Tripler le plafond de la prime pouvoir d'achat
« On a mis en place depuis trois ans la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, certains l’ont affublée de mon nom, qui a eu pas mal de succès. Ce que je veux faire, c’est de pouvoir la tripler en montant et de pouvoir toujours la verser sans charge ni impôt ».
L’annonce du candidat prévoit la reconduction et le triplement du montant de prime exceptionnelle de pouvoir d’achat pouvant être distribuée. La prime ne doit pas en principe se substituer à d’autres éléments de rémunération, conduisant à un effet neutre pour les finances publiques. Cependant, l’expérience de l’année de sa mise en place, en 2019, montre qu’il y a bien effet d’aubaine dans le sens où l’attribution de la prime est corrélée avec une modération des autres composantes de la rémunération des salariés. L’effet d’aubaine est dû au caractère très intéressant de la prime tant pour les employeurs que pour les employés, en raison de son exonération totale de charges sociales et fiscales.
L’annonce de la pérennisation du dispositif, jusqu’à présent présenté comme exceptionnel et temporaire, devrait conduire les employeurs à l’utiliser massivement, et à la substituer progressivement à des éléments de rémunération poursuivant le même objectif de rémunération collective, mais davantage chargés.
Le bas de la fourchette d’estimation est obtenu en partant de l’effet d’aubaine estimé pour 2019, et en multipliant ce coût pour tenir compte d’une utilisation plus massive du dispositif et de la hausse du plafond de la prime qui a été triplé.
Le haut de la fourchette est estimé en considérant les composantes de rémunération susceptibles de faire l’objet d’une substitution : primes collectives, intéressement et augmentations salariales.
Le coût du dispositif pourrait être beaucoup plus élevé si, dans un contexte de montée de l’inflation et de pressions sur les marges des entreprises, employeurs et salariés décidaient d’utiliser le dispositif à saturation. D’éventuels dispositifs anti-abus peuvent freiner ces effets de substitution, mais deviennent de moins en moins opérants avec le temps, du fait du renouvellement des contrats de travail et des accords collectifs.
Commentaires de l’équipe de campagne
Cette proposition d’Emmanuel Macron a été chiffrée dans le cadre de l’opération Présidentielle 2022. À cet égard, l’équipe de campagne avait souligné que depuis sa mise en place il y a deux ans, la prime « Macron » n’a pas remplacé les salaires. Selon l’équipe du candidat, l’augmentation de son plafond n’aurait pas d’impact sur les finances publiques.
Impact macroéconomique
La mesure proposée est de nature à augmenter le pouvoir d’achat des salariés concernés. En renforçant le pouvoir d’achat des ménages, en particulier de ceux dont la propension marginale à consommer est la plus importante, la mesure est susceptible d’avoir des effets positifs sur l’activité économique. Néanmoins, les ménages ayant accumulé une épargne financière importante durant la crise sanitaire, l’effet net sur la consommation pourrait être faible à court terme. Le manque à gagner pour les finances publiques pose la question de son financement, notamment s’agissant des prélèvements sociaux.
L’annonce du candidat prévoit la pérennisation de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA) dite prime Macron et le triplement du plafond de son montant ; cette prime a été mise en place pour la première fois en 2019 dans le contexte des « Gilets jaunes », et reconduite chaque année depuis.
1/ Le coût du dispositif existant
La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat dite Macron mise en place en 2019 permet aux employeurs d’accorder aux salariés sous un certain niveau de revenus (une rémunération inférieure à 3 fois le Smic) une prime exceptionnelle, exonérée d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux. Il s’agit d’un versement facultatif de l’entreprise, sur une période définie dans l’année (1er trimestre) qui ne peut dépasser 1 000 euros par salarié et qui est soit uniforme, soit modulé selon une liste limitative de critères (principalement rémunération, classification et temps de présence dans l’entreprise sur l’année en cours). La prime PEPA a été reconduite, avec des variations de périmètre, en 2020, 2021 et 2022. Son montant plafond reste fixé à 1 000 euros dans le cas général, mais a été porté à 2 000 euros pour les entreprises disposant d’un accord d’intéressement, les PME de moins de 50 salariés et certaines catégories d’organisations (fondations d’utilité publique, etc.).
