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BIOGRAPHIE

Création d’un statut de déplacé climatique

Nouveau Front Populaire

Créer un statut de déplacé climatique“, Programme du Nouveau Front Populaire, Juin 2024, page 21

Je suis pour la création d’un statut de réfugié climatique. Le réchauffement climatique est commencé, il va mettre sur les routes de notre planète des personnes qui fuient la sécheresse, qui fuient des inondations. Il faut qu’on puisse garantir un statut de réfugié climatique“, Manon Aubry, tête de liste LFI, sur CNews en mai 2024.

Estimation
Coût par an
Par l'Institut Montaigne
130 M€
87 M€ estimation basse
173 M€ estimation haute
Par Nouveau Front Populaire

Le chiffrage de cette mesure est complexe et intègre de nombreux facteurs contingents (l’évolution des changements climatiques dans les années à venir, leur localisation, leurs effets sur les flux migratoires etc.). Il suppose de spéculer sur le caractère incitatif au déplacement de la création d’un statut de déplacé climatique et ses effets sur les arrivées d’immigrés en France, dont l’arrivée sur le territoire français dépend de nombreux facteurs. Ce chiffrage suppose également l’évaluation du coût d’un demandeur d’asile (à laquelle nous nous limitons dans ce chiffrage), voire d’un réfugié ou d’un bénéficiaire de protection internationale, qui est difficilement quantifiable, en l’absence de budgétisation officielle.

Éléments de contexte

La notion de “déplacé” ou “réfugié” environnemental ne fait pas l’objet d’une définition juridique officielle partagée par les institutions nationales et internationales.

Un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) de 1985 définit les “réfugiés environnementaux” comme étant des “personnes forcées de quitter leur habitat de façon temporaire ou permanente, en raison d’une rupture environnementale (d’origine naturelle ou humaine) mettant en péril leur existence ou affectant sérieusement leur qualité de vie”. En 2007, l’Organisation Internationale pour les Migrations a défini pour la première fois la notion d’ “exilés environnementaux” de la façon suivante : “des personnes ou groupes de personnes qui, pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent”. À noter qu’un déplacement lié à des raisons environnementales n’est pas toujours la conséquence directe d’une catastrophe, mais peut également résulter de l’intervention progressive d’évènements tels que l’élévation du niveau de la mer ou la désertification, rendant de nombreux endroits impropres à la culture, voire hostiles à la vie humaine.

De la même manière, bien que le rôle des facteurs environnementaux dans les migrations internationales soit largement reconnu, peu d’estimations précises existent sur le nombre de personnes concernées par ce phénomène à l’échelle internationale.

Le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) évalue qu’en moyenne depuis 2008, 21,5 millions de personnes ont été déplacées chaque année de force à cause de catastrophes environnementales (telles que des inondations, des tempêtes, des incendies ou des températures extrêmes), ou en conséquence de la crise climatique. D’après les chiffres du Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC), les catastrophes naturelles étaient à l’origine du déplacement de plus de 17 millions des 28 millions de personnes qui ont fui leur foyer dans le monde en 2018. Parmi ces déplacements, 16 millions étaient dus à des événements météorologiques tels que des tempêtes, des inondations, des typhons ou des ouragans.

Sur les années à venir, les projections réalisées présentent une progression allant de 200 millions de réfugiés climatiques à 1,2 milliards d’ici à 2050 (Organisation internationale pour les migrations).

