AccueilExpressions par MontaigneEurope de la Santé, quelle place pour le numérique ? L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.25/04/2022Europe de la Santé, quelle place pour le numérique ? Trois questions à Isabelle Zablit-Schmitz Santé TechnologiesImprimerPARTAGER Isabelle Zablit-Schmitz Directrice de projets Europe & International à la Délégation du Numérique en Santé Lors de son discours sur l’état de l’Union en septembre 2020, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, déclarait la nécessité de “construire une Union européenne de la santé qui soit plus forte” afin d’assurer une meilleure gestion des crises sanitaires à l’échelle européenne. À ce titre, le numérique en santé et les actions prévues dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne sont des éléments essentiels pour la construction de cette “Europe de la Santé”. Isabelle Zablit-Schmitz, directrice de projet Europe et international à la Délégation ministérielle au numérique en santé répond aux questions de l’Institut Montaigne pour décrypter les enjeux d’une Europe de la Santé. Qu'entend-on par Europe de la Santé ?Dans l’histoire de la construction européenne, la santé n’avait pas été identifiée comme une compétence devant relever de l’Union européenne, au regard des systèmes de santé très différents, de leur fondement culturel comme de leur système de financement. L’action au niveau de l’Union européenne est donc, en principe, uniquement en support et la santé relève des compétences des États membres. Cependant, des domaines très larges, comme les soins transfrontaliers, l’amélioration de la santé publique, l’éducation en matière de santé et la prévention sont au cœur de projets portés par l’Union européenne. Des programmes de financement, soutenus entre autres par la Direction générale Santé à la Commission européenne, existent depuis 2003. Des agences exécutives mettent en œuvre ces programmes, accompagnés par d’autres organes spécialisés, tel que l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), qui permettent d’articuler des politiques communes. Sur le terrain, des projets concrets sont mis en place. C’est le cas par exemple des European Reference Networks (ERN), des réseaux virtuels mettant en relation des experts européens des maladies rares au travers de plateformes informatiques et d’outils de télémédecine, depuis 2017. C’est également le cas de MyHealth@EU, qui permet l’accès pour les professionnels de santé aux documents (traduits dans leur langue) du parcours de soin du patient venant d’un autre pays de l’Union Européenne. Le EU Covid Digital Certificate, développé en une douzaine de semaines pendant la pandémie par le réseau eHealth Networka illustré la réactivité de la gouvernance du numérique en santé au sein de l’Union européenne.Le projet d’Europe de la Santé précède donc bien la pandémie de Covid-19, mais celle-ci en a davantage souligné la pertinence. Notamment, le EU Covid Digital Certificate, développé en une douzaine de semaines pendant la pandémie par le réseau eHealth Network a illustré la réactivité de la gouvernance du numérique en santé au sein de l’Union européenne. Ce certificat dit “pass sanitaire” mis en place par l’Union européenne s’est imposé depuis comme un standard technique international et connecte maintenant 64 pays (les 27 pays membres de l’Union et 37 pays non-membres). Des organes comme l’Agence européenne du médicament (European Medicines Agency - EMA) ou encore le Centre de prévention et de contrôle des médicaments (European Centre for Disease Prevention and Control - ECDC) ont quant à eux appuyé les États dans la réponse aux défis posés par la pandémie.La nouvelle Agence exécutive européenne pour la santé et le numérique (European Health and Digital Executive Agency - HaDEA) a été créée pour rassembler l’ensemble des financements relatifs à la santé. La Commission a aussi adopté en septembre 2021 le principe de création d‘une Agence européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (European Health Emergency Preparedness and Response Authority - HERA), l’équivalent du BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority) américain, afin de faciliter une réponse commune à de futures crises. Ce dynamisme témoigne donc bien de la construction progressive d’une Europe de la Santé. Le programme EU4Health, adopté en mars 2021 par la Commission, qui avait été annoncé par Ursula von der Leyen dans son discours de l'état de l’Union en septembre 2020, vise à adresser l’ambition européenne en santé ; il couvre une période allant jusqu’à 2027 et repose sur un budget final de 5,1 milliards d’euros, soit 10 fois la somme allouée au précédent programme. En mai 2020, le Président Emmanuel Macron soulignait déjà que l’Europe de la santé devait devenir une priorité, projet qu’il porte maintenant dans le contexte de la Présidence française de l’Union européenne (PFUE). Quelle place occupe le numérique en santé dans la PFUE ?Le numérique en santé occupe un espace central de la PFUE. Il est utile de rappeler qu’en parallèle, la Commission européenne s’est engagée dans une décennie digitale. Les acteurs de l'écosystème ont prévu de se réunir autour de ce sujet à 24 occasions. La France entend bien utiliser ces 6 mois pour orchestrer la mise en place des premiers travaux pour préparer l’Espace Européen des Données de Santé (European Health Data Space - EHDS), dans la perspective du projet de règlement qui va en donner le cadre légal et qui doit être proposé par la Commission européenne début mai. Ce projet ambitieux devrait répondre aux vœux des patients, des soignants, mais aussi des États membres. Ce projet a déjà été partiellement lancé par le biais de l’initiative MaSanté@UE (MyHealth@EU) qui permet le partage des données de santé dans le cadre du parcours de soins via la connexion des