Maintenir la réindexation des pensions de retraites sur l’inflation
“J’ai pris l’engagement, si nous avons une majorité, que les retraites seront systématiquement revalorisées avec l’inflation. On est les seuls à pouvoir prendre cet engagement” (Gabriel Attal, Premier ministre, le 17/06/2024, RTL Matin)
La loi en vigueur prévoit l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation (Article L161-25 – Code de la sécurité sociale – Légifrance (legifrance.gouv.fr)).
À ce titre l’Institut Montaigne a fait le choix de rendre la mesure budgétairement neutre, mais d’en conserver le chiffrage pour indiquer le coût annuel de l’indexation automatique, d’autant que politiquement, il pourrait toujours être décidé de modifier la loi afin de sous-indexer les pensions. Cette démarche nous permet par ailleurs d’évaluer le surcoût de la mesure proposée par le Nouveau Front populaire d’indexer les pensions sur les salaires.
Les pensions de retraite ont par exemple été revalorisées par le passé en dessous de l’inflation lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, puis systématiquement indexées à partir du second, conformément à une promesse du président-candidat. Le chiffrage ci-dessous examine donc le coût d’une poursuite de l’application stricte de la réindexation des pensions sur l’inflation :
Sur le quinquennat précédent, cette indexation s’est faite de manière irrégulière, et a été plus souvent observée pour les ménages percevant une pension brute inférieure à 2000 € que pour les ménages percevant une pension supérieure. Ainsi, même si cette mesure améliorerait un peu le pouvoir d’achat des ménages retraités les plus modestes, elle aurait tout de même un effet redistributif bénéficiant principalement aux ménages retraités les plus aisés.
Dans un scénario d’inflation médian, le coût d’une telle mesure pour les finances publiques est estimé à 27,4 Md€ d’ici à la fin du quinquennat.
Le chiffrage considère l’indexation des pensions sur l’inflation pendant les trois dernières années du quinquennat, par rapport à un tendanciel où les pensions seraient revalorisées de façon différenciée comme pour le quinquennat précédent.
Trois scénarios d’inflation sont envisagés :
- Un scénario médian qui s’appuie sur les projections de la Banque de France pour les années à venir.
- Un scénario de basse inflation qui reprend les valeurs d’inflation du quinquennat précédent et les reporte sur le quinquennat actuel, afin de simuler une situation semblable à celle qui avait cours de 2017 à 2021.
- Un scénario inflationniste, dans lequel est faite la prévision d’une inflation annuelle supérieure d’un point au scénario médian.
Le coût de la mesure, pour chacun des trois scénarios, se calcule comme un différentiel entre la situation où elle est appliquée, et un scénario de revalorisation suivant les pratiques de ces dernières années. Les trois scénarios aboutissent respectivement à un coût brut sur trois ans de 42,9 Md€ pour le scénario inflationniste, de 27,4 Md€ pour le scénario médian et de 17,5 Md€ pour le scénario de basse inflation.
Lorsque sont prises en compte les contributions sociales (CSG CRDS CASA) sur ces pensions, le coût net social de la mesure serait compris sur trois ans entre 16,3 et 39,7 Md€.
Enfin, le coût net du retour fiscalo-social de la mesure, après impôt sur le revenu, serait compris sur trois ans entre 13,6 et 32,9 Md€. Le retour fiscal via l’impôt sur le revenu serait de 17 % ; il résulte de la combinaison de deux effets : d’une part, la mesure bénéficie davantage en montant aux ménages retraités les plus aisés, et d’autre part, la progressivité de l’impôt sur le revenu vient gommer en partie cet effet redistributif.
Impact macroéconomique / sur le pouvoir d’achat
La revalorisation des retraites soutient la demande à court terme en augmentant le revenu disponible des ménages retraités. La hausse de pouvoir d’achat stimule la croissance à court-terme via les postes de consommation interne, mais entraîne aussi une dégradation de la balance commerciale par le renchérissement des importations. A court-terme cependant, l’effet de relance pourrait être atténué par la persistance d’un fort taux d’épargne dans un contexte marqué de nombreuses incertitudes politiques et économiques et donc, une plus faible propension à consommer.