Ces dernières années, les déplacements liés à des catastrophes naturelles ont principalement eu lieu dans des pays d’Asie orientale et du Pacifique, tels que la Chine et les Philippines, suivis par Cuba, les États-Unis, l’Inde et le Bangladesh. Ce sont les pays plus pauvres ou en développement et les pays insulaires qui sont les plus touchés par ces impacts et qui doivent donc faire face aux plus forts déplacements de populations comme la Dominique, Tuvalu, Philippines, Saint-Martin, Vanuatu, Fidji, Sri Lanka, Tonga ou encore la Somalie (Analyse des données de l’Internal Displacement Monitoring Centre par l’ONG Oxfam). Ces déplacements, essentiellement internes aujourd’hui, couvriront une dimension de plus en plus internationale dans les années à venir, au fur et à mesure de l’aggravation de la crise climatique

Faisabilité de la mesure

Faisabilité constitutionnelle

Le droit d’asile est un droit fondamental reconnu par la Constitution française de 1958, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000 et la Convention de Genève du 27 juillet 1951. En France, un étranger peut obtenir une protection internationale dans le cadre du droit d’asile sous deux principaux titres : le statut de réfugié et la protection subsidiaire, tous deux inscrits au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda).

Afin d’élargir les critères d’octroi de la protection internationale aux personnes fuyant une conséquence du changement climatique, le législateur devra passer par l’adoption d’une loi modifiant les dispositions précitées du Ceseda, comme a cherché à le faire le groupe de France Insoumise par sa proposition de loi du 30 janvier 2024. Par ailleurs, la voie d’une loi constitutionnelle pourrait être envisagée pour consacrer cette notion. Pour autant, ce choix serait plus long et plus incertain (conditions de votes plus strictes et processus d’adoption plus long et solennel) et pas forcément nécessaire. Il apparaît improbable d’y parvenir.

En outre, en cas d’adoption d’une nouvelle loi, le risque d’inconstitutionnalité est faible au regard de l’acception large et extensive du droit d’asile dans la Constitution française et de la prévalence d’autres droits et valeurs constitutionnelles (fraternité, égalité), mais n’est pas exclue (l’alinéa 4 du Préambule de la Constitution de 1946 énonce que “Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République“. Il doit être lu à la lumière du second alinéa de l’article 53-1, lequel offre le droit “aux autorités de la République” de donner asile à ces “combattants de la liberté” ainsi qu’à “tout étranger qui sollicite la protection de la France pour un autre motif“.

Par ailleurs, le droit d’asile est consacré par une décision du Conseil constitutionnel qui reconnait que “le respect du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d’une manière générale que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande“.).

Faisabilité européenne

La politique d’asile est une des compétences de l’Union européenne. Elle est donc largement régie par les normes européennes, que le droit français doit respecter.

Dans l’ordonnancement juridique européen, le droit d’asile est reconnu et protégé par les articles 67§2, 78 et 80 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ainsi que par l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il est ensuite réglementé plus précisément par des normes de “Droit secondaire” de l’UE, qui doivent être appliquées nationalement par les États dans leurs ordres juridiques respectifs, et qui permettent à l’UE d’élaborer une politique commune en matière d’asile et de protection subsidiaire et temporaire.

Les différentes normes de l’Union européenne (UE) relatives au droit d’asile ne mentionnent pas les facteurs environnementaux comme des motifs valables d’octroi de la protection subsidiaire ou du statut de réfugié. Un changement du cadre légal français en matière de conditions d’octroi de l’asile viendrait donc, si ce n’est en contradiction, en décalage avec le droit de l’UE qui cherche à uniformiser les normes des États membres. L’édiction d’une telle norme en droit français pourrait faire l’objet d’une évaluation de compatibilité avec le droit de l’UE voire d’une renégociation des normes européennes, notamment de la Directive qualification de 2011, dans la perspective de leur modification. Néanmoins, un État est toujours en mesure de définir les conditions d’obtention d’un titre de séjour sur son territoire.

Faisabilité politique

Outre les partis de gauche réunis quasi-entièrement sous la bannière commune du Nouveau Front Populaire, aucun autre parti ou groupe parlementaire ne semble pouvoir adhérer à une telle proposition. En effet, la tendance des autres groupes parlementaires de la précédente législature était plutôt au durcissement des règles relatives à l’immigration, ou en tout cas favorable à son ralentissement (cela peut-être notamment être déduit des votes sur la dernière loi Asile et Immigration de janvier 2024 qui a pu être votée grâce au soutien de la majorité des parlementaires des groupes Renaissance, MoDem, Horizons, Les Républicains et le Rassemblement National, soit la quasi-totalité des groupes parlementaires de l’Assemblée en dehors de la gauche). Or la mesure proposée par l’alliance de la gauche aurait davantage tendance à favoriser et renforcer l’immigration en France.

