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29/06/2022

Données de santé : pour un pilotage du système de santé au plus près des besoins ? 

Données de santé : pour un pilotage du système de santé au plus près des besoins ? 
 Laure Millet
Auteur
Experte Associée - Santé
 Emma Ros
Auteur
Ancienne chargée de projets - Santé

La crise que nous venons de traverser a mis en lumière les nombreux défis de notre système de santé qui, globalement, ne répond plus aux attentes des professionnels de santé ni aux besoins des patients. Du côté des citoyens, 74 % des Français estiment que le système de santé s'est dégradé ces dernières années et des difficultés d’accès aux soins d’ordre financier, culturel ou géographique demeurent. Du côté des soignants, épuisement professionnel, augmentation des départs et des reconversions, difficultés de recrutements, postes vacants, etc. sont autant d’indicateurs d’un système de santé en demande de changements structurels profonds. Afin de réorganiser notre système et de proposer des modalités de gouvernance plus agiles et plus innovantes, l’usage de la donnée représente un atout majeur, pour définir des offres de soins au plus près des besoins des territoires. Dans le cadre de son rapport Santé : faire le pari des territoires, l’Institut Montaigne a réalisé un outil inédit de cartographie qui démontre la pertinence de mobiliser les données de santé dans la définition des politiques de santé. 

Réaliser un travail de cartographie inédit à partir de données de santé publique

Cette cartographie, développée avec Kanopy Med, s’appuie sur des données de santé publique disponibles en open data. Pour chaque département de France, elle permet de mettre en relation les besoins de santé des populations avec les dépenses de santé par habitant. À l’échelle départementale, les besoins de santé des populations ont été définis selon quatre dimensions : 

  • la démographie : part de la population âgée de plus de 75 ans, ratio de population urbaine / rurale etc. 
  • les déterminants socio-économiques : revenu annuel médian, niveau de diplôme de la population, taux de chômage au sens du recensement etc. 
  • les facteurs de risque individuel : part des décès imputables à la cigarette / alcool ; couverture vaccinale antigrippale etc.
  • l’épidémiologie : taux de prévalence des maladies chroniques, des maladies psychiatriques, des cancers etc. 

La dépense de santé par habitant a été calculée à partir des dépenses hospitalières et ambulatoires par habitant, selon les soins remboursés par l’Assurance maladie. L’ensemble des données mobilisées dans cette cartographie est disponible sur le site de data.gouv.fr. et sur le site de l’Institut Montaigne

Mieux identifier les besoins de santé des Français 

En utilisant la méthode dite de "clustering" (qui consiste à maximiser la vraisemblance au sein des groupes et les différences entre eux), sept groupes de départements homogènes en termes de besoins de santé de leur population ont été définis.  

Les bien-portants (zones frontalières Est et Ouest) : au sein de ces départements, la population y est en moyenne jeune (en Haute-Savoie, la part de la population âgée de plus de 75 ans y est de 7,5 % pour une moyenne nationale de 9,2 %), rurale et favorisée (le taux de chômage y est inférieur à la moyenne nationale).

Sept groupes de départements homogènes en termes de besoins de santé de leur population ont été définis.  

Par ailleurs, les besoins de santé sont relativement faibles comparés à la moyenne nationale (la moyenne du groupe sur le taux de maladies chroniques est de 203,6 pour 1000 pour une moyenne nationale de 223,8 pour 1000). Néanmoins, les populations de ces départements sont plus exposées que le reste de la France à la pollution

Les désavantagés (Sud-Est) : concernant ces départements, ces derniers accueillent une population en moyenne socio-économiquement défavorisée (le taux de chômage au sens du recensement y est 9,9 % plus élevé qu’en France) et relativement âgée. La population y est également plus exposée à la pollution et les troubles psychiques sont plus présents (on décompte en moyenne dans ces départements une prévalence de ces troubles de 55,16 pour 1000 habitants contre 49,53 pour 1000 en France). 

Les dynamiques (Bordeaux, Toulouse, Lyon, Ile-de-France, pointe Est) : ces départements sont ceux accueillant majoritairement les plus grandes villes : la population y est en moyenne jeune et favorisée (le revenu annuel médian y est 9 % plus élevé que dans le reste de la France). Les taux de prévalence des maladies chroniques et du cancer y sont plus importants que dans le reste de la France (pour les maladies chroniques, 236 pour 1000 habitants pour une moyenne nationale de 223,8 pour 1000 ; pour le cancer 48,22 pour 1000 pour une moyenne nationale de 43,89 pour 1000). La natalité y est également plus élevée. 
 
Les enclavés (pointe Bretagne, Bourgogne, Limousin) : pour ces départements, la population y est plus âgée et vit en moyenne plus dans des zones rurales. La prévalence des maladies psychiatriques y est 13 % plus importante que dans le reste de la France et les facteurs de risque individuel, tels que la consommation de l’alcool pèsent sur l’état de santé des habitants (dans le département de la Creuse, la part des décès imputables à l’alcool est de 9,2 pour 100 000 décès pour une moyenne nationale de 3,81 pour 100 000).

