Rendement | 3,5 Md€ | 6,8 Md€ |
Base imposable | 27,34 Md€ | 53,12 Md€ |
Source : Voies et Moyens Tome 1, PLF 2018 et 2024.
Le montant de l’assiette soumise au PFU est recalculé en divisant le rendement par le taux d’impôt sur le revenu, soit 12,8 %. Le PFU 2018 est calculé sur les revenus 2017, le prélèvement à la source n’étant pas encore appliqué en 2018.
Les documents annexés aux projets de lois de finances chiffrent le coût lié à l’instauration du PFU à 1,8 Md€ en régime de croisière, par rapport à une situation où les revenus de capitaux seraient taxés au barème de l’impôt sur le revenu. Ces chiffrages ne prennent toutefois pas complètement en compte les effets de la baisse de la fiscalité sur le versement des dividendes. Ainsi, une étude de l’Institut des politiques publiques (IPP) estime le coût de la réforme à 1,6 Md€, l’augmentation du montant de dividendes versés compensant en partie le manque à gagner.
Par parallélisme, le gain lié à la suppression du PFU peut donc être estimé en première approche à un montant compris entre 1,6 Md€ et 1,8 Md€ hors actualisation à 2024 de la dynamique des revenus du capital et en l’absence d’effets de la réforme de la taxation sur l’assiette. En actualisant ce chiffre avec l’accroissement entre 2018 et 2024 des revenus du capital, le gain serait compris entre 3,2 Md€ et 3,6 Md€. La taxation des revenus de capitaux mobiliers rapporterait donc 10,4 Md€ dans une hypothèse maximaliste. Ce chiffre correspond à un taux moyen d’imposition de 19,6 %, contre 12,8 % avec le PFU.
Toutefois, l’application du barème de l’impôt sur le revenu pourrait conduire les entreprises à réduire les dividendes versés, et ainsi l’assiette de taxation. Une étude de l’IPP note que la réforme de 2013 ayant conduit à la suppression du prélèvement forfaitaire libératoire et à la taxation au barème des revenus mobiliers a conduit à une baisse de 40 % des dividendes déclarés. Les entreprises contrôlées par des personnes physiques ont stoppé la distribution de dividendes, et ont accumulé davantage d’actifs financiers et de fonds propres. À l’inverse, la mise en place du PFU s’est traduite par une augmentation des dividendes de 15 % pour la seule année 2018, et l’effet positif de la réforme sur les versements s’est poursuivie sur les années suivantes, malgré la crise sanitaire. Ces éléments suggèrent que la mise en place du PFU a été autofinancée budgétairement.
Dans l’hypothèse où le retour à une taxation au barème de l’impôt sur le revenu ferait retomber les revenus du capital à leur niveau de 2017 (soit 27,3 Md€, soit encore 29,3 Md€ si on stabilise ce chiffre en part de PIB), et en appliquant à cette assiette le taux moyen d’imposition calculé toutes choses égales par ailleurs (19,6 %), on obtient un rendement de la taxation du capital de 5,7 Md€ (29,3 x 19,6 %). Le rendement de la mesure serait dans cette hypothèse négatif, de -0,7 Md€ (5,7 – 6,4).
Ce chiffrage est néanmoins entouré d’importantes incertitudes. En effet, les effets sur l’assiette taxable de la hausse de la fiscalité des revenus de capitaux sont estimés à partir de données issues des réformes précédentes et ne sont donc pas toujours actualisés. Par ailleurs, certains effets ne sont pas documentés précisément. En outre, les estimations se concentrent sur la question des dividendes et n’incluent pas les autres revenus mobiliers.
Rétablir l’”exit tax“
L’”exit tax” est un dispositif qui permet de taxer les plus-values latentes ou en report d’imposition sur les droits sociaux (actions, obligations, etc.) détenus par les contribuables qui quittent le territoire national, à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. Institué en 2011, il vise à lutter contre l’évasion fiscale et cible ainsi les participations substantielles, à savoir les valeurs ou droits sociaux représentant au moins 50 % des bénéfices sociaux d’une société et supérieurs à 800 000 €.
Contrairement à ce qu’indique le programme du NFP, l’”exit tax” n’a pas été supprimée en France et existe toujours. En revanche, cette taxe a bien été révisée en 2018 en application d’une promesse du candidat Emmanuel Macron visant à renforcer l’attractivité de la France pour les investisseurs étrangers. Sa réforme a consisté à en faire un mécanisme beaucoup plus ciblé, à travers notamment : une réduction du délai au terme duquel les plus-values latentes font l’objet d’un dégrèvement ou d’une restitution ; de l’élargissement géographique des pays où les contribuables peuvent prétendre au sursis automatique du paiement de la taxe ; d’un allégement des modalités déclaratives. Compte tenu de la difficulté à prévoir l’évolution de l’assiette de cette taxe, le coût de cette réforme n’avait pas pu être chiffré. Le rendement de cette taxe n’est pas communiqué aujourd’hui, mais il est en théorie très faible (<50 M€).
En l’absence de précisions à ce sujet, on peut considérer que la proposition de la NFP vise à rétablir l’”exit tax” telle qu’elle existait avant sa révision de 2018. Son rendement effectif était de l’ordre de 138 M€ entre 2011 et 2017, au titre de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux, et de 34 M€ pour la seule année 2017. En considérant l’évolution de la base imposable du PFU (+94 % entre 2017 et 2024 comme indiqué supra), on peut estimer que le rétablissement de l’”exit tax” dans sa version initiale pourrait rapporter jusqu’à 67 M€ par an. Cette estimation est très sensible à l’évolution de la base imposable. En particulier, il n’est pas possible d’estimer le montant des plus-values latentes qui seront constatées sur les valeurs mobilières et les droits sociaux lors du transfert du domicile des contribuables hors de France.
Benchmark
Depuis les années 1990, la plupart des pays européens ont progressivement adopté une taxation proportionnelle des revenus du capital. À la suite des pays scandinaves, plusieurs pays ont opté pour un régime dual : imposition progressive des revenus du travail et imposition proportionnelle des revenus de capitaux mobiliers. Ces pays appliquent généralement des taux d’imposition des revenus du capital inférieurs ou égaux à 30 %. Dans un système de taxation proportionnelle, les exonérations et abattements sont généralement plus limités.
La France se distingue par ailleurs par une taxation importante des revenus du capital. En 2022, la France reste ainsi le pays de l’Union européenne qui présente le taux de taxation implicite du capital (défini comme le rapport entre le produit des prélèvements obligatoires sur le capital et le montant des revenus du capital) le plus élevé . Ce résultat serait encore renforcé par la suppression du PFU.
Mise en œuvre
De nature fiscale, cette mesure devrait être adoptée en loi de finances.