Le NFP ne pourra probablement faire passer cette mesure que s’il obtient la majorité absolue à l’Assemblée nationale en 2023. Le principe de la mesure n’est a priori partagé que par les partis de gauche rassemblés au sein du NFP, ce qui rend difficile la constitution d’alliances potentielles avec d’autres groupes parlementaire du centre ou de la droite en cas de majorité relative.

Pour estimer les coûts supplémentaires que générerait la création d’un statut de déplacé climatique, nous faisons le choix d’utiliser le coût approximatif d’un demandeur d’asile en France et de le rapporter au surplus hypothétique (et difficilement quantifiable) d’étrangers qui demanderait l’asile en France pour des motifs relatifs au changement climatique.

Coût d’un demandeur d’asile en France :

La Mission Immigration, asile et intégration du budget de l’État français finance les parcours des personnes empruntant les voies de l’immigration ou de l’asile. Au sein de cette mission, le Programme 303 – Immigration et asile (qui représente 79 % du total des crédits de la mission) regroupe les moyens des politiques publiques relatives à l’entrée, à la circulation, au séjour et au travail des étrangers, à l’éloignement des personnes en situation irrégulière et à l’exercice du droit d’asile. En outre, les dépenses de ce Programme sont essentiellement portées par l’action “Garantie de l’exercice du droit d’asile” (plus de 80 % des crédits de paiement) dédiée à la prise en charge des demandeurs d’asile et concernant principalement leur hébergement et l’allocation qui leur est versée (ADA).

En se fondant exclusivement sur les dépenses du Programmes 303 – Immigration et asile du budget de l’État, qui ne représente pas l’ensemble des dépenses dédiées à l’asile, la France a dépensé 1,5 Md€ en crédit de paiement (et 1,9 Md€ en autorisation d’engagement) en 2023 (exécution 2023 des dépenses du programme).

En outre, au cours de l’année 2023, 147 248 premières demandes d’asile ont été enregistrées en guichets uniques (GUDA) (en progression de 6,3 % par rapport à 2022).

Si l’on considère, de façon schématique, que les 150 000 demandeurs d’asiles sont les premiers bénéficiaires du Programme 303, alors nous pouvons soumettre l’hypothèse que le coût de prise en charge annuel d’un demandeur d’asile en France s’élèverait à environ 10 093 euros.

Coût d’un surplus éventuel de demandeurs d’asile :

Il apparaît très délicat d’estimer le surplus de demandes d’asile que générerait la création d’un statut de déplacé climatique dans le droit français car cela reviendrait à spéculer sur l’importance du caractère incitatif d’une telle protection à l’échelle internationale (très difficile à quantifier) et la propension des déplacés à choisir la France comme destination pour cette raison (en plus de leurs capacités concrètes à le faire).

En outre, la création de ce nouveau statut jouera certes un rôle potentiel sur les arrivées, mais sera davantage déterminant dans le taux d’acceptation des demandes d’asile, qui tourne aujourd’hui autour de 5 % et qui pourrait augmenter si les critères d’acceptation sont élargis. Cela signifie que davantage de personnes bénéficieront d’une protection internationale sur le sol français. Dans cette perspectives, les dépenses relatives à ce surplus de réfugiés (ou bénéficiaire d’une protection internationale) en France devra prendre en compte un nombre bien plus important de facteurs qu’il serait trop complexe d’estimer ici (un réfugié en France générant des dépenses telles que l’hébergement et l’accueil, les aides financières, les services de santé, la scolarisation des enfants et les programmes d’intégration et d’insertion sociale mais également des gains économiques lorsqu’il exerce un emploi, paie des impôts et consomme des biens et services en France).