Quelle mise en œuvre possible pour Emmanuel Macron ?
- Faisabilité constitutionnelle : la loi en vigueur prévoit l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation (Article L161-25 – Code de la sécurité sociale).
- Faisabilité européenne : pas de nécessité d’un accord au niveau européen.
- Faisabilité politique : les débats en commission et en séance publique portant sur les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2024 tendent à montrer un relatif consensus politique sur cette mesure. La proposition de la majorité présidentielle de réindexer les pensions de retraites a notamment été soutenue par des députés du Rassemblement National et du Parti Socialiste. Les difficultés relatives à la situation des finances publiques aujourd’hui en France pourraient toutefois peser dans les débats futurs, cette mesure privant le pays d’un levier important et rapide de réduction du déficit.
Chiffrage mis à jour le 02/07/2024.
Le chiffrage de la mesure suppose de connaître la répartition des pensions, c’est-à-dire le nombre de retraités par niveau de pension. Pour cela, nous utilisons l’application Shiny de la DREES DistriPensions qui fournit la courbe de distribution la plus récente. Cette courbe présente, pour 2016, la répartition des effectifs de pensionnés tous régimes obligatoires confondus, en comprenant les pensions de réversion, par tranche de pension brute de 100 €. Pour obtenir une masse financière par tranche, on estime pour chaque tranche la moyenne des pensions, à la pension médiane. Puis les pensions sont revalorisées jusqu’à 2021 suivant l’historique des revalorisations du précédent quinquennat (DSS, 2021, PLFSS 2022 Annexe 1, REPSS indicateur Re.2.2_G1 : Revalorisation des pensions depuis 1993), suivant que les pensions sont inférieures ou supérieures à 2000 €. Les pensions sont ensuite recalées afin que la masse totale corresponde aux agrégats figurants dans les comptes de la Sécurité Sociale de septembre 2021 (Les comptes de la Sécurité Sociale, septembre 2021). On applique aux pensions la revalorisation de janvier 2022, pour obtenir à la distribution de base servant à simuler l’impact de la mesure sur la période 2024-2027.
Le tableau ci-dessous présente les revalorisations de pensions du régime de base de 2017 à 2021, ainsi que le l’indice des prix à la consommation.
En moyenne, sur le quinquennat précédent dernières années, les pensions de moins de 2000 euros ont été revalorisé à 60 % de l’inflation, celles de plus de 2000 € à 40 %.
2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | Moyenne | |
Revalorisation des pensions < 2000 € | 0,2 | 0,6 | 0,3 | 1,0 | 0,4 | 0,50 |
Revalorisation des pensions > 2000 € | 0,2 | 0,6 | 0,3 | 0,3 | 0,4 | 0,36 |
Inflation (IPC hors tabac) | 1,0 | 1,6 | 0,9 | 0,1 | 0,6 | 0,85 |
Source : DSS, 2021, PLFSS 2022 Annexe 1, REPSS indicateur Re.2.2_G1 : Revalorisation des pensions depuis 1993
Trois scénarios sont envisagés : un scénario médian d’inflation, un scénario de faible inflation et un scénario inflationniste.
S’agissant du scénario médian d’inflation, nous nous appuyons sur les projections de la Banque de France pour l’inflation des années à venir. Pour évaluer le coût de la mesure dans ce scénario, nous estimons dans un premier temps le montant des pensions versées en appliquant les pratiques en vigueur ces dernières années : les pensions brutes inférieures à 2000 € sont revalorisées à 60 % de ces projections d’inflation, et celles supérieures à 2000 € sont revalorisées à 40 %. Dans un deuxième temps, nous simulons l’évolution des pensions lorsque la mesure est appliquée : toutes les pensions sont revalorisées suivant les projections d’inflation. Le coût brut de la mesure serait de l’ordre de 9,1 Md€ par an entre 2024 et 2027, soit 27,4 Md€
En ce qui concerne le scénario de basse inflation, on suppose que celle-ci serait revenu à la tendance qui avait cours lors du quinquennat passé. Comme précédemment, on évalue le montant des pensions versées lorsque les pensions sont revalorisées selon les mêmes règles différenciées que ces dernières années, puis lorsque toutes les pensions sont revalorisées en suivant l’inflation. Le coût brut (avant prélèvements obligatoires sur ces pensions) serait de 5,8 Md€ par an soit 17,5 Md€ sur trois ans.
