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07/01/2019

La persistance du mouvement des gilets jaunes

La persistance du mouvement des gilets jaunes
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

Rien n’y fait. Ni les concessions effectuées par le Président Macron le 10 décembre dernier, près de 10 milliards d’euros de mesures sociales diverses, ce qui creuse le déficit public et entame la crédibilité de la France au sein de la zone euro. Ni la période des fêtes de fin d’année, supposée apporter de la sérénité et de l’apaisement. Ni les niveaux élevés de violence dont le gouvernement, à l’évidence, espérait qu’ils provoqueraient, très classiquement comme cela se produisait dans le passé, une condamnation unanime dans la population. Non, rien n’y fait. Le mouvement des gilets jaunes persiste et continue. "On ne lâchera rien" ne cessent de répéter ses protagonistes. Et la France semble s’habituer désormais à assister tous les samedis à des affrontements de rue qui ne cessent de monter en intensité.

Certes, le mouvement implique moins de manifestants, 50 000 sur l’ensemble du territoire ce samedi selon les chiffres du Ministère de l’Intérieur, un chiffre en hausse par rapport à la semaine précédente mais bien loin des 288 000 personnes impliquées dans la première mobilisation le 17 novembre et qui, à ce jour, constituent un record. De même, alors qu’à la fin du mois de novembre, selon les divers sondages réalisés, plus de 80 % des Français déclaraient soutenir les gilets jaunes, ils ne sont plus ou moins qu’un sur deux aujourd’hui.

Alors qu’à la fin du mois de novembre, plus de 80 % des Français déclaraient soutenir les gilets jaunes, ils ne sont plus ou moins qu’un sur deux aujourd’hui.

Ce qui reste considérable, d’autant qu’un nombre encore plus significatif de Français affiche une immense empathie pour leurs revendications, qu’elles soient sociales, pour une amélioration du pouvoir d’achat, devenue la première préoccupation des Français devant le chômage, l’égalité sociale, la justice fiscale, ou politiques, afin de renouveler le fonctionnement de la démocratie. C’est là sans doute les raisons de la persistance du mouvement des gilets jaunes qui est en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire des grands mouvements sociaux en France puisque, par comparaison, les grandes grèves de 1936 comme les "événements" de mai-juin 1968 avaient duré plus de deux mois.

Les gilets jaunes expriment une colère sociale venue de loin mais qui n’a fait que s’exacerber depuis les débuts de la présidence Macron et qui n’est peut-être pas prête de s’éteindre facilement. Elle traduit une immense angoisse de la part de fractions notables de la société - salariés du secteur public et privé, artisans, petits entrepreneurs, retraités, mères isolées, femmes en situation de précarité - appauvries, laissées en marge de la globalisation, touchées par les mutations qui affectent leur travail comme leurs territoires, qui se sentent abandonnées, voire méprisées, menacées pour leur futur et ceux de leurs descendants. A quoi s’ajoute un vieux fonds culturel français : la passion de l’égalité, la détestation des riches et des "gros", l’acceptation du recours à la violence et des références à la Révolution française chez nombre de gilets jaunes avec le port du bonnet phrygien et les critiques contre Emmanuel Macron, comparé à Louis XVI, et son épouse, associée à Marie-Antoinette.

Les gilets jaunes illustrent par ailleurs de manière spectaculaire la défiance politique massive que vit la France depuis des décennies et qui, là aussi, s’est sans doute accrue depuis l’élection d’Emmanuel Macron avec, entre autres, sa théorisation de la monarchie républicaine. Défiance envers la classe politique (à l’exception des élus locaux), les institutions nationales et l’Union européenne. La revendication des gilets jaunes d’un "référendum d’initiative citoyenne" séduit car elle semble pouvoir répondre à cette crise de la représentation qui passe aussi par le déclin des organisations d’intérêt, des corps intermédiaires, des syndicats et des partis politiques.

Les gilets jaunes expriment une colère sociale venue de loin mais qui n’a fait que s’exacerber depuis les débuts de la présidence Macron et qui n’est peut-être pas prête de s’éteindre facilement.

Toutefois, le mouvement des gilets jaunes affiche de multiples faiblesses et limites. Il se fragmente. Entre ses diverses sensibilités, certaines proches de l’extrême droite, d’autres de la gauche, d’autres enfin attachées à l’apolitisme. Entre différentes hypothèses stratégiques : celle des négociations, celle de la radicalisation à outrance qui pourrait enclencher une dynamique extrêmement dangereuse, et celle de la structuration politique pour se donner des représentants, voire se présenter aux élections européennes. Son avenir est donc en jeu. Comme celui du président de la République, de la Vème République, de la démocratie représentative et de la capacité des responsables politiques à colmater les multiples fractures qui traversent la France afin de refaire société. 

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