Cela étant dit, en retenant l’hypothèse que la création d’un statut de déplacé climatique générerait un surplus d’au moins 5 % et d’au maximum 10 % de demandes d’asile par an (en plus de la progression normale du nombre de demandeurs résultant des autres facteurs de déplacement), la France accueillerait alors en moyenne entre 7 500 et 15 000 déplacés supplémentaires fuyant des évènements climatiques graves dans leur pays d’origine. Dans ce cas, les dépenses dédiées aux demandeurs d’asile au titre du statut de “réfugiés climatiques” augmenteraient de 87 M€ à 173 M€ par an (nombre de demandeurs supplémentaires x coût estimé d’un demandeur d’asile = 7 500 (ou 15 000) x 11 550). Encore une fois, ce chiffrage est toutefois soumis à de nombreuses incertitudes et paramètres qui ne peuvent être appréciés finement à ce stade. Cette fourchette est ainsi une estimation prudente qui pourrait être sous-estimée.

Benchmark

Des initiatives nationales et régionales ont pu voir le jour ces dernières années accordant un statut et des protections spécifiques aux déplacés climatiques :

  • Union Africaine : au niveau régional, la Convention de Kampala adoptée par l’Union africaine pour la protection des déplacés internes en Afrique en 2009, en vigueur depuis 2012, est le premier traité juridiquement contraignant au monde à aborder les déplacements internes dus aux catastrophes, y compris celles liées au changement climatique. Bien qu’elle concerne principalement les déplacés internes, elle reconnaît la nécessité de protéger ceux qui fuient les catastrophes environnementales.
  • Organisation des États américains (OEA) : l’OEA a adopté des résolutions et des déclarations reconnaissant les défis posés par les déplacements climatiques et appelant à des mesures pour protéger les personnes affectées par les catastrophes environnementales.
  • Nouvelle-Zélande : en 2017, la Nouvelle-Zélande a annoncé un programme pilote de visa humanitaire spécifiquement destiné aux personnes déplacées par les effets du changement climatique, notamment pour les résidents des îles du Pacifique. Bien que ce programme n’ait pas encore été pleinement mis en œuvre, il représente une reconnaissance officielle du phénomène.
  • En Australie : les habitants de Tuvalu, pays voisin de 26 km² menacé par la montée des eaux, peuvent désormais obtenir l’asile climatique grâce à un traité dévoilé en novembre 2023.
  • Finlande et Suède : ces deux pays nordiques prévoient explicitement dans leur législation nationale la protection des personnes touchées par les changements environnementaux et les catastrophes naturelles. Par exemple, la Suède a accordé la protection internationale à des individus en tenant compte de conditions environnementales exceptionnelles dans leur pays d’origine, bien que cela reste rare. Toutefois, ces dispositions ont été suspendues à la suite des événements qui ont eu lieu en 2015 et 2016.
  • Philippines : les Philippines ont intégré le déplacement dû au changement climatique dans leur cadre juridique. La loi philippine sur la gestion des risques de catastrophe inclut des mesures spécifiques pour les déplacements causés par les catastrophes naturelles.
  • L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a appelé en 2019 dans sa résolution 2307 les États‑membres “à anticiper les travaux au niveau international par l’élaboration d’une législation nationale qui reconnaîtrait les migrants environnementaux et leurs besoins en matière de protection non seulement par le principe de non‑refoulement (…) mais aussi par une protection subsidiaire, par exemple par l’octroi d’un statut de résidence temporaire pour des motifs humanitaires ou d’un statut permanent en cas d’impossibilité de retour“.
Les chiffrages proposés ici traitent prioritairement de l’impact immédiat des mesures sur les finances publiques et, dans la mesure du possible, examinent certains de leurs effets macroéconomiques. Notre démarche, réalisée dans le temps contraint de cette campagne, est itérative et invite au débat contradictoire.