« Création d’un revenu étudiant à hauteur de 850€ minimum pour tous les étudiants. »
Fabien Roussel propose de créer un revenu étudiant, d’un montant de 850€ minimum et pouvant aller jusqu’à 1 000€ selon les situations. Ce revenu mensuel serait versé à tous les étudiants, sans conditions de ressources (1).
Par « étudiant », on entend toute personne inscrite dans une formation post-bac, la proposition du candidat ne mentionnant pas de limite d’âge (25 ans par exemple). Selon les données du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI), les effectifs d’étudiants (toutes formations confondues) s’élevaient à 2 894 500 à la rentrée 2020.
Trois scénarios sont retenus :
- Dans le premier scénario (scénario « de base »), un revenu de 850€ par mois est versé à tous les étudiants, pour un coût annuel de 29,5 Md€, auxquels on retire le montant des bourses versées, soit 27,3 Md€.
Les deux scénarios suivants distinguent entre les étudiants les plus modestes et les autres, les premiers se voyant octroyer un revenu plus élevé, à hauteur de 100€ par mois :
- Dans le deuxième scénario, un revenu de 1 000€ mensuels est versé aux étudiants vivant en-dessous du seuil de pauvreté à 60 %, soit 20,8 % des étudiants. Les autres touchent un revenu de 850€ par mois. Le coût annuel de la mesure est de 30,6 Md€, auxquels on retire le montant des bourses versées, soit 28,4 Md€.
- Dans le troisième scénario, le revenu majoré est accordé à tous les étudiants bénéficiant d’une aide sociale du MESRI (bourse sur critères sociaux ou aide ponctuelle/d’urgence), soit 745 083 étudiants. Les autres étudiants touchent 850€ par mois. Le coût de la mesure est alors de 30,9 Md€ par an.
Impact macroéconomique
Un revenu étudiant d’un montant de 850€ à 1 000€ aurait deux conséquences :
D’une part, cette allocation permet de réduire la pauvreté monétaire des jeunes. Ainsi, d’après le Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, la mise en place d’un revenu de base pour les jeunes de 18 à 24 ans – pour un coût estimé entre 5 et 7 Md€ pour des montants d’aide entre 340 et 565€ pour 31 % des jeunes – réduirait ainsi la pauvreté monétaire (2).
D’autre part, ce revenu pourrait entraîner un allongement de la durée d’études ou de formation des jeunes et ainsi modifier les taux d’activité des 18-24 ans, voire au-delà. Le fait de retarder l’entrée sur le marché du travail aurait un effet négatif à court-terme sur le taux d’activité (taux d’activité plus faible pour les 18-24 ans) mais positif à long terme sur les fondamentaux de l’économie et notamment la croissance potentielle (élévation des qualifications de la main-d’œuvre, réduction des NEETs).
À l’inverse, l’attribution d’un revenu étudiant sans contrepartie correspondrait à un revenu universel : il suffirait de s’inscrire dans une filière universitaire pour se voir accorder au moins 850€ par mois, ce qui nuirait à l’incitation à la réussite des études et, ensuite, à la prise de poste de travail à moyen terme.
Le chiffrage est rendu complexe par le manque de précision de la proposition sur la question de la fiscalité et surtout, sur la condition de ressources qui conditionne le montant du revenu (850€, 1 000€ ou un montant intermédiaire).
Par « étudiant », on entend toute personne inscrite dans une formation post-bac, la proposition du candidat ne mentionnant pas de limite d’âge (25 ans par exemple), à la différence de celle de Jean Luc Mélenchon. On exclut donc les lycéens de l’enseignement professionnel, qui ne sont pas considérés comme « étudiants ».
Scénario de base : une allocation de 850€ par mois pour tous les étudiants.
Les effectifs d’étudiants toutes formations confondues (universités, CPGE, STS, écoles de commerce, d’ingénieurs…) s’élèvent à 2 894 500 à la rentrée 2020 (3).
Dans l’hypothèse de base où un revenu de 850€ par mois serait versé à tous, le coût de la mesure serait de 850 * 12 * 2 894 500 = 29,5 Md€ par an.
Scénario 2 : allocation de 1 000€ par mois pour les étudiants vivant en-dessous du seuil de pauvreté (à 60 % du revenu médian) et de 850€ pour les autres
Ce scénario retient un objectif plus prononcé de lutte contre la précarité des étudiants :
- La population concernée est la même que dans le scénario de base ci-dessus (2 894 500 étudiants) ;
- Le taux de pauvreté des élèves et étudiants en 2016 est de 20,8 % (4);
- En considérant que ce taux est le même pour les seuls étudiants, le nombre de personnes concernées par le revenu « majoré » de 1 000€ est donc de 20,8 % * 2 894 500 = 602 056 étudiants.
Le coût de la mesure se décomposerait comme suit :
Revenu (a) | 850€ | 1 000€ |
Nombre d’étudiants concernés (b) | 2 894 500 – 602 056 = 2 292 444 | 602 056 |
Coût (a*b*12), en Md€ | 23,4 | 7,2 |
La mesure coûterait au total 23,4 + 7,2 = 30,6 Md€.
Scénario 3 : allocation de 1 000€ par mois pour les étudiants bénéficiant déjà d’une aide de l’État au titre de l’action sociale en faveur des étudiants, et de 850€ pour les autres
Pour l’année universitaire 2018 – 2019, 745 083 étudiants ont perçu une aide du MESRI au titre de l’action sociale (5) (bourse sur critères sociaux ou aide ponctuelle), contre 818 257 étudiants pour l’année 2019 – 2020 (ces derniers ayant été particulièrement touchés par les effets de la crise sanitaire).
En retenant les données 2018 – 2019, plus proches d’un rythme de croisière, le coût de la mesure serait de 30,9 Md€, décomposé comme suit :
Revenu (a) | 850€ | 1 000€ |
Nombre d’étudiants concernés (b) | 2 894 500 – 745 083 = 2 149 417 | 745 083 |
Coût (a*b*12), en Md€ | 21,92 | 8,94 |
La question des bourses
La façon dont cette allocation serait articulée avec les aides financières dont les jeunes bénéficient déjà (aides au logement, bourses, prestations familiales et avantages fiscaux en direction des familles pour les jeunes majeurs) n’est pas évoquée. La suppression éventuelle de certaines d’entre elles diminuerait le coût net de la mesure. Ainsi, la suppression des bourses sur critères sociaux représenterait une moindre dépense de 2,2 Md€ en 2021 (6). Les bourses ne sont pas maintenues dans les scénarios bas et médian du chiffrage.
Au-delà des bourses, de nombreuses allocations pourraient être remises en cause avec cette aide. Par exemple, les APL ou le RSA jeunes pourraient être supprimées en tout ou partie pour les étudiants. Dans cette fiche, il n’est cependant pas retenu ce type d’hypothèse.
La question se pose également des prélèvements obligatoires sur ce revenu :
- S’agissant des prélèvements sociaux, le candidat ne