Remettre en cause certains traités de libre-échange
« Les traités de libre-échange s’opposent à l’atteinte de nos objectifs écologiques, alimentent le dumping social et favorisent des délocalisations. […] Nous comptons utiliser les marges de manœuvre existantes : avoir recours aux clauses de sauvegarde ; refuser tout nouvel accord de libre-échange […] opposer notre droit de veto aux accords de libre-échange ».
Une suspension de la négociation ou de la ratification de traités en cours de finalisation est possible. Un certain nombre de négociations ont ainsi été suspendues dans la période récente. Une majorité qualifiée est nécessaire au Conseil de l’Union européenne pour approuver les sujets de droit commun, certains sujets plus sensibles requièrent l’unanimité, ce qui donne un droit de veto au stade de l’ouverture des négociations ou de l’adoption de l’accord. Si le traité commercial comporte des dispositions de compétence partagée entre l’UE et les États membres, chaque pays peut, en refusant la ratification, bloquer la partie de l’accord en question. En France, la ratification des traités – en dehors de la politique de droits de douane, compétence exclusive de l’UE – est une compétence du Parlement.
L’activation de la clause de sauvegarde pour certaines dispositions de certains traités est envisageable pour réduire la libéralisation des échanges. Toutefois, ce dispositif a une portée limitée et est temporaire. Il ne peut viser qu’un produit importé dans l’Union dans des quantités tellement accrues et à des conditions telles qu’il cause ou menace de causer un préjudice grave aux producteurs de l’Union.
Impact macroéconomique / sur le pouvoir d’achat
Environ 30 % des échanges extérieurs de l’UE se déroulent dans le cadre d’accords bilatéraux de commerce. L’Union européenne dispose d’un réseau de 41 accords commerciaux couvrant 72 pays. En mai 2022, 10 accords sont en cours de négociation.
La suspension des négociations commerciales pourrait perturber les relations extérieures de l’UE. Ses exportations ne profiteraient pas d’une baisse des barrières tarifaires et non tarifaires. Le pouvoir d’achat et la diversité de l’offre de produits pour les consommateurs ne seraient pas améliorés. Certaines relations commerciales sont déjà couvertes par un accord, qui resterait en vigueur à défaut de nouvel accord, les perturbations seraient alors limitées.
La limitation des échanges commerciaux consécutive à un blocage des négociations de traités de libre-échange pourrait contribuer à limiter la croissance des émissions de gaz à effet de serre. En effet la limitation du recours au transport de longue distance et la substitution de production européenne aux importations réduirait les émissions liées à celles-ci, qui ont doublé depuis 1995. Les normes environnementales applicables au sein de l’UE sont en général supérieures à celles d’une grande partie de ses partenaires commerciaux.
C’est ce constat qui motive le projet européen d’ajustement carbone aux frontières proposé par la Commission européenne le 14 juillet 2021. La prise en compte de ce type de préoccupations a aussi conduit l’UE à introduire, en juin 2019, dans les négociations de l’accord commercial UE-Canada la notion de « véto climatique ». Ce dernier précise les modalités d’utilisation du mécanisme d’interprétation conjointe du CETA qui permettra aux Parties à l’accord de faire échec à des plaintes visant des mesures répondant à des objectifs légitimes de politique publique, en particulier dans le domaine de la lutte contre le changement climatique.
La politique commerciale est de la compétence exclusive de l’UE. La Commission européenne négocie les accords sur le fondement d’un mandat adopté à la majorité qualifiée par le Conseil, sauf en certaines matières (propriété intellectuelle, culture, éducation, santé), où l’unanimité est requise (1). Si un projet de traité va au-delà des strictes questions commerciales, il peut être qualifié de mixte et suppose une approbation de l’ensemble des États membres à travers la ratification selon leurs procédures nationales.
