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Note
Octobre 2021

Automobile :
feu vert pour
une industrie durable

Auteur
Aloïs Kirchner
Expert Associé - Industrie

Aloïs Kirchner est spécialiste des questions relatives à l’industrie. Il est notamment le co-auteur de l'étude Adapter la formation de nos ingénieurs à la mondialisation (février 2011) et des rapports Économie circulaire : réconcilier croissance et environnement (novembre 2016) et Quelle place pour la voiture demain ? (juin 2017).

Aloïs Kirchner a exercé diverses fonctions dans l'industrie et au sein du ministère de l'économie et des finances, où il a notamment été le conseiller industriel du ministre de l'économie et des finances (2017-2018) et le directeur de cabinet de la ministre déléguée, chargée de l'industrie (2018-2020). Il est aujourd'hui chargé des sujets ferroviaires et de transition énergétique en Ile-de-France pour le groupe Keolis.

Il est diplômé de l'École Polytechnique et ingénieur du Corps des Mines.

Personnes auditionnées
  • Coline Assaiante, attachée auprès du directeur exécutif stratégie prospective et évaluation, RTE
  • Vanessa Bisconti-Cateau, directrice de la division eMobilité – Électrification France, ABB France ;
  • Geoffrey Bouquot, directeur délégué R&D, marketing produits et stratégie, Valeo ;
  • Éric Chaney, conseiller économique, Institut Montaigne ;
  • Rémi Cornubert, Senior Partner, Advancy ;
  • Sylvain Demoures, secrétaire général, SNPAA ;
  • Olivier Faure-Vauris, Marketing Director Business Line Automotive Original Equipment, Michelin ;
  • Bruno de Feraudy, President Business Line Automotive Original Equipment, Michelin ;
  • Pierre de Firmas, directeur Mobilité Électrique, ENEDIS ;
  • Lionel Fontagné, professeur, École d’Économie de Paris ;
  • Benjamin Fremaux, Senior Fellow Énergie et Climat, Institut Montaigne ;
  • Marc Glita, directeur des affaires industrielles automobiles, Plastic Omnium ;
  • Nicolas Kurtsoglou, ingénieur responsable carburants, SNPAA ;
  • Gilles Le Borgne, directeur de l’ingénierie, Renault Group ;
  • Sébastien Meunier, vice-président relations institutionnelles, ABB France ;
  • Nicolas Morel, EVP Engineering Deputy, Stellantis ;
  • Marc Mortureux, directeur général, Plateforme, filière automobile et mobilités ;
  • Claude Renard, coordinateur du déploiement des bornes pour les véhicules électriques, Ministère de la transition écologique.

Avec près de 200 000 emplois directs (hors services), une valeur ajoutée annuelle de l’ordre de 13 milliards d’euros et une dépense de recherche et développement (R&D) annuelle de 4,4 milliards d’euros, l’industrie automobile française est une composante essentielle du tissu économique français et un maillon important de notre souveraineté technologique.

Dans un contexte marqué par la nécessité d’une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur des transports (31 % des émissions nationales, dont 94 % liées à la route), cette industrie est fragilisée de longue date par un déficit de compétitivité du territoire français, évalué entre 300 et 600 € par véhicule produit (selon que l’on compare la France à des pays d’Europe du Sud ou de l’Est, respectivement). Ce déficit représente entre 0,6 à 1,2 milliard d’euros par an pour les seules activités d’assemblage final, et constitue la principale source de l’érosion continue de la production automobile nationale, passée de 3,5 millions de véhicules par an au début des années 2000 à moins de 2 millions aujourd’hui. Il trouve sa racine dans un coût du travail plus élevé que celui de la plupart de nos voisins européens (à l’exception notable de l’Allemagne) et une fiscalité de production plus importante.

La fragilité de l’industrie automobile française limite aujourd’hui sa capacité à investir dans la révolution digitale et la rend plus vulnérable au choc que constitue la transition accélérée vers le véhicule zéro émission. Les conséquences pourraient être majeures à l’horizon de quelques années, notamment au regard de la concurrence féroce exercée par les nouveaux entrants chinois et américains. Pour pallier ces difficultés et donner sa chance à l’industrie française et européenne, il convient d’agir sur tous les leviers.

