Généraliser la taxation des superprofits au niveau européen
“Généraliser la taxation des superprofits au niveau européen” (Nouveau Front Populaire, Contrat de législature, 2024)
Le programme du Nouveau Front Populaire (NFP) propose de taxer les superprofits au niveau européen. Cette mesure rejoint une proposition de loi portée par la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) en 2022, qui visait l’instauration d’une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises au-delà d’un seuil. L’Institut des politiques publiques (IPP) a chiffré le rendement que pourrait générer cette taxe à au moins 15 Md€. Ce chiffrage, repris par le NFP, est néanmoins entouré de fortes incertitudes, comme l’illustre l’écart entre le chiffrage par l’IPP des deux contributions exceptionnelles sur les bénéfices des énergéticiens adoptées en France en 2023 et les recettes effectivement générées. Actualisé de la hausse du PIB depuis 2021, ce montant resterait d’un ordre de grandeur similaire. Il n’apparaît néanmoins pas possible de fournir un chiffrage plus précis et actualisé en l’état des données disponibles.
Faisabilité de la mesure
- Faisabilité constitutionnelle : une fois encadrée au niveau européen, cette mesure est tout à fait envisageable, mais ne pourrait être véhiculée qu’à travers une loi de finances en France. Cela supposerait, pour le Nouveau Front Populaire (NFP), de disposer d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale ou de recourir à la procédure de l’article 49 al. 3 de la Constitution pour adopter la loi de finances concernée.
- Faisabilité européenne : la fiscalité indirecte, notamment sur l’énergie, fait l’objet d’une harmonisation au niveau européen. Une telle mesure aurait donc besoin d’un acte législatif au niveau européen, qui soit adopté à la fois par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne (UE).
- Faisabilité “politique” : une telle mesure présenterait une difficulté en cas de cohabitation dans la mesure où les affaires étrangères sont un domaine “partagé” entre le Président de la République, garant du respect des traités (article 5 de la Constitution), et le Premier ministre, qui détermine et conduit la politique de la nation (article 20). Le président de la République n’assiste pas au Conseil de l’UE, qui réunit les ministres des différents États membres, mais il siège au Conseil européen qui réunit les chefs d’État pour définir les grands axes de la politique de l’UE. Au bout du compte, il est peu vraisemblable qu’une telle mesure soit effectivement adoptée au niveau européen. Si toutefois elle l’était, le parcours législatif au niveau national serait tout aussi délicat. En cas de majorité relative, il est en effet peu probable que le NFP parvienne à convaincre les autres formations politiques, du centre et de droite, de s’associer à cette mesure.
Au regard des difficultés que présente le double parcours législatif français et européen, la faisabilité de la mesure paraît faible.
Les modalités de la taxation des superprofits au niveau européen proposée par le Nouveau Front Populaire (NFP) ne sont pas précisées dans son programme, en particulier s’agissant des secteurs concernés ou du niveau de taxation additionnelle des bénéfices.
Une proposition de loi déposée par la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) en 2022 permet toutefois d’envisager les contours d’un tel projet. Il prévoit la création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises, celles dont le chiffre d’affaires dépasse 750 M€, et dont le résultat imposable serait supérieur ou égal à un seuil de 1,25 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précédents. Un barème progressif en trois tranches, de 20 %, 25 % et 33 %, serait appliqué suivant la fraction de progression du résultat imposable. Le rapport accompagnant la proposition de loi estime le rendement de cette contribution à près de 8,2 Md€ sur la base des données de 2021. Par la suite, des travaux de l’Institut des politiques publiques de 2022 ont estimé le rendement d’une telle contribution entre 15 et 41 Md€ selon ses modalités d’application. Le chiffrage de 15 Md€ est désormais celui repris par le NFP pour sa proposition en vue des prochaines législatives.
