AccueilExpressions par MontaigneLe New Deal de Biden, le Congrès et la route des midterms L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.08/10/2021Le New Deal de Biden, le Congrès et la route des midterms États-Unis et amériquesImprimerPARTAGERAuteur Maya Kandel Historienne, chercheuse associée à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 (CREW) La mission diplomatique la plus importante de Biden se déroule auprès de ses collègues démocratesC’est désormais une tradition de fin d’année aux États-Unis : le rituel de crise auto-infligée par la polarisation politique américaine. Menace de fermeture du gouvernement faute de budget, menace de défaut sur la dette faute de relèvement du plafond, règlement provisoire occupant un temps précieux au Congrès ne faisant que repousser la crise, l’ensemble portant atteinte de manière récurrente à la gouvernabilité et la compétence des États-Unis.Il est dès lors utile d’apporter quelques éléments d’explication pour comprendre pourquoi l’effort diplomatique le plus intense du président Biden ces dernières semaines a concerné non pas la France à la suite de l’affaire des sous-marins, non pas l’ONU malgré l’insistance sur la diplomatie et le multilatéralisme, mais bien ses collègues démocrates. Signe clair des priorités mais aussi des enjeux pour la présidence Biden.Le destin de la présidence Biden se joue au CongrèsC’est d’abord le destin du "New Deal" de Biden qui se joue au Congrès dans les prochaines semaines. Pour des raisons tenant à l’étroitesse des marges démocrates au Congrès (3 voix à la Chambre, 0 au Sénat), le plan se décline en deux projets de loi, l’un sur les infrastructures (avec le soutien de sénateurs républicains), l’autre sous forme de loi budgétaire, mais qui comprend en réalité la plus grande ambition de transformation de la société depuis des décennies, que ce soit sur le climat, l’éducation, la santé, la petite enfance, ou encore la protection sociale (votée sous forme de budget pour contourner l’obstacle du filibuster au Sénat, qui exige une majorité à 60 voix pour soumettre un projet au vote).Dans l’histoire américaine, et de plus en plus ces dernières décennies, l’héritage d’une présidence se joue lors de la première année. Mais en cet automne 2021, c’est bien davantage qui est en jeu : unité du parti démocrate, crédibilité américaine sur le climat, capacité à faire face à la Chine, mais aussi contrôle du Congrès dès 2022 et avec 2024 en ligne de mire (les midterms ou élections de mi-mandat au Congrès ont lieu dans un an, les primaires ont commencé, ainsi que l’élection de deux-tiers des gouverneurs), avenir de la démocratie américaine étant donné les efforts républicains pour réduire l’accès au vote et remettre en question les résultats, enfin stabilité financière américaine et mondiale en cas de défaut américain sur la dette. La dynamique entre le Président et le Congrès est un classique de l’histoire politique américaine liée à la "séparation et équilibre des pouvoirs".Biden lui-même a expliqué à de nombreuses reprises que son ambition est de "gagner le combat de ce siècle entre démocraties et régimes autoritaires", en démontrant que "la démocratie fonctionne" et que les gouvernements démocratiques produisent des résultats pour leurs citoyens. On voit bien que ce défi concerne au premier chef les États-Unis : il se joue au Congrès, et en particulier au sein du parti démocrate.La dynamique entre le Président et le Congrès est un classique de l’histoire politique américaine liée à la "séparation et équilibre des pouvoirs" issue de la Constitution et qui a pris un tour de plus en plus dramatique avec l’aggravation de la polarisation politique. On retrouve au centre de ce psychodrame récurrent le chef des républicains au Sénat, Mitch McConnell, avec une différence majeure aujourd’hui : l’absence d’exigence politique concrète hormis l’abandon pur et simple du programme démocrate. Le seul but est de semer le chaos en maintenant le blocage, une logique que l’on trouve aussi dans l’obstructionnisme de sénateurs comme Ted Cruz ou Josh Hawley sur la politique étrangère. Quel que soit le contexte, le meilleur atout pour un président face au Congrès est sa popularité : or celle de Biden a amorcé cet été une tendance à la baisse, même si plusieurs aspects-clés de son projet restent populaires, très majoritairement chez les démocrates (93 %) et les indépendants (61 %), et à 39 % chez les républicains.Les dynamiques partisanes et le poids des primairesMais les face-à-face et tractations en cours doivent aussi se comprendre à la lumière des échéances électorales à venir, et donc déjà en cours, étant donné le rythme des échéances électorales aux États-Unis : tous les deux ans pour la Chambre des représentants (le Sénat étant renouvelé par tiers tous les six ans), ce qui fait concrètement que les représentants sont constamment en campagne, et que les primaires sont déjà engagées pour les échéances de novembre 2022, qu’il s’agisse de la Chambre, du tiers du Sénat ou des deux-tiers des gouverneurs. Côté démocrate, les dernières semaines ont confirmé le pouvoir de blocage de l’agenda Biden par les deux "centristes" du Sénat, Joe Manchin et Kyrsten Sinema, dont la position s’explique avant tout par le fait d’être élu d’États - Virginie Occidentale et Arizona- où les électeurs républicains