Réformer le statut de la BCE et de ses missions avec pour objectif notamment de "prêter directement aux États"
« Le statut de la Banque centrale européenne et les règles d’austérité du semestre européen obligent les États à se mettre dans la main des marchés financiers et à réduire les investissements dans la bifurcation écologique et l’État social. […] Modifier les missions et les statuts de la BCE pour lui permettre de prêter directement aux États […] Obtenir que la Banque centrale européenne (BCE) transforme la part de dette des États qu’elle possède en dettes perpétuelles à taux nul ; Faire racheter par la BCE la dette publique qui circule sur les marchés financiers ».
La mesure est contraire à l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui interdit à la BCE de prêter aux États. La mesure impliquerait donc de modifier les traités européens. Or, il ne semble pas exister de consensus politique européen sur une révision des traités. En mai 2022, 13 des 27 pays de l’UE se sont déclarés défavorables au lancement d’une procédure pour changer les traités, sollicitée par la résolution du Parlement européen du 4 mai 2022.
Il n’existe pas de consensus politique européen en faveur d’une suppression de l’interdiction faite à la BCE de prêter aux États, à laquelle l’Allemagne, en particulier, est très attachée. En effet, si la BCE prêtait directement aux États, elle ne serait plus véritablement indépendante, ce qui pourrait s’opposer à son objectif principal de stabilité des prix, fixé par l’article 127 du traité sur le fonctionnement de l’UE.
Même le maintien du programme actuel d’achats d’obligations d’État sur le marché secondaire par la BCE supposerait un consensus au sein du conseil des gouverneurs de la BCE qui semble difficile à obtenir dans le contexte de reprise de l’inflation.
Si la BCE était autorisée à prêter directement aux États, le risque principal sur le plan économique serait d’alimenter une dynamique inflationniste déjà très forte en 2022, qui impacterait négativement le pouvoir d’achat des ménages.
Impact macroéconomique / sur le pouvoir d’achat
Un financement de la dette publique directement par la BCE pourrait faire diminuer le coût de financement de la dette publique des États, notamment dans le contexte actuel de remontée des taux d’intérêt.
Cependant, une telle orientation serait potentiellement inflationniste. Dans le contexte actuel, tout élément venant majorer la dynamique d’inflation pourrait rendre celle-ci difficilement contrôlable. Les ménages pourraient voir leur pouvoir d’achat et leur épargne érodés par une inflation excessive.
L’euro aurait tendance à se déprécier vis-à-vis des autres devises, ce qui renchérirait le coût des importations libellées dans une autre devise. Cela concernerait notamment les hydrocarbures. Cela renforcerait la dynamique inflationniste qui frappe particulièrement les prix dans ce secteur depuis début 2022. Une telle hausse impacterait le pouvoir d’achat des ménages et notamment des plus modestes, que l’éloignement des transports en commun ou les horaires décalés contraignent à l’usage du véhicule personnel.
Le soutien à la consommation et à l’investissement, à travers la dépense publique, pourrait avoir un effet négatif sur l’environnement, sauf à ce qu’il soit orienté vers l’efficacité énergétique.
Conformément à l’article 48 du traité sur le fonctionnement de l’UE, toute modification des traités doit être ratifiée par l’ensemble des États membres. Le 9 mai 2022, 13 États membres ont déclaré leur opposition à une révision des traités. Cette voie semble difficile à suivre en son principe même, elle le serait plus encore sur ses modalités, du fait de l’absence de consensus européen pour abroger des dispositions en faveur de l’interdiction pour la BCE de prêter aux États.
Le programme d’achats d’actifs de la BCE consiste en l’acquisition par la BCE de la dette des États sur le marché secondaire. Cela contourne l’interdiction de prêter directement aux États. Cependant, ce programme élaboré en réponse à la crise économique de 2008 n’a été adopté qu’en 2015, à la suite d’un long débat entre les États membres, l’Allemagne, notamment, considérant que cette mesure n’était pas totalement conforme au traité. Des recours constitutionnels ont été introduits en Allemagne afin de contester les décisions de la BCE mettant en place le programme de rachats d’actifs (1). Si la CJUE a validé les décisions du conseil des gouverneurs de la BCE, elle les a liées au contexte particulier de déflation. La validité juridique d’un maintien et plus encore d’un renforcement du programme d’achats d’actifs n’est donc pas assurée dans un contexte où l’inflation est dynamique.
Par conséquent, la révision directe des traités pour prêter aux États ou leur interprétation constructive visant à stimuler la demande du marché pour les obligations souveraines paraissent difficiles à mettre en œuvre dans le contexte actuel.
Historique de la mesure
En 2015, la BCE a mis en œuvre un programme d’achats d’actifs (« Quantitative easing« ), visant à acheter, sur le marché secondaire, les dettes des États de la zone euro, puis à partir de 2016, les dettes d’entreprises suffisamment solvables. Ce programme, dérogatoire par rapport aux instruments conventionnels, a été justifié par la lutte contre la déflation, qui menaçait alors la zone euro.
Ce programme d’achat a été, depuis, prolongé, et étendu dans le contexte de la crise du Covid-19. Son motif principal n’existe plus aujourd’hui, le principal risque étant une inflation élevée. Le 10 mars 2022, la BCE a annoncé la réduction progressive de ses programmes de rachats nets de dettes publiques et privées.
Benchmark
Le programme d’achats d’actifs de la BCE de 2015 se fondait sur le précédent de la Réserve fédérale américaine, qui avait actionné dès 2008 un programme d’achats d’actifs. À partir de novembre 2021, la Réserve fédérale américaine a commencé à mettre fin à son programme de rachats d’actifs, en réduisant la taille de son bilan.
Mise en œuvre
Une telle mesure supposerait de déposer une demande de révision des traités, soumise à la majorité simple au Conseil européen. Les propositions d’amendement devraient ensuite être adoptées par consensus au sein d’une conférence intergouvernementale puis soumises à la ratification de l’ensemble des États membres. Un tel projet requiert un niveau élevé de consensus préalable, qui ne semble pas atteint dans le domaine de la politique monétaire.
Même le maintien du programme actuel d’achats d’actifs par la BCE supposerait un consensus au sein du conseil des gouverneurs de la BCE qui semble difficile à obtenir dans le contexte de reprise de l’inflation. En outre, la réduction progressive de ce programme ayant été annoncée, cela constituerait un revirement qui pourrait alimenter la volatilité sur les marchés financiers, rendant encore plus difficile une telle décision au niveau du conseil des gouverneurs de la BCE.
En supposant que le conseil des gouverneurs change de position, une telle décision encourrait un risque élevé d’annulation par la CJUE au regard de sa jurisprudence de 2015 et 2018 (2).
(1) CJUE, 16 juin 2015, Gauweiler ; CJCE, 11 décembre 2018, Weiss.
(2) CJUE, 16 juin 2015, Gauweiler ; CJCE, 11 décembre 2018, Weiss.