“Bloquer les prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants par décret et renforcer le bouclier qualité-prix pour les outre-mer.” (Document programmatique : “Nouveau Front Populaire : Contrat de législature” – Juin 2024)
La mesure consisterait à bloquer les prix de nombreux produits. La mesure n’étant pas compensée pour les producteurs ou les distributeurs, elle serait neutre pour les finances publiques. Cependant, dans ces conditions, elle risque d’être contre-productive en aggravant le déséquilibre entre offre et demande à l’origine de l’inflation.
En outre, sur le marché de l’énergie le dispositif spécifique de régulation en vigueur prévoit aujourd’hui une compensation du blocage ou de la régulation des prix. Le coût budgétaire estimé au total pour la période 2022-2024 est compris entre 9 et 38 Md€. L’estimation médiane du coût potentiel d’une telle mesure pour les finances publiques est de l’ordre de 24 Md€/an. La période de forte inflation des prix de l’énergie de 2021 à 2023 risque toutefois de déformer la projection à la hausse, l’estimation médiane représente donc une estimation du risque budgétaire en cas de résurgence d’une crise énergétique. Si les prix de l’énergie continuent à descendre, le coût budgétaire sera plus proche de l’hypothèse basse, soit 9 Md€.
Faisabilité de la mesure en cohabitation avec le président de la République, Emmanuel Macron
- Faisabilité constitutionnelle : la mesure supposerait une loi, la base légale actuelle risquant d’être insuffisante pour permettre la mise en œuvre d’un dispositif aussi important par simple décret.
- Faisabilité européenne : la mesure pourrait se heurter aux traités relatifs à l’Union européenne. Elle devrait faire au préalable l’objet d’une discussion avec la Commission européenne afin de déterminer si son impact sur la concurrence et le marché intérieur sont compatibles avec les règles de l’Union européenne.
- Faisabilité politique : une proposition de loi visant au blocage des prix a été déposée en novembre 2021 à l’Assemblée nationale par des députés de la France insoumise (LFI). Les députés de la majorité présidentielle (LREM, Agir ensemble et Modem) s’y sont opposés alors que les députés LFI, Gauche démocrate et république (GDR) ainsi que le Parti Socialiste ont voté en faveur du texte. Les députés du Rassemblement National n’étaient en revanche pas présents le jour du vote. L’adoption d’une telle mesure à l’Assemblée nationale serait ainsi tributaire des alliances politiques en place et particulièrement du vote des députés du Rassemblement National.
- Commentaire général sur la faisabilité de la mesure en cas de cohabitation avec le président de la République : faisable en théorie car la mesure intervient hors du domaine “réservé du président” mais il n’y aura pas d’appui du Président de la République notamment dans la négociation avec la Commission européenne, ce qui la fragiliserait.
Dans son rapport de mars 2024, la Cour des comptes évalue le coût des dispositifs de réduction des prix de l’énergie pour le consommateur entre 9,1 Md€ en 2024 et 37,6 Md€ en 2023, avec un montant entre les deux en 2022 : 24,1 Md€. Le coût varie en fonction des types de dispositifs et des prix de marché, ce qui donne une fourchette de coût envisageable pour les finances publiques, en cas de pérennisation ou de renforcement de ces mesures.
Coût pour les finances publiques des dispositifs publics de baisse du prix pour les consommateurs (Md€)
Domaine des mesures | 2022 | 2023 | 2024 |
Carburant | 8,4 | 1,6 | 1,8 |
Électricité | 7,8 | 29,5 | 6,8 |
Gaz | 4,6 | 2,7 | 0,5 |
Autres | 2,8 | 3,8 | 0 |
TOTAL | 24,1 | 37,6 | 9,1 |
Le coût total potentiel dépend des modalités de mise en œuvre, les 38 Md€ estimés à partir des données 2023, année d’inflation importante sur l’énergie, constitueraient un maximum, l’estimation provisoire indiquée par la Cour des comptes pour 2024 (9 Md€) constituerait l’estimation minimale. L’estimation médiane serait de l’ordre de 24 Md€, moyenne du coût budgétaire annuel de ces dispositifs entre 2022 et 2024. En 2024, l’estimation du coût de cette mesure du Nouveau Front Populaire par le Gouvernement est d’environ 20 Md€.
La période de forte inflation des prix de l’énergie de 2021 à 2023 risque toutefois de déformer la projection à la hausse, l’estimation médiane représente donc une estimation du risque budgétaire en cas de résurgence d’une crise énergétique. Si les prix de l’énergie continuent à descendre, le coût budgétaire sera plus proche de l’hypothèse basse, soit 9Md€.