Levier 1 : Repenser la réglementation environnementale européenne

La réglementation environnementale européenne doit être repensée pour répondre aux objectifs principaux à atteindre. En particulier, il s’agit de limiter les émissions globales de dioxyde de carbone (CO2) liées au transport routier, d’une part, et d’améliorer la qualité de l’air dans les zones polluées, d’autre part. Cela implique de traiter rapidement certaines incohérences. Comment expliquer, par exemple, que les véhicules plus lourds aient encore le droit d’émettre plus de CO2 ? Ou bien que seules les émissions de CO2 liées à la combustion du carburant dans la voiture soient prises en compte, alors que celles liées à la fabrication de l’acier qui la compose ou de la batterie qui l’alimente peuvent représenter plus de la moitié des émissions totales ?

Pour répondre à cet enjeu, nous proposons de concevoir au niveau européen une réglementation des émissions de CO2 "de la production à la roue" et non plus "du réservoir à la roue". Cela permettrait de prendre en compte la totalité des émissions de CO2 des véhicules concernés, tout en laissant la porte ouverte à d’autres options technologiques que la seule voiture électrique à batterie. Si celle-ci représente aujourd’hui l’unique technologie "zéro émissions" suffisamment mature pour être massivement déployée à horizon 2035, privilégier cette seule option n’est pas nécessairement la façon la plus compétitive de réduire durablement nos émissions de CO2.

En outre, se limiter à cette seule technologie générera des défis majeurs en matière d’approvisionnement en batteries. De manière subsidiaire, il conviendrait de supprimer l’avantage donné aux véhicules plus lourds et d’avancer à 2024 (au lieu de 2027) la réglementation du contenu carbone des batteries, en cohérence avec l’ouverture des premières usines sur le sol européen.

Levier 2 : Ajuster la réglementation environnementale française

Au niveau de la réglementation environnementale française, et s’agissant des questions climatiques, la meilleure façon de réduire les émissions de CO2 à moindre coût demeure le rétablissement d’une trajectoire carbone dans les prix des carburants, en redistribuant une large part du produit de celle-ci aux ménages les moins aisés pour en garantir l’acceptabilité sociale et accompagner la transition.

En matière de pollution de l’air, les dispositifs français de zones à faibles émissions (ZFE) et de vignettes Crit’Air sont aujourd’hui mal calibrés. Ils devraient en effet conduire à l’interdiction de circulation de 18 à 31 millions de véhicules dans les centres des grandes agglomérations, d’ici au 1er janvier 2024 à Paris et au 1er janvier 2025 dans les autres grandes métropoles. Ces restrictions auront un impact financier massif pour les propriétaires desdits véhicules, compris entre 85 et 235 milliards d’euros (valeur actuelle de ces voitures). Or, parmi ces véhicules figurent les véhicules diésel les plus récents, dont il a été démontré qu’ils étaient moins polluants que certains véhicules essence Crit’Air 1. Ces réglementations devraient donc être ajustées, en accordant notamment la vignette Crit’Air 1 aux véhicules diésel récents et en instaurant une coordination européenne sur ces questions. Dans un même souci de cohérence et s’agissant de pollution locale, la réglementation européenne devrait cesser de durcir uniquement les émissions de polluants issus des pots d’échappement, pour également prendre en compte les émissions de particules issues des freins et de l’usure des pneumatiques. Celles-ci représentent en effet plus de 50 % des émissions d’un véhicule thermique (et 100 % de celles d’un véhicule électrique), mais ne font aujourd’hui l’objet d’aucune réglementation.