5 millions de salariés ont bénéficié de cette prime en 2019, puis, après sa reconduction en 2020 et 2021, respectivement 6 millions et 4 millions. En 2021, le montant total versé s’élevait à 2 Md€, soit de l’ordre de 500 euros par salarié en moyenne.
Alors que son coût prévisionnel était estimé à zéro, la prime étant conçue pour apporter une rémunération additionnelle, sans se substituer à des rémunérations existantes, une étude de l’INSEE montre qu’il y a bien eu substitution. Pour 2019, entre 15 % et 40 % des 2,2 Md€ versés en prime PEPA se seraient substitués à des rémunérations salariales habituelles. Par conséquent, on peut estimer qu’elle a représenté un coût pour les finances publiques de l’ordre de 180 à 500 M€ en 2019. Le coût annuel du dispositif aurait été proche en 2020 et 2021, les montants de prime distribués étant voisins.
2/ Le dispositif annoncé par le candidat
Le candidat a proposé de pérenniser cette prime et de tripler son plafond à compter de 2022, de de 1 000 à 3 000 euros dans le cas général. Sous réserve de précision, il est fait l’hypothèse que le champ des salariés éligibles (moins de 3 Smic) serait inchangé, et que le triplement du plafond s’appliquerait au montant de 2 000 euros pour les employeurs concernés.
En première approximation, le nouveau dispositif devrait voir son coût multiplié par 9 par rapport à l’existant, soit une fourchette de coûts comprise entre 1,6 Md€ et 4,5 Md€ par an. En effet, le taux de couverture, de l’ordre de 33 % des salariés sous trois Smic, devrait logiquement passer à 100 % si le dispositif est pérennisé. Par ailleurs, le montant du plafond étant multiplié par 3, le montant moyen des primes devrait être multiplié en proportion.
Le coût pourrait être rendu plus important dans la mesure où le dispositif serait désormais pérennisé et donc intégré dans les comportements de fixation de rémunération au sein des entreprises. Pour mémoire, au cours des trois années précédentes, le dispositif avait été chaque fois précisé en tout début d’année, et présenté comme temporaire et exceptionnel (comme l’indique son nom). D’une part, la totalité des entreprises devraient progressivement s’emparer du dispositif. D’autre part, des mécanismes de substitution aux salaires devraient accompagner la hausse des montants, permise par la hausse du plafond ; en effet, au fil des années, employeurs et entreprises sont amenés à ajuster ou renouveler les contrats de travail, notamment au moment d’un changement d’entreprises ainsi que les accords collectifs de rémunération ; certaines composantes de rémunérations sont par ailleurs de nature variables et ajustables sans délais.
En raison de son caractère particulièrement attractif à la fois pour les salariés et les entreprises (exonération de toutes les charges sociales et impôts), le dispositif annoncé est susceptible de se substituer progressivement à d’autres formes de rémunération poursuivant des objectifs similaires de rémunération collective facultative, mais d’avantages chargés ou contraignants :
- l’intéressement, soumis au forfait social pour les entreprises de plus de 250 salariés, et à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales (sauf cas de blocage sur un plan d’épargne), qui représentait environ 9 Md€ en 2018 pour les entreprises de plus de 10 salariés ; la prime aurait par ailleurs l’avantage de pouvoir être versée unilatéralement par l’employeur (alors que l’intéressement est soumis à un accord d’entreprise, qui doit être validée par l’Urssaf, et régi par une formule de calcul bien définie) ;
- les primes de performance collective qui représentaient environ 3,2 Md€ en 2018 pour les entreprises de plus de 10 salariés, et qui sont soumises aux cotisations salariales et patronales habituelles.
