Baisser la TVA de 20 à 5,5 % pour les carburants, l’électricité, le gaz et le fioul domestique
« Il faut baisser la TVA sur l’énergie, le carburant, le gaz, l’électricité, le fioul, de 20 à 5,5% […] Ce sont des produits de première nécessité et cela fait tout de suite baisser un plein de gazole de 40 litres de huit euros […] Tant pis si certains qui n’en ont pas besoin en bénéficient […] L’important, c’est de considérer que se chauffer et circuler est une obligation pour les Français, il n’y a donc aucune raison que l’État perçoive 60% du prix du carburant à la pompe ».
Cette mesure de Marine Le Pen a été chiffrée dans le cadre de l’opération Présidentielle 2022 et est incluse dans le programme du Rassemblement national pour les législatives de 2022.
Pour les administrations publiques, la TVA sur les produits pétroliers, le gaz et l’électricité représente d’importantes recettes, qui s’élèvent à 14,5 Md€. La majeure partie de ces produits énergétiques se voit appliquer un taux de TVA à 20 %.
Dès lors, appliquer le taux réduit de TVA (5,5 %) à l’ensemble de ces produits énergétiques représenterait une très nette baisse des recettes publiques. Le rendement de la TVA baisserait de l’ordre de 10 Md€ pour s’établir entre 4 et 5 Md€ seulement.
Le coût de cette mesure pourrait être amoindri si les Français consommaient, à la suite de la baisse de la fiscalité, plus de produits énergétiques. Inversement, ce coût serait accru par la hausse des cours mondiaux des produits énergétiques.
Impact environnemental
L’impact précis de la baisse du taux de TVA sur la consommation d’énergie est incertain, d’autant qu’il dépend de l’horizon temporel (court ou moyen terme), du revenu des ménages (modestes ou aisés), de leurs modes de vie (distance au travail) et des prix des énergies sur les marchés. Le passage de la TVA de 20 % à 5,5 % sur l’énergie se traduirait néanmoins par une hausse de la consommation des ménages, en raison de leurs déplacements individuels ou de leur chauffage.
On peut estimer que cette mesure, isolée des autres, viendrait retarder d’environ deux ans l’atteinte des budgets carbone de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) des secteurs transport et bâtiment, tout en privant le budget de l’Etat de capacité de financement alors qu’il doit augmenter les investissements climat de 14 Md€ par an pour respecter les objectifs de la SNBC.
Cette mesure ferait porter un fort risque sur le respect des engagements climat de la France dès le 3ème budget carbone (2024-2028) et à horizon 2030. Et cela dans un contexte où cet objectif 2030 devra être renforcé suite au relèvement de l’objectif européen à –55 % de réduction nette d’émissions en 2030 par rapport à 1990 dans le cadre du Pacte vert.
Les ménages français dépensent (1) annuellement, en moyenne, 1 542€ en carburants et 1 602€ pour leur logement. Parmi ces dépenses, la TVA représente respectivement 246€ et 230€, soit un total de 476€ par an. La TVA n’est pas le seul impôt portant sur l’énergie, à laquelle s’applique notamment la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE).
Pour les administrations publiques, la TVA sur les produits pétroliers, le gaz et l’électricité représente d’importantes recettes, qui s’élèvent à 14,5 Md€ : 9 Md€ pour les produits pétroliers, 4 Md€ pour l’électricité, 1,4 Md€ pour le gaz naturel (données pour 2018).
La majeure partie de ces produits énergétiques se voit appliquer un taux de TVA à 20 %, seuls les abonnements d’électricité et de gaz ainsi que la contribution tarifaire d’acheminement (CTA) font l’objet d’une taxation réduite à 5,5 %. Des taux réduits peuvent également s’appliquer en Corse et en outre-mer.
L’assiette exacte de la taxation réduite à 5,5 % n’est pas publique, mais à partir des factures moyennes des Français d’électricité et de gaz, il peut être fait l’hypothèse que ce taux réduit s’applique à 30 % de la facture d’électricité et à 15 % de celle de gaz. Cette assiette, déjà taxée à 5,5 %, n’est pas concernée par le projet de mesure et le rendement de la fiscalité continuerait de s’établir aux environs de 0,3 Md€.
Produits pétroliers | Gaz naturel | Électricité | Total | |
TOTAL | 9 047 | 1 433 | 4 060 | 14 540 |
Taux 20 % | 9 047 | 1 282 | 3 872 | 14 201 |
Taux 5,5 % | / | 151 | 188 | 339 |
La mesure conduirait à faire passer le taux de 20 % à 5,5 % sur une assiette très importante, ce qui impliquerait une très forte chute des recettes : celles-ci passeraient de 14,2 Md€ à 3,9 Md€.
Au total, la baisse de recettes fiscales s’établirait donc à 10,3 Md€ environ par an.
Le coût de cette mesure pourrait être amoindri par une augmentation de la consommation de produits énergétiques, consécutive à la baisse de la fiscalité : augmentation du chauffage, baisse de l’éco-conduite, trajets en voiture favorisés par rapport à d’autres transports, etc. Inversement, son coût pourrait être accru par la hausse des cours des produits énergétiques : plus le pétrole, le gaz et l’électricité coûtent chers, plus le manque à gagner fiscal est important pour l’État. Au total, en faisant l’hypothèse que ces deux phénomènes peuvent jouer à la hausse ou à la baisse de 20 % (taux forfaitaire), le coût de la mesure serait compris entre 8,2 Md€ et 12,4 Md€ par an.