contacts nationaux des pays membres pour l’e-santé (NCPeH "National Contact Point for eHealth"). Il permet déjà actuellement dans certains pays le partage transfrontalier des synthèses médicales (Patient Summary) et ePrescriptions, selon des modalités de transcodage et traduction certifiées. Il repose sur l’infrastructure sécurisée de la Commission (TESTA) et la collaboration avec les points de contacts nationaux qui répondent directement aux demandes des professionnels de santé basés dans d’autres pays européens, avec le consentement du patient. La France a été parmi les premiers huit pays à mettre en place cette initiative sur le terrain. En 2022, le but, auquel contribue l’action conjointe européenne X-eHealth qui produit les spécifications des documents du parcours de soin, est de permettre le partage sécurisé du compte rendu d’imagerie médicale et des images, du compte-rendu de biologie médicale, de la lettre de sortie de l’hôpital, du volet maladies rares et des documents cliniques originaux. Ces initiatives constituent le socle de l’EHDS 1, l’espace européen de données de santé pour faciliter l’utilisation primaire des données de santé en dotant les citoyens européens de nouveaux services concrets et attendus dans le cadre de leur mobilité au sein de l’UE. L’EDHS 2 vise à faciliter l’utilisation secondaire des données de santé des citoyens, c'est-à-dire la ré-utilisation des données pour d’autres fins que celles du parcours de soin. Il s’agit de permettre d’avoir un niveau européen pour l’exploitation sécurisée de ces données, à destination des politiques publiques, de la recherche et de l’innovation. Il s’agira par exemple de donner un accès unique aux bases de données pertinentes en Europe, en accord avec le cadre légal. C’est une simplification majeure car aujourd’hui, les autorisations d’accès doivent être faites dans chacun des États membres et selon une procédure qui leur est propre. Une action conjointe européenne, TEHDAS (Towards a European Health Data Space), débutée en février 2021, prépare ce volet de l’Espace européen de données de santé qui entend établir un cadre homogène européen à ces pratiques d’exploitation secondaire des données.Ces deux volets de l’Espace européen de données de santé requièrent de s’appuyer sur 3 piliers : l’interopérabilité, la sécurité et l’éthique. L’Europe sera donc amenée à convenir de standards et normes techniques communs pour assurer cette interopérabilité. Un premier pas a été fait en ce sens. En effet, la terminologie SNOMED CT a été choisie fin 2021 par la Commission européenne afin d’harmoniser les nomenclatures pour permettre le partage de données de santé d’un pays européen à l’autre. Ces deux volets de l’Espace européen de données de santé requièrent de s’appuyer sur 3 piliers : l’interopérabilité, la sécurité et l’éthique.Le Health Data Hub français s'est lui porté candidat pour être le pilote sur l’utilisation de ces données secondaires dans le cadre d’un consortium avec d’autres collaborateurs européens, en préfiguration de l’EHDS ; la Commission européenne devrait annoncer le choix du pilote en mai 2022. Ce projet amorcera une phase extrêmement pratique en parallèle à la négociation du texte, permettant ainsi de veiller à la construction d’un système simple et interopérable.Ce projet ambitieux demande des États membres des efforts de synchronisation à l’échelle nationale, avec, par exemple, une adaptation des rôles et responsabilités de la CNIL en France pour permettre la mise en œuvre de cette échelle européenne. Comment garantir un cadre de confiance dans lequel construire l’Europe de la santé ? Un des piliers de l’espace européen de données de santé est nécessairement l’éthique, afin d’assurer la confiance de l’ensemble des parties prenantes, à commencer par le citoyen. La santé est un sujet humaniste, et le numérique entend véritablement être au service des citoyens. La dynamique de la PFUE a justement pour objet de formaliser cette intention, et faciliter l’accélération de nombreux chantiers (X-eHealth, TEHDas). Les représentants des États membres au sein du réseau eHealth ont adopté à l’unanimité les principes européens pour l’éthique du numérique en santé (16 principes), et les ministres de la santé ont invité à leur mise en œuvre lors de la conférence ministérielle du 2 février 2022. Les principes européens pour l’éthique du numérique en santé couvrent 4 dimensions :Inscrire le numérique dans un cadre de valeurs humanistes ; Donner la main aux personnes sur le numérique et sur leurs données de santé ; Développer un numérique en santé inclusif ; Mettre en œuvre un numérique en santé éco-responsable. Ce texte permet ainsi de formaliser des principes éthiques et à donner un cadre pour répondre aux défis que posent des problèmes comme la fracture numérique à l’ensemble des projets faisant appel au numérique en santé en Europe. Une communication transparente auprès des citoyens sera réalisée.Par ailleurs, l’implication des citoyens et la co-construction d’outils numériques est une vision portée par la Délégation ministérielle au numérique en santé (DNS), dont la vision influence directement les sujets santé portés par la PFUE. Le lien de confiance avec les citoyens doit ainsi veiller à se construire dans la durée, en les incluant dans des stakeholders groups, et en veillant à ce que la communication entre les institutions et les citoyens soit toujours claire. Si cet exercice n’est pas toujours évident, il est sain et nécessaire pour continuer à construire collectivement un projet démocratique européen. Copyright : JOHN THYS / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 24/03/2022 Biotechnologies : comment promouvoir l’écosystème français dans le monde ? Rafaèle Tordjman 28/01/2022 PariSanté Campus : faire de la France un leader de la e-santé Antoine Tesnière