Du côté de l’offre, les producteurs nationaux pourraient réduire leur production afin de réduire leurs pertes. Les producteurs étrangers pourraient réorienter leur offre vers d’autres pays, de même pour les distributeurs ayant un réseau international.
Du côté de la demande, en l’absence de signal-prix, les consommateurs risquent de ne pas modifier substantiellement leur comportement, maintenant les quantités demandées et différant l’investissement dans des mesures d’efficacité énergétique ou d’autonomie.
En outre, la mesure n’étant pas ciblée, elle bénéficiera aux ménages à proportion de leur niveau de consommation, d’où un gain plus élevé pour les ménages les plus aisés que pour les ménages les plus pauvres. L’étude du cabinet Asterès (mai 2022) estime que le gain pour les 10 % des ménages les plus riches serait de 821 € par an mais de seulement 368 € pour les 10 % des ménages les plus modestes. Une mesure plus ciblée sur les ménages les plus modestes, via la fiscalité ou un chèque alimentaire, serait plus efficiente.
Le maintien du niveau de consommation, notamment d’énergies fossiles, combiné à l’absence d’incitation à investir dans l’efficacité énergétique, aurait par ailleurs une incidence néfaste sur l’environnement, en encourageant la consommation d’énergies fossiles.
Historique de la mesure
Dérogation à la liberté des prix en cas de crise
L’article L.210-2 du code de commerce prévoit que “dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’État peut réglementer les prix après consultation de l’Autorité de la concurrence. […] Il précise sa durée de validité qui ne peut excéder six mois.” Cette disposition a été utilisée lors de la crise du Covid-19 sur une liste très circonscrite de produits (gel hydroalcoolique et masques) et limitée dans le temps (mars 2020 – juin 2021). Sur les 21 386 établissements contrôlés par la DGCCRF, 3 609 présentaient une anomalie dans la mise en œuvre de la réglementation, soit 17 %.
Bouclier qualité prix outre-mer
Outre-mer, l’article L.410-5 du code de commerce institue la négociation annuelle d’un accord de modération du prix global d’une liste de produits de consommation courante. Il est issu de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer. Si le dispositif est reconduit chaque année depuis 2013, les produits les plus souvent en rupture de stock ont dû être retirés de la liste des produits concernés. La liste des produits ajoutés s’allonge d’année en année au point d’inclure des produits transformés et souvent importés très spécifiques dont le caractère de première nécessité n’est pas toujours parfaitement évident.
Benchmark
Au Royaume-Uni, le Gouvernement a engagé en mars 2022 une faible baisse des taxes sur l’essence de 5 pence par litre (6 centimes €), décidée en mars 2022. En Espagne, le gouvernement a accordé fin mars 2022 une remise de 20 centimes sur chaque litre de carburant jusqu’au 30 juin. Elle sera financée à hauteur de 15 centimes d’euros par l’État et de 5 centimes par les compagnies pétrolières. En Allemagne, en 2022, la taxe sur les carburants est réduite pendant trois mois de 30 centimes par litre pour l’essence et de 14 centimes par litre pour le diesel.
En France, la subvention à la consommation de carburant, décidée en mars 2022, est de 15 centimes par litre, durant quatre mois.
Mise en œuvre
La mesure supposerait une loi, la base légale actuelle risquant d’être insuffisante pour permettre la mise en œuvre d’un dispositif aussi important. La précédente utilisation de l’actuel article L.210-2 du code de commerce était plus ciblée, elle concernait le prix des masques et du gel hydroalcoolique durant la crise du Covid-19, entre mars 2020 et juin 2021.
Le Conseil d’État estime que “ces mesures portent ponctuellement atteinte à la liberté d’entreprendre. Mais elles restent légales, car elles respectent un certain nombre de conditions : elles sont limitées dans le temps, circonscrites à une catégorie précise de produits et, surtout, proportionnées à la gravité de la situation“.
Une telle mesure pourrait se heurter aux traités relatifs à l’Union européenne. Elle devrait faire au préalable l’objet d’une discussion avec la Commission européenne afin de déterminer si son impact sur la concurrence et le marché intérieur sont compatibles avec les règles de l’Union européenne.
La mise en place d’une telle mesure supposerait des contrôles. Ces derniers seraient du ressort de la DGCCRF, administration dont la baisse des effectifs a été importante au cours des dix dernières années. La capacité de l’administration à mener des contrôles dans les nombreuses entreprises concernées par la mesure n’est pas assurée, en tout cas à court terme.