sont plus nombreux que les démocrates. La dynamique est inverse à la Chambre, où c’est le groupe progressiste, fort d’une centaine de membres, qui a empêché le vote de la loi d’infrastructures. La semaine dernière, Biden a d’ailleurs pris le parti de son aile progressiste, après avoir donné des gages aux "modérés" de la Chambre pendant l’été ; on a l’impression de voir un père cajolant ses deux enfants, chacun jaloux de l’autre et voulant l’emporter dans le cœur des parents. Paradoxalement, les deux ailes ont gagné : Manchin-Sinema au Sénat, mais aussi Pramila Jayapal, leader du groupe progressiste à la Chambre, point qui éclaire l’autre division majeure entre les deux chambres du Congrès (or chaque Chambre doit voter la loi dans les mêmes termes pour qu’elle arrive sur le bureau présidentiel pour signature). Bernie Sanders, qui n’a rien cédé sur le budget (il dirige la commission sénatoriale du Budget), pèse dans les décisions tout comme Manchin (qui préside la commission de l’Énergie et des travaux publics). C’est bien ce que signifient les majorités extrêmement faibles des démocrates : tout le monde compte. Autre conséquence de ces marges étroites : l’ambition de Biden devra être revue à la baisse, ce qui est en cours, non sans douleur, les divisions n’étant qu’un symptôme de la désunion du pays.C’est bien ce que signifient les majorités extrêmement faibles des démocrates : tout le monde compte.Il faut bien comprendre que chaque vote, chaque prise de position de chaque élu, est calculé en fonction des primaires et des clips de campagne à venir - de son camp ou du camp adverse : ainsi, Manchin pourra dire qu’il a obtenu une baisse de l’ambition budgétaire, mais sera plus intraitable sur le climat, en raison de ses financements de campagne et de la place des énergies fossiles dans son État. En toile de fond de ces tractations, de puissants groupes d’influences pèsent sur les choix des élus, menaçant certains des éléments les plus populaires du plan, sur le coût des médicaments ou la hausse du taux d’imposition des plus hauts revenus. Pour Biden, l’enjeu est de parvenir à faire voter son programme, même s’il est en partie édulcoré : le pire serait de ne pas avoir de bilan du tout à montrer aux électeurs, ce qui éclaire aussi la stratégie de McConnell d’empêcher le travail parlementaire en bloquant le Congrès par la menace de shutdown ou de défaut sur la dette.La route des midterms et l’échéance 2024Il n’y a pas que les élections au Congrès : en novembre 2022 également, 36 États éliront leur gouverneur, or les gouverneurs jouent plusieurs rôles essentiels, notamment dans l’organisation et le contrôle des élections, éléments dont on a vu l’importance du 3 novembre 2020 au 6 janvier 2021. Au cœur de cette bataille, on retrouve toujours les mêmes États-clés, en particulier Wisconsin et Michigan, où se joue l’élection présidentielle désormais. Ils seront un test du pari de Biden de reconquérir le vote des Blancs non diplômés, qui avaient permis la victoire de Trump.Tous ces calculs de politique interne américaine ont produit un gouvernement et un Congrès de plus en plus dysfonctionnels, où la polarisation et les découpages partisans des circonscriptions ont non seulement favorisé les extrêmes, mais rendu inutile voire contre-productive la recherche de compromis avec le camp politique adverse. Ce phénomène, qui s’est accéléré depuis 2008 et l’élection d’Obama, a un impact croissant sur le reste du monde, sur les choix de politique étrangère, tout particulièrement commerciale (poids de la Chambre), mais aussi sur des choix domestiques aux conséquences globales, comme la politique industrielle, et plus largement sur la capacité à gouverner de manière efficace et sur le long terme. Une priorité de la politique étrangère des partenaires des États-Unis doit être d’intégrer ce fait dans leurs propres stratégies, afin de se prémunir des conséquences de cette polarisation sur leur relation avec Washington. Ce billet inaugure une série sur le suivi des primaires et des midterms 2022 : en effet, si la science et l’histoire politiques nous disent que le parti du président devrait perdre des sièges - ce qui annoncerait un Congrès républicain vue l’étroitesse des marges démocrates - il faut aussi se méfier des théories et précédents : les mêmes indiquaient en 2016 que Trump ne serait même pas le candidat de son parti. Or, le parti républicain est en ordre de bataille, avec une base toujours surmobilisée autour d’un Trump qui semble de plus en plus décidé à se représenter en 2024. Les sympathisants républicains sont convaincus à plus de 60 % que les élections 2020 ont été truquées et que Biden est un président illégitime ; une majorité d’entre eux affirme également être prête à recourir à la violence politique pour "défendre le mode de vie américain". De leur côté, les élus et responsables républicains, jusqu’à Mike Pence que les insurgés du Capitole voulaient pourtant pendre haut et court, participent à la réécriture de l’histoire en cours sur l’assaut du Capitole et l’élection 2020. Il devient légitime de s’interroger sur l’avenir de la démocratie en Amérique. Copyright : CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 08/04/2021 Le New Deal de Biden : une ambition politique Maya Kandel 18/02/2021 Le trumpisme menace-t-il les ambitions de Biden ? Maya Kandel