Le chiffrage proposé par l’IPP est néanmoins entouré de fortes incertitudes. En effet, comme le souligne une récente note de l’institut, le chiffrage ex ante de la taxation des “superprofits” est un exercice difficile dans la mesure où le calibrage précis des taxes concernées n’est connu qu’ex post et a une influence décisive sur son rendement. Il doit en particulier tenir compte des schémas capitalistiques et opérationnels des groupes concernés, qui peuvent donner lieu à des phénomènes d’évitement. De plus, ce chiffrage est “statique“, c’est-à-dire qu’il ne tient pas compte des conséquences de l’imposition sur le comportement des entreprises concernées, qui pourraient par exemple réduire leurs bénéfices, leur production, voire quitter la France. Enfin, la prévision de l’évolution des bénéfices des sociétés concernées est délicate par nature.
L’évaluation de deux taxes sur les “superprofits” des énergéticiens illustre la faible fiabilité des chiffrages ex ante de leur rendement. À l’automne 2022 et dans le contexte de la crise énergétique, deux contributions sur les “superprofits“, respectivement dans la production d’électricité (la CRIM) et les industries pétrolières (la CTS), ont été proposées à titre temporaire au niveau européen puis votées par le Parlement française en loi de finances pour 2023. Le rendement espéré pour l’année 2022 était initialement de 12,3 Md€ pour la CRIM pour aboutir à des recettes effectives 20 fois moindres, à 62 M€. L’IPP avait estimé de son côté en décembre 2022 le rendement de la CES comme pouvant atteindre jusqu’à 3 Md€, alors qu’il a finalement été d’environ 69 M€ soit 43 fois moins que la prévision initiale. La CTS a été appliquée en 2023 uniquement et n’est désormais plus en vigueur ; la CRIM a été prorogée par amendement en 2024 à un taux réduit, mais son rendement devrait encore être très limité sur cette période au regard de la baisse du coût de l’électricité.
Recettes de la taxation des “superprofits” énergétiques en 2023
2023 | 2024 | Total | |
Recettes de la CRIM (électricité) | 3 680 M€ | 620 M€* | 4 300 M€ |
Recettes de la CTS (pétrole) | 69 M€ | – | 69 M€ |
* Solde attendu en 2024 au titre des années 2022 et 2023 ; le rendement au titre de l’année 2024 n’est pas connu.
Source : Gouvernement, annexe au projet de loi de finances pour 2024, Évaluation des voies et moyens, Tome I ; IPP, “L. Bach, “L’impôt sur les superprofits en quête de recettes (1/2). Petite histoire d’une contribution plus basse que prévu””, 2024.
Afin de taxer plus efficacement les profits du secteur pétrolier au niveau européen, l’IPP propose, dans une étude de 2024, des modalités de calcul révisées en considérant le profit mondial des sociétés concernées comme base unique de taxation, en accordant aux États membres un droit de taxation sur cette base. C’est le sens de la réforme du “Pilier 1“ de réforme de l’impôt sur les sociétés au niveau de l’OCDE, qui exclut néanmoins le secteur pétrolier. Si une telle réforme était mise en place au niveau européen, le rendement de la taxe sur les superprofits du secteur pétrolier aurait été en 2022 de l’ordre de 2,2 Md€, soit plus de trente fois le rendement de la CTS.
Benchmark
Comme la France, d’autres États membres de l’Union européenne ont mis en place, courant 2022, une taxation exceptionnelle des profits des énergéticiens, tels que l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, la Grèce, la Hongrie, la Roumanie et le Portugal. À ce stade, ces contributions sont toutes temporaires et ne concernent que le secteur de l’énergie en raison du contexte exceptionnel de hausse des prix.
Mise en œuvre
La fiscalité indirecte, notamment sur l’énergie, fait l’objet d’une harmonisation au niveau européen. De ce fait, cette mesure devrait être encadrée au niveau européen par un acte législatif puis ensuite déclinée en France obligatoirement en loi de finances.