Renvoyer les étrangers venus travailler au bout de 6 mois sans emploi
« Renvoyer les étrangers venus travailler au terme d’une période sans emploi de 6 mois ».
Cette proposition d’Éric Zemmour a été chiffrée dans le cadre de l’opération Présidentielle 2022 et est incluse dans le programme de Reconquête ! pour les législatives de 2022.
Éric Zemmour propose de « renvoyer les étrangers venus travailler au terme d’une période sans emploi de 6 mois« .
Le nombre de chômeurs étrangers en France est estimé à 300 000 personnes, parmi lesquelles, en l’absence de données publiques, il peut être considéré que 200 000 sont chômeurs depuis plus de 6 mois. La proposition du candidat conduirait à mettre fin aux allocations de retour à l’emploi pour ce public, et de les « renvoyer » dans le pays d’origine.
L’arrêt de l’allocation de retour à l’emploi au-delà d’un an pour ce public pourrait générer une économie médiane de l’ordre de 2,4 Md€ par an. Les « renvoi » dans le pays d’origine impliquent néanmoins un coût, de l’ordre de 0,6 Md€, réduisant d’autant le bénéfice financier de la mesure. Au total, l’économie annuelle serait de l’ordre de 1,8 Md€ par an.
Néanmoins, la mise œuvre de la mesure pourrait se heurter à la protection constitutionnelle et internationale découlant du droit d’asile et du droit à la vie familiale normale.
Éric Zemmour a affirmé le lundi 7 février 2022 sur France Inter que « nous avons un taux d’inactivité des étrangers extra-européens qui est de 55 %. Je dis bien que 55 % des étrangers extra-européens en âge de travailler, c’est-à-dire entre 16 et 64 ans, sont inactifs. C’est pour cela que j’ai décidé de renvoyer les chômeurs étrangers de plus de six mois, s’ils n’ont pas eu de travail pendant plus de six mois, ils seront renvoyés dans leur pays« .
Cette affirmation appelle un rappel de définitions. Les chômeurs figurent dans la catégorie des actifs. La catégorie des inactifs comprend notamment les étudiants ou encore les retraités. Ceux-ci n’ont pas vocation à occuper des emplois et ne touchent donc pas les allocations chômage. Le candidat n’a pas chiffré l’économie engendrée par cette mesure.
Nombre de chômeurs étrangers de plus de 6 mois longue durée
En 2020, 2,351 millions de personnes en France représentant 8 % de la population active sont au chômage selon l’Insee. Le taux de chômage varie selon les catégories de population : il s’établit à 6,9 % pour les étrangers issus de l’Union européenne (45 000 personnes au chômage) et 18,4 % pour les étrangers hors de l’Union (255 000 personnes) (1).
Au total, le nombre de chômeurs étrangers peut ainsi être estimé à 300 000 personnes. Les données publiées par l’Insee ne permettent pas de connaître le nombre de chômeurs de plus de 6 mois mais uniquement le nombre de chômeurs de longue durée (soit de plus d’un an). Parmi les chômeurs, 36,4 % sont des chômeurs de longue durée soit environ 109 000 étrangers. En l’absence de données complémentaires, il peut être fait l’hypothèse que le nombre chômeurs étrangers de plus de 6 mois est de l’ordre du double, soit 200 000 personnes.
Montant de l’indemnisation chômage
Le montant de l’indemnisation chômage varie en fonction du ou des salaires perçus au cours des 24 mois précédant la fin du contrat de travail (ou 36 mois pour les allocataires de 53 ans et plus).
Selon Pôle emploi (2), ce montant est de 15 000€ par an en moyenne pour l’ensemble de la population. Pour autant, les immigrés disposent d’un niveau de vie annuel moyen de 20 040€ contre 24 650€ pour l’ensemble de la population tenant à des revenus moins élevés (soit un écart de 19 %). Par conséquent, le niveau de l’indemnisation pourrait se situer à un niveau inférieur. Ce niveau d’indemnisation se situerait, selon les hypothèses envisageables, entre 6 324€ et 13 116€ par an :
- Hypothèse haute : indemnisation annuelle de 15 000€, soit la moyenne des indemnisations versées par Pôle emploi
- Hypothèse médiane : indemnisation annuelle de 12 200€, soit 19 % de moins que la moyenne des indemnisations versées par Pôle emploi
- Hypothèse basse : indemnisation annuelle de 7 500€, soit moitié moins que la moyenne des indemnisations versées par Pôle emploi
Montant de l’économie sur l’assurance chômage
L’économie réalisée sur l’assurance chômage serait alors de :
En Md€ | |
Hypothèse haute | 3,0 |
Hypothèse médiane | 2,4 |
Hypothèse basse | 1,5 |
D’autres économies potentielles, par exemple sur les minima sociaux, sont exclues du chiffrage car traitées par d’autres mesures du candidat.
Coût engendré par les « renvois » dans le pays d’origine
Il convient de prendre en compte le coût engendré par les « renvois » du fait de la perte d’un titre de séjour découlant d’une période de chômage de plus d’un an.
En 2019, 31 404 personnes (3) dont le titre de séjour avait expiré ont quitté le territoire en fonction des différents modes de départ. Par conséquent, le « renvoi » de 200 000 personnes étrangères ayant perdu leur emploi depuis plus d’un an aurait un impact très important sur le nombre de personnes à « reconduire ».
Les éloignements forcés et les départs aidés ont coûté en 2019 près de 90,6 M€ (4). En rapportant les coûts des éloignements par personne au nombre de personnes étrangères ayant perdu leur emploi depuis plus d’un an répartis selon les 3 voies de départ, le coût des éloignements serait de 577 M€ par an.
Montant de l’économie de l’ensemble de la mesure
Selon les hypothèses, l’économie obtenue serait alors seulement de :
En Md€ | |
Hypothèse haute | 2,4 |
Hypothèse médiane | 1,8 |
Hypothèse basse | 0,9 |
Historique de la mesure
Cette proposition rejoint la proposition de Marine Le Pen dans le cadre de la campagne présidentielle de 2022 : « Renvoyer les étrangers qui n’ont pas eu d’emploi pendant un an et ne peuvent subvenir à leurs besoins« .
Mise en œuvre
L’article L. 421-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit expressément le renouvellement du titre de séjour pour un étranger se trouvant privé involontairement de son emploi pendant la période d’indemnisation par Pôle emploi. Lors du renouvellement suivant, s’il est toujours privé d’emploi, il est statué sur son droit au séjour pour une durée équivalente à celle des droits qu’il a acquis à l’allocation d’assurance mentionnée à l’article L. 5422-1 du code du travail.
Cette mesure viserait donc à modifier cet article par une loi.
Néanmoins, la situation des étrangers fait l’objet de protections constitutionnelles et internationales.
Aux termes de la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993 : « Aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national« . L’étranger se trouve par définition dans une situation différente du national. Les étrangers hors citoyens de l’Union sont soumis, pour leur entrée et leur séjour en France, à un régime de police administrative.
Ainsi, si des motifs tirés des nécessités de l’ordre public et de l’intérêt de la défense nationale peuvent légalement justifier un refus de carte de séjour (CE, 22 juillet 1977, Mytteis-Hager), le juge administratif exerce en la matière un contrôle normal (c’est-à-dire qu’il regarde de près la proportionnalité entre la mesure de police administrative et le motif invoqué), y compris sur le point de savoir si la présence de l’intéressé en France constitue une menace pour l’ordre public (CE, Section, 17 octobre 2003, Bouhsane).
Une fois autorisés à séjourner et à travailler, les intéressés ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’éloignement que pour des motifs d’ordre public.
Le Conseil d’État veille à ce que les arrêtés d’expulsion soient motivés en la forme comme l’exige la loi du 11 juillet 1979 (CE, Section, 24 juillet 1981, Belasri), même lorsqu’ils sont pris suivant la procédure d’urgence absolue (CE, Section, 13 janvier 1988, Albina).
Une étape supplémentaire dans la protection des étrangers a été franchie depuis que le Conseil d’État a jugé que l’article 8 de la CEDH sur le droit au respect de la vie familiale doit être appliqué par l’administration lorsqu’elle enjoint à un étranger de quitter le territoire national. Le juge administratif exerce un contrôle de proportionnalité entre la mesure portant atteinte au droit à la vie familiale et l’intérêt public à éloigner l’intéressé (CE, Assemblée, 19 avril 1991, Belgacem).
Il est loisible au législateur de définir un cadre plus restrictif. Il lui est même loisible, en ce qui concerne les étrangers présents sur le sol national, de modifier dans un sens plus restrictif le droit au séjour qui leur est accordé. Seule l’existence d’exigences constitutionnelles ou conventionnelles (c’est-à-dire garanties par un traité ou une convention internationale) comme le droit d’asile ou celui de mener une vie familiale normale peut borner l’intervention du législateur.
Si l’immigration de travail peut, contrairement à l’immigration familiale et à l’asile, être régulée, sa place dans les titres de séjour est faible.
Par conséquent, seuls les étrangers bénéficiant d’un titre de séjour pour le seul motif économique pourraient être concernés par cette mesure. Au 31 décembre 2020, ils n’étaient que 255 288.
Les autres personnes disposeront d’une protection constitutionnelle tenant au droit d’asile ou au droit à la vie familiale normale.
Détail des titres valides au 31 décembre 2020 (5) :
Total | |
Motif économique | 255 288 |
Motif familial | 1 237 833 |
Motif étudiant | 214 545 |
Motif humanitaire | 434 086 |
Visiteurs et divers | 297 352 |
Renouvellement de plein droit | 905 612 |
Total | 3 344 716 |
(2) Pôle emploi, 2021, Montant de l’allocation chômage versée aux demandeurs d’emploi indemnisés par l’assurance chômage : situation au 31 décembre 2020.
(3) Ministère de l’Intérieur, direction général des étrangers de France, 2021, Les éloignements 2021.
(4) Rapport annuel de performance annexé au projet de loi de règlement 2019.
(5) Ministère de l’Intérieur, direction général des étrangers de France, 2021, Les titres de séjour.