Enfin, dans un scénario inflationniste, l’inflation serait chaque année supérieure d’un point à celle projetée dans le scénario médian, soit un écart de prix de l’ordre de 5 % en fin de quinquennat par rapport au scénario médian. Dans ce scénario, le coût brut (avant prélèvements obligatoires sur ces pensions) de la mesure s’élèverait à 14,3 Md€ par an soit 42,9 Md€ sur trois ans.
Dans la mesure où les pensions sont soumises à des contributions sociales et à l’impôt sur le revenu, ces recettes induites réduisent le coût net de la mesure.
Afin d’obtenir le coût de la mesure net de contributions sociales, sont calculés les montants de CSG (déductible et non déductible), CRDS et CASA, selon les quatre taux applicables pour les quatre contributions. Nous faisons l’hypothèse que la personne percevant la pension constitue un ménage seul et que sa pension représente l’intégralité de ses revenus. Dans un second temps, l’on calcule à partir du tendanciel et de la mesure projetée les masses de contributions, aboutissant à un coût de la mesure nette ? de contributions sociales sur trois ans de 39,7 Md€ pour le scénario inflationniste, 25,3 Md€ pour le scénario médian d’inflation et de 16,3 Md€ pour le scénario de basse inflation.
Enfin, le retour fiscal de la mesure est calculé de la façon suivante : en prenant la même hypothèse d’un ménage seul dont la pension de retraite constitue le seul revenu , le taux marginal de la tranche d’imposition dans laquelle se situe le pensionné est appliqué au différentiel perçu après la mesure par rapport au tendanciel. Sur trois ans, le coût de la mesure dans le scénario inflationniste reviendrait alors à 32,9 Md€, dans le scénario médian d’inflation, à 20,9 Md€, et enfin à 13,6 Md€ dans le scénario de basse inflation.. Le retour fiscal s’établit autour de 17 % via l’impôt sur le revenu. Cet effet résulte de deux dynamiques concomitantes : d’une part la redistribution de la mesure davantage en faveur des ménages les plus aisés, et d’autre part la progressivité de l’impôt sur le revenu qui gomme donc en partie cet effet redistributif.
Il convient de préciser qu’il a été fait l’hypothèse de calcul que les différents seuils, que ce soit le seuil de revalorisation des pensions de 2000 €, les seuils pour les taux de CSG, CRDS et CASA, ou encore ceux de l’impôt sur le revenu, sont indexés sur l’inflation. Cette hypothèse de calcul introduit une incertitude, limitée à 5 % (pour le scénario médian d’inflation, la hausse des prix sur les 5 années serait de 8 %, conduisant les personnes au-dessus de 1850 euros en 2022 à passer au-dessus du seuil de 2000 euros. Cela correspond à une masse d’environ 15 Md€ de pensions, soit environ 5 % de la masse totale des pensions.) sur le résultat final pour la dernière année dans le scénario médian, ce qui n’est pas de nature à changer l’ordre de grandeur de l’estimation.
La fiabilité du chiffrage est bonne, sous réserve de la projection d’inflation. En effet, le chiffrage dépend fortement de la différence entre les projections et les réalisations d’inflation, d’autant qu’une forte volatilité de l’inflation a été observée ces dernières années, et que les scénarios d’atterrissage sont encore incertains, et soumis à de nombreux aléas. Enfin, l’évolution de la démographie n’est pas prise en compte dans le chiffrage (la répartition de la population de retraité par niveau de pension relatif est supposée constante).