Créer des quotas d'immigration (par métier et par pays) votés chaque année par le Parlement par une loi constitutionnelle
« Faire voter chaque année par le Parlement des quotas maximum de titres de séjours par pays et par métier pour sélectionner les personnes étrangères que l’on accueille et diviser par deux l’immigration et par trois le regroupement familial. Lorsque le plafond sera atteint, plus aucun visa ni titre de séjour ne seront délivrés ».
Cette proposition de Valérie Pécresse a été chiffrée dans le cadre de l’opération Présidentielle 2022 et est incluse dans le programme des Républicains pour les législatives de 2022.
Entre 2016 et 2020, la délivrance de premiers titres de séjour concerne entre 219 000 et 278 000 personnes par an. En 2020, dans 45 % des cas, ces titres étaient délivrés pour des motifs économiques ou étudiants. Les motifs familiaux concernent un tiers des titres délivrés, tandis que les motifs humanitaires représentent près de 15 % des cas.
Si une loi peut réorganiser l’immigration professionnelle et estudiantine autour de cibles quantitatives par métier ou type d’enseignements pour combler des manques, ces quotas ne pourraient s’appliquer qu’à moins de la moitié des flux d’immigration chaque année. En effet, l’immigration dite humanitaire et celle relative au regroupement familial font l’objet d’une protection constitutionnelle et conventionnelle.
L’impact de cette mesure sur les finances publiques est toutefois neutre et sans objet contrairement aux autres mesures de la candidate relatives à l’immigration et chiffrées par l’Institut Montaigne.
Impact macroéconomique / sur le pouvoir d’achat
La mesure pourrait avoir une incidence sur l’emploi, qualifié ou peu qualifié, selon les paramètres retenus par la candidate. Une immigration davantage professionnelle pourrait favoriser l’activité en France.
Historique de la mesure
Cette proposition fait suite à de nombreuses propositions similaires portées par plusieurs candidats à la primaire de la droite et du centre de 2017. Elle avait également fait l’objet d’une réflexion, non aboutie, en 2019.
La Cour des comptes a examiné cette réflexion dans le cadre de son rapport sur l’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères de mai 2020 (1). Elle rappelle à cette occasion les travaux précédemment engagés sur ce sujet tels que le rapport de 2008, Pour une politique des migrations transparente, simple et solidaire, de M. Pierre Mazeaud (2) ou la tentative ratée d’institution de quotas bilatéraux via des « accords de gestion concertée » (2006-2013).
Benchmark
Les flux migratoires dépendent en particulier des positionnements géographiques des États d’accueil, du contexte géopolitique et de la situation politique des pays à proximité, des relations internationales historiques (les couples migratoires sont courants), de l’attractivité relative des économies, etc. Les politiques migratoires établies par les États sont l’un des facteurs suscitant, accompagnant et encadrant les flux de population. Ces politiques nationales sont par ailleurs encadrées par des traités internationaux (cf. infra).
S’agissant de l’encadrement chiffré des flux migratoires, le Canada constitue un exemple de l’instauration de quotas qui comprend à la fois des cibles quantitatives et un mode de sélection des candidats sur la base de critères assis sur une cotation par points. Selon la Cour des comptes (3), ce système n’a pas pour objectif de limiter l’immigration mais de la développer à un rythme maîtrisé au regard des besoins économiques du pays. Les cibles ne portent que sur l’immigration permanente, l’immigration temporaire et étudiante n’étant pas contingentée. Le regroupement familial et la protection au titre de l’asile ne sont pas concernés.
Mise en œuvre
La mise en place de quotas doit s’apprécier au regard du cadre constitutionnel et des traités internationaux qui régissent les droits dont bénéficient les étrangers.
Aux termes de la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993 : « aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national ». L’étranger se trouve par définition dans une situation différente du national. Les étrangers hors citoyens de l’Union sont soumis, pour leur entrée et leur séjour en France, à un régime de police administrative.
Néanmoins, la Constitution et les conventions internationales ratifiées par la France limitent ce régime s’agissant des bénéficiaires de protections humanitaires et du droit à une vie familiale normale.
Concernant les premiers, l’alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946 dispose que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur le territoire de la république« . À côté de ce dispositif, dit de l’asile constitutionnel, la convention de Genève du 28 juillet 1951 définit un statut protecteur pour les réfugiés.
Par ailleurs, l’article 8 a convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance« . Cet alinéa sert de fondement au droit que détient un étranger résidant régulièrement en France d’y faire venir son conjoint et ses enfants.
Dans le respect de ces exigences constitutionnelles ou conventionnelles le législateur peut définir un cadre plus restrictif.
Une loi pourrait alors réorganiser l’immigration professionnelle et estudiantine autour de cibles quantitatives adossées à un système de sélection sur vivier. Chaque année, les cibles pourraient faire l’objet d’une révision.
Si le fait de fixer des quotas par métier ne semble pas poser de difficultés, la mise en place de quotas par zone géographique d’origine des migrants pourrait être considérée comme discriminatoire.
Il reste que ces quotas ne pourraient s’appliquer qu’à moins de la moitié des flux d’immigration chaque année (en prenant en compte l’immigration économique et les étudiants).
La délivrance des premiers titres de séjour par famille de motifs (4)
Motifs d’admission | 2016 | 2017 | 2018 | 2019 définitif | 2020 prov |
Économique | 22 982 | 27 467 | 33 675 | 39 131 | 26 583 |
Familial | 89 124 | 88 737 | 91 017 | 90 502 | 75 482 |
Étudiants | 73 644 | 80 339 | 83 700 | 90 336 | 72 306 |
Humanitaire | 29 862 | 36 429 | 34 979 | 37 851 | 30 739 |
Divers | 14 741 | 14 464 | 15 558 | 19 586 | 14 192 |
Total | 230 353 | 247 436 | 258 929 | 277 406 | 219 302 |
Dans son rapport précité, la Cour avait estimé des quotas que « compris comme des cibles quantitatives destinées à attirer des personnes durablement vers des secteurs professionnels déterminés ou disposant de qualifications particulières, ils sont susceptibles de consolider et de moderniser la politique d’immigration française dans un contexte international devenu concurrentiel ».
Il est donc peu probable qu’ils entraînent par eux-mêmes une baisse du nombre d’entrées sur le territoire, certains titres de séjour relevant de droits individuels impossibles à estimer en amont. Par ailleurs, ils pourraient être inadaptés pour réguler des séjours brefs.
(1) Cour des comptes, L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, mai 2020.
(2) P. Mazeaud, Pour une politique des migrations transparente, simple et solidaire, juillet 2008.
(3) Cour des comptes, L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, mai 2020.
(4) DGEF, juin 2021.