Au total ces deux dispositifs représentent environ 12 Md€ pour 13 M d’ETP travaillant dans des entreprises de moins de 10 salariés. Ramené à l’ensemble des entreprises, cela représente un montant total de rémunérations substituables de 15 Md€ pour près de 17 M d’ETP.
La substitution de la prime aux salaires est moins évidente, du point de vue du salarié, dans la mesure où elle ne donne pas les mêmes avantages en matière d’accès au logement ou au crédit, ni en droit à retraite ; néanmoins, la PEPA a l’avantage de ne pas entrer dans le calcul du plafond de ressource de la prime d’activité, contrairement aux salaires ; de la même façon, la PEPA n’est pas prise en compte dans le calcul des allègements de cotisations employeurs. Par conséquent, il est fait l’hypothèse que la prime se substituerait à la rémunération de base pour un quantum d’environ 1 %, soit 5 Md€, ce qui est sans doute une hypothèse basse eu égard aux avantages procurés par le dispositif.
Sur ce total de 20 Md€, il faut retirer les rémunérations des salariés non concernés par la PEPA car rémunérés à plus de 3 Smic (2 Md€).
Au total, le montant de rémunération qui ferait l’objet d’une substitution sous forme de PEPA serait voisin de 18 Md€ dont la moitié d’intéressement (pour une grande part soumise au forfait social et aux contributions sociales) et l’autre moitié de primes et de salaires (soumises aux cotisations salariales et patronales et à l’IR). Ce montant de 18 Md€ correspondrait à une prime moyenne de l’ordre de 1 200 euros par salarié, soit bien en dessous du plafond de 3 000 euros. En différenciant le taux de prélèvement appliqué entre intéressement d’une part (30 % en moyenne) et salaires et primes (70 % en moyenne), le manque à gagner en recettes publiques s’élèverait à 10 Md€. Ce manque à gagner constitue sans doute une estimation haute du coût du dispositif, sous réserve d’effets de substitution plus forts au niveau des salaires.
Ce chiffrage est entouré d’incertitudes dans la mesure où les comportements des agents ne sont pas connus à l’avance. D’une part, si la mise en place de dispositifs anti-abus pourrait limiter l’effet de substitution à court terme, ce serait plus difficilement le cas à horizon cinq ans, du fait du renouvellement des contrats et des accords collectifs. D’autre part, dans un contexte d’inflation élevée, l’intérêt pour une prime déchargée et défiscalisée en substitution aux salaires pourrait encore augmenter tant pour les employés que pour les employeurs.
Historique de la mesure
La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat a été mise en place en 2019, puis reconduite en 2020 puis en 2021 par l’article 4 de la loi de finances rectificative n° 2021-953 du 19 juillet 2021 publiée au journal officiel le 20 juillet 2021. À l’origine plafonnée à 1 000 euros et réservée aux entreprises ayant un dispositif d’intéressement, ou le mettant en place, elle a été élargie dans le contexte de la crise sanitaire pour couvrir toutes les entreprises. Le montant de la prime est désormais plafonné à 1 000 euros et bénéficie à toutes les entreprises. Ce montant peut doubler et atteindre 2 000 euros dans certains cas : si l’entreprise dispose d’un accord d’intéressement, comprend moins de 50 salariés, ou pour les salariés engagés dans la crise Covid.
Benchmark
Des primes exceptionnelles non fiscalisées ont également été mises en place dans certains pays, en particulier dans le contexte de la crise sanitaire. Par exemple en Allemagne, les employeurs peuvent accorder à leurs salariés des primes exceptionnelles d’un montant maximum de 1 500 euros, exonérées d’impôts et de charges sociales. Un dispositif similaire existe en Belgique (500 euros).
Mise en œuvre
Cette mesure requiert l’adoption d’une loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Le manque à gagner pour les finances publiques, notamment pour la sécurité sociale, posera progressivement la question de ressources de substitution.