Selon la nature du projet d’accord commercial, un État membre pourrait disposer d’un droit de veto lors de sa ratification. En effet, les accords commerciaux de nouvelle génération vont au-delà des simples questions tarifaires, compétence exclusive de l’UE, et abordent des sujets relatifs à des compétences partagées avec les États membres, ce qui requiert la ratification par chacun d’entre eux. L’absence de ratification d’un État membre ne pourrait toutefois pas faire obstacle à une exécution provisoire de l’accord sur les parties qui relèvent de la compétence exclusive de la Commission européenne. De même, il existe la possibilité de scinder l’accord commercial en plusieurs traités, permettant une adoption uniquement au niveau du Parlement européen et du Conseil des dispositions de la compétence exclusive de l’UE. Ainsi la Commission européenne entend scinder dans des accords séparés les dispositions relatives aux investissements, compétence partagée avec les États, et les autres dispositions commerciales.
La clause de sauvegarde, invoquée par le programme de la NUPES, prévoit la possibilité de suspendre la poursuite de la libéralisation tarifaire ou de rétablir le taux du droit de la nation la plus favorisée lorsque, en raison de la libéralisation des échanges, des marchandises sont importées dans des quantités tellement accrues et à des conditions telles qu’elles causent (ou menacent de causer) un préjudice grave aux producteurs intérieurs produisant un produit similaire ou directement concurrent.
Historique de la mesure
En février 2019, l’UE a adopté un règlement simplifiant l’inclusion de mesures de sauvegarde dans les accords commerciaux afin que ceux-ci soient systématiquement appliqués de manière efficace et cohérente. Le règlement couvre dans un premier temps la mise en œuvre des accords de libre-échange UE-Japon, UE-Singapour et UE-Viêt-Nam.
En juillet 2018, l’UE a imposé des mesures de sauvegarde sur les importations d’acier pour protéger son industrie de l’effet collatéral des droits de douane des États-Unis sur l’acier.
Dans le cadre de sa nouvelle politique commerciale, définie le 18 février 2021, la Commission européenne a annoncé conditionner les futurs accords commerciaux au respect de l’accord de Paris sur la lutte contre le réchauffement climatique.
Benchmark
La législation américaine contient des dispositions « de sauvegarde » qui permettent au président de suspendre temporairement les concessions commerciales. Ces mesures prennent la forme d’un contingentement des importations ou de l’imposition de droits additionnels. L’objet de ces dispositions n’est pas d’offrir une protection permanente contre les importations, mais de permettre aux branches de production, aux entreprises et aux travailleurs touchés de s’adapter à la concurrence de ces importations. Les principales dispositions à cet égard se trouvent dans le Trade Act de 1974.
L’accord de l’Organisation mondiale du commerce de 1994 autorise les mesures de sauvegarde. Au 30 juin 2017, sur 164 mesures de sauvegarde provisoires ou définitives prises depuis 1995, 43 concernent le secteur des métaux communs (acier, carbone notamment) et 30 concernent les produits chimiques ou industries connexes. Les Membres ayant appliqué le plus de mesures de sauvegarde provisoires ou définitives sont l’Inde (21) ; l’Indonésie (17) et la Turquie (14).
Mise en œuvre
Même en l’absence de convergence de vue avec d’autres États sur les motifs invoqués par la NUPES, une convergence d’intérêts peut permettre de réunir une majorité suffisante ou une minorité de blocage pour s’opposer à l’ouverture ou à la conclusion d’accords de libre-échange, soumise pour le droit commun à la majorité qualifiée au Conseil de l’UE. Dans les domaines où l’unanimité est requise (propriété intellectuelle, culture, éducation, santé), un État membre peut utiliser un veto aux stades du mandat de négociation et de l’adoption de l’accord. Dans les domaines de la compétence des États, la ratification du traité commercial est soumise à la ratification de chacun d’entre eux.
Un certain nombre de projets d’accords commerciaux ont été suspendus ou connaissent des durées de négociation très longues. Ainsi, 12 États membres, dont la France, n’ont pas ratifié le projet d’accord avec le Canada (CETA), dont le mandat de négociation date de 2009 et l’adoption provisoire par l’UE de 2017.
Le blocage des nouveaux accords laisse toutefois en vigueur les 41 accords déjà définitivement adoptés. De même l’activation d’une clause de sauvegarde doit être justifiée par une analyse objective de l’évolution des importations d’un produit en particulier vis-à-vis d’un partenaire commercial et doit être temporaire.
(1) Article 207, Traité sur le fonctionnement de l’UE.