Impact environnemental
La baisse de la TVA sur les produits énergétiques pourrait conduire à une forte augmentation de la consommation des ménages. L’Insee a ainsi estimé, qu’à long terme, une hausse de 1 % du prix des carburants à la pompe impliquait une baisse comprise entre 0,6 % et 0,8 % de la consommation des ménages, selon leurs revenus et leurs usages de leur véhicule.
En sens inverse, et sur la base de cette étude de l’Insee, il pourrait être estimé qu’une baisse de 10 % du prix des carburants – consécutive au passage de la TVA de 20 % à 5,5 % – impliquerait une hausse de 6 % à 8 % de la consommation de carburants. En 2019, les émissions du transport routier s’élevaient à 127 MtCO2eq ; cela aurait représenté une augmentation des émissions de l’ordre de 7 à 10 MtCO2eq.
Il peut être fait l’hypothèse que cette évolution soit comparable pour les autres énergies bénéficiant de la baisse de la TVA (gaz, fioul, électricité). Les émissions liées à l’usage des bâtiments résidentiels et tertiaires s’élevaient en 2019 à 75 Mt CO2e ; cela aurait représenté une augmentation des émissions de l’ordre de 4 à 6 MtCO2e.
Une étude économétrique réalisée en 2019 (3) estimait une élasticité autour de 0,1 à 0,3 pour les carburants et de 0,2 pour le fioul domestique. Avec ces données, l’intervalle d’impact d’une réduction de la TVA sur les carburants et fioul domestique est plus réduit de 3 à 5,5 MtCO2eq.
La France s’est fixée un objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % en 2030 par rapport à 1990 et un objectif de réduction de la consommation énergétique de 20 % en 2030 par rapport à 2012. Afin d’atteindre ces objectifs, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) établit une trajectoire de réduction d’émissions de gaz à effet de serre par secteur assortis de recommandations de politique publique.
Le secteur des transports et de l’usage des bâtiments représentent 48 % des émissions nationales de GES. Or ce sont les deux secteurs qui ont accumulé le plus de retard par rapport aux objectifs fixés par la SNBC, avec un dépassement respectivement de 8 % et 7 % du premier budget carbone (rapport annuel 2021 du Haut conseil pour le climat).
Pour atteindre les objectifs climat 2030 et respecter la SNBC2, le rythme de réduction d’émissions doit significativement s’accélérer à partir de 2021 pour passer de -7MtCO2eq par an actuellement à -13 MtCO2eq par an à partir de 2021. Le budget carbone du secteur de transport comme celui du secteur de l’usage des bâtiments doivent diminuer chacun autour de 3 à 4 MtCO2eq par an jusqu’en 2030.
Sans politique spécifique et ambitieuse pour compenser et dépasser cet effet, la baisse de la TVA sur les carburants et les énergies domestiques conduirait à un retard de deux ans pour le respect du troisième budget carbone des bâtiments et des transports de la SNBC, secteurs qui ont déjà une grande difficulté à respecter leurs objectifs de réduction d’émissions. Cette mesure viendrait hypothéquer l’atteinte de l’objectif actuel de réduction d’émissions de GES et de consommation énergétique en 2030, alors que cet objectif devra être renforcé pour respecter le nouvel objectif climat européen de -55 % en 2030 décidé dans le Pacte vert.
Par ailleurs, I4CE estime à 16 Md€ par an les dépenses fiscales défavorables au climat en 2021 (4) et à 14 Md€/an le besoin d’investissement supplémentaire pour respecter les objectifs fixés la SNBC (5). Cette mesure ajouterait donc 8 à 12 Md€ supplémentaires à ces dépenses défavorables au climat, et compléxifier encore plus les enjeux de financement de la transition bas carbone par l’Etat.
Benchmark
Le taux de TVA applicable aux produits pétroliers varie d’un pays à l’autre. Au sein de l’Union européenne (6), certains pays affichent des taux plus élevés que la France (20 %), comme la Hongrie (27 %), la Suède (25 %), la Finlande (24 %) ou la Grèce (24 %). Le Luxembourg affiche un taux plus faible (17 %) qu’en France, mais la plupart des pays européens ont choisi un taux compris entre 19 % et 21 %.
Mise en œuvre
La mesure pourrait être mise en œuvre par la voie législative, sous réserve d’un échange préalable avec la Commission européenne en raison de l’encadrement européen des taux de TVA.
(1) Ministère de la transition écologique, septembre 2021, données pour 2019
(2) Insee, Consommation de carburant : effets des prix à court et à long terme par type de population, 2011.
(3) Une évaluation quantifiée de la « taxe carbone » française.
(4) Climat : retour sur 10 ans de dépenses de l’État, I4CE.
(5) Panorama des financements climat 2021, I4CE.
(6) Source : Commission européenne, Excise duty tables, 1er juillet 2021.