Les ruraux (Ouest de la France, Saône-et-Loire) : au sein de ces départements, la population vit majoritairement en milieu rural et est plus âgée que la moyenne française (12,14 % de la population est âgée de plus de 75 ans contre 9,32 % en France). Néanmoins, à la différence des départements dits "enclavés", les besoins de santé apparaissent plus faibles que dans le reste de la France (le taux de maladies chroniques y est inférieur de 14 % par rapport à la moyenne nationale).

Les ultramarins (Départements d’Outre-mer) : ces départements accueillent une population très jeune par rapport à la moyenne nationale (la part de la population âgée de plus de 75 ans y est 38 % inférieure à la moyenne nationale) et socio économiquement défavorisée (le taux de chômage au sens du recensement y est significativement plus élevé que dans le reste de la France). Les besoins de santé demeurent hétérogènes avec un taux de maladies chroniques important et une absence de prévention autour de l’alcool (la part des décès imputables à l’alcool au sein de ces départements y est de 6,57 pour 100 000 décès pour une moyenne nationale de 3,81 pour 100 000 décès dans le reste de la France).

Cet exercice de cartographie met en lumière les inégalités territoriales en termes de besoins de santé et la nécessité de développer des politiques de santé ciblées selon les populations qu’elles desservent. 

Les vulnérables (Nord) : pour ces départements, la population est en moyenne socio économiquement défavorisée (dans le Pas-de-Calais, le revenu annuel médian est de 19 200 euros pour une moyenne nationale de 21 889 euros). Par ailleurs, les besoins de santé apparaissent très importants avec une forte prévalence des maladies chroniques et une part du tabagisme qui pèse sur l’état de santé des habitants : la part des décès imputables à la cigarette y est 18 % plus élevée que dans le reste de la France.
 
Cet exercice de cartographie met en lumière les inégalités territoriales en termes de besoins de santé et la nécessité de développer des politiques de santé ciblées selon les populations qu’elles desservent. Il met également en avant l’inadéquation entre les besoins de santé et les dépenses de santé allouées : à besoins de santé similaires, les dépenses de santé peuvent varier de manière significative entre les départements. Ainsi, l’Ille-et-Vilaine a une dépense de santé par habitant de 1770 euros, alors que l’Isère, qui présente un profil comparable en termes de besoins, à une dépense de santé par habitant de 2150 euros. 

Organiser les données et permettre l’interopérabilité des systèmes d’information 

Ce travail démontre la nécessité de mobiliser les données de santé publique afin de développer des offres de santé et des politiques de prévention ciblées adaptées aux besoins de santé locaux. Néanmoins, des difficultés, rencontrées lors de notre travail de cartographie, demeurent pour un usage systématique de la donnée dans les politiques publiques de santé.

Tout d’abord, la multiplicité des bases de données de santé publique qui fragmente les informations relatives à notre système de santé. La France dispose d’une quantité très riche de bases de données qui renseignent sur notre système de santé : en 2021, le département Etalab recensait 172 bases de données existantes dans le domaine de la santé gérées par 79 gestionnaires différents. Ces données peuvent être de plusieurs ordres et contiennent des informations distinctes notamment :

  • Des données de santé publique et épidémiologiques (ex : le CépiDC, gérée par l’Inserm, qui rassemble les causes médicales des décès, ou encore les effectifs par pathologie publiés par l’Assurance maladie)
  • Des données médico-administratives qui renseignent sur la consommation des soins et les dépenses de santé : le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), géré par l’ATIH regroupe les données relatives à l’activité des établissements de santé (nombre de séjours, durée moyenne de séjour etc.) ou le système national interrégimes de l’Assurance maladie (Sniiram) rassemble l'ensemble des données relatives aux remboursements effectués par l’Assurance maladie (tous régimes confondus). 

Par ailleurs, un manque d’interopérabilité entre les bases de données : des initiatives nationales tendent à faciliter l’accès et l’usage de ces bases de données. La base principale, offre désormais la possibilité de chaîner les données du Sniiram, du PMSI, du CépiDC ainsi que des données relatives au handicap de la CNSA issues des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Par ailleurs, le Health Data Hub, créé en 2019 a pour mission de faciliter l’accès aux données de santé pour les porteurs de projet tout en garantissant le niveau de sécurité nécessaire. 

Enfin, une absence de données et d’indicateurs relatifs à des enjeux de santé publique : en France, il n’existe pas de données sur la prévalence de l’obésité ni sur la consommation moyenne d’alcool, de cigarettes ou de drogues par département (pour notre exercice de cartographie, des proxy ont été nécessaires pour mesurer cette consommation tels que les décès imputables à l’alcool ou le tabac). 

Dans son rapport, Santé : faire le pari des territoires, l’Institut Montaigne incite à un pilotage de notre système de santé par la donnée. À ce titre, les collectivités territoriales ont un rôle clé à jouer dans la récolte, la traçabilité et l’exploitation des données. Au contact direct des populations produisant les données, elles pourraient mobiliser les données dans la définition de politiques de santé adaptées aux besoins de leur territoire.
 

 

 

Copyright : Kenzo TRIBOUILLARD / AFP

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