Levier 3 : Apporter un soutien direct à l’industrie automobile

Le soutien direct à l’industrie automobile doit également être activé. Au niveau français, il est possible de combler une partie importante du déficit de compétitivité par des aides ciblées sur la R&D et son industrialisation, compatibles avec la réglementation européenne. Ces aides, qui pourraient être de l’ordre d’1 milliard d’euros par an de subventions (contre environ 350 millions aujourd’hui), feraient l’objet d’une programmation pluriannuelle pour ancrer les anticipations des acteurs de l’industrie et les inciter à investir en France. Elles seraient attribuées dans le cadre d’un dispositif partenarial entre les pouvoirs publics et l’industrie, sur la base de l’actuel comité d’orientation pour la recherche automobile et mobilités (CORAM) et en veillant à favoriser les entreprises produisant en France et à intégrer les PME et ETI susceptibles de s’inscrire de manière compétitive dans les nouvelles chaînes de valeurs.

Un tel soutien aurait pour ambition de rehausser de 25 % la production automobile nationale. Il serait à articuler avec les initiatives à prendre au niveau européen, afin de donner une chance au continent dans la compétition mondiale en cours pour le leadership sur la chaîne de traction électrique, l’hydrogène et les différentes briques technologiques du véhicule digital et connecté.

Levier 4 : Soutenir la demande

Le soutien à la demande est une composante essentielle, et ce à double titre.

Tout d’abord, l’État devrait mettre en place une stratégie pluriannuelle d’installation de bornes de recharge dans l’espace public, pilotée de manière centralisée et partenariale, en impliquant tous les acteurs (industriels, énergéticiens, collectivités…) à la manière de ce qui a été fait pour l’accès à la fibre optique dans le cadre du plan France Très Haut Débit. Combinée à un investissement public d’environ 180 millions d’euros par an sur les prochaines années (dont environ 50 % sont déjà couverts aujourd’hui par diverses aides), cette gouvernance crédibiliserait l’atteinte d’un objectif d’au moins 220 000 bornes installées à horizon 2025 et 470 000 à horizon 2030, alors que le domaine national ne compte aujourd’hui qu’environ 46 000 points de recharge ouverts au public. Cet objectif serait cohérent avec les prévisions de ventes de véhicules électriques, et permettrait de parer à certaines réticences psychologiques à l’achat de ces voitures tout en s’assurant que les véhicules hybrides rechargeables soient effectivement rechargés.

Ensuite, l’accompagnement des ménages, rendu essentiel par les contraintes qui vont s’imposer à eux (en particulier les ZFE et la hausse du prix des carburants), constitue un élément central du soutien à la demande. Restrictions de circulation pour les véhicules les plus polluants, hausse progressive des prix du CO2 et en conséquence des prix des carburants traditionnels sont autant de contraintes qui pèseront lourdement sur eux et qui justifient un soutien spécifique. La convergence tarifaire des véhicules électriques avec les véhicules thermiques pourra ainsi être accélérée en maintenant un bonus électrique décroissant au moins jusqu’en 2025, à hauteur d’environ 1 milliard d’euros par an. Enfin, si une trajectoire carbone ambitieuse est rétablie et pour accompagner la montée en puissance des ZFE, celle-ci devra se doubler d’aides à la conversion d’une ampleur appropriée, de l’ordre de 2 milliards d’euros par an.

11 PROPOSITIONS

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6 propositions pour faire évoluer la réglementation environnementale française et européenne
Détails

Proposition n°1 (UE) : avancer à 2024 la fixation d’un plafond d’intensité carbone moyenne pour les batteries utilisées par des véhicules commercialisés en Europe par un constructeur donné. Ce plafond, initialement fixé autour de 90 kgCO2/kWh, décroîtrait progressivement, parallèlement aux objectifs de normes d’émissions de l’Union européenne.

Proposition n°2 (UE) : supprimer le paramètre de masse dans le cadre de la révision du règlement européen établissant les normes d’émissions de CO2 des véhicules devant être présentée d’ici la fin de l’année.

Proposition n°3 (UE) : passer d’une réglementation "du réservoir à la roue" à une réglementation "de la production à la roue", qui inclut tant le contenu carbone lié à la production du véhicule que sa consommation de carburant en cycle de vie. Cela permettrait d’éviter l’interdiction pure et simple des véhicules thermiques hybrides rechargeables en 2035, que propose la Commission européenne, si tant est qu’ils  parviennent à atteindre en vie réelle les niveaux d’émissions aujourd’hui constatés sur les données d’homologation.

Proposition n°4 (France/UE) : rétablir une trajectoire de taxe carbone dans les prix des carburants sur longue période. Accompagner cette trajectoire par des mesures de soutien à une offre compétitive et innovante de véhicules produits en France ou en Europe et un soutien financier à l’acquisition de véhicules propres pour les ménages modestes. Concomitamment, supprimer les exemptions de taxes sur les carburants qui n’ont pas de justification économique ou environnementale.

Proposition n°5 (UE) : rendre interopérable partout en Europe les critères de restriction de circulation à visée environnementale des véhicules pour limiter la fragmentation du marché, en se fondant sur les normes EURO. Dans ce cadre, ne pas faire de différence de traitement entre les véhicules essence et diésel postérieurs à septembre 2019 et, en particulier en France, donner accès à la vignette Crit’Air 1 à tous les véhicules immatriculés postérieurement à cette date.

Proposition n°6 (UE) : inclure dans les normes EURO des limites aux émissions de particules fines issues du freinage et de l’usure des pneumatiques.

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2 propositions pour apporter un soutien direct à l’industrie automobile
Détails

Proposition n°7 (France) : prévoir un soutien financier annuel de l’ordre de 1 milliard d’euros par an pour l’innovation et l’investissement dans la filière automobile. Ces soutiens pourront notamment transiter par le "CORAM", qui devrait être pérennisé, ou bien s’inscrire dans le cadre de soutiens spécifiques aux PME et ETI ou à des programmes d’innovation d’envergure européens (IPCEI). Le soutien aux PME et ETI devrait représenter au moins 25 % de l’enveloppe, en tirant avantage des régimes d’aides plus souples qui existent pour les PME.

Proposition n°8 (UE) : améliorer la coordination européenne sur les sujets d’intérêt commun, au-delà de l’hydrogène et des batteries, en particulier dans le domaine digital (chaîne de puissance et de traction électrique, cartographie, connectivité, conduite autonome, mobility as a service, smart charging, vehicle-to-grid...), avec pour objectif de faire émerger des projets communs dans les domaines où les nouveaux entrants américains et asiatiques menacent le leadership industriel européen.

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3 propositions pour soutenir la demande
Détails

Proposition n°9 (France) : programmer un investissement public pluriannuel suffisant pour couvrir le besoin d’installation de 467 000 bornes de recharge électriques dans l’espace public d’ici à 2030 (environ 180 millions d’euros par an jusqu’en 2030, dont les mécanismes de prise en charge déjà existants couvrent approximativement la moitié). Mettre en place une administration de mission légère pour coordonner ce plan dans une logique de partenariat public/privé associant tous les acteurs pertinents (entreprises et collectivités), à l’image de l’Agence du Numérique pour le plan France Très Haut Débit (France THD).

Proposition n°10 (France) : maintenir un système de bonus électrique jusqu’à fin 2025, date à laquelle la parité prix entre les véhicules électriques et les véhicules thermiques pourrait être atteinte. Ce bonus pourrait être de 5 000 € par véhicule électrique en 2022, 3 000 € en 2023, 2 000 € en 2024 et 1 000 € en 2025.

Proposition n°11 (France) : réinstaller, concomitamment au rétablissement d’une trajectoire carbone ambitieuse et à l’interdiction progressive des véhicules les plus polluants dans les grandes agglomérations, un dispositif de prime à la conversion ambitieux, centré sur les ménages de la classe moyenne inférieure (cinq premiers déciles), pour un volume d’au moins 2 milliards d’euros par an (à ajuster en fonction de l’ambition de la trajectoire carbone et du nombre de zones concernées par des zones à faibles émissions, et en utilisant le cas échéant le Fonds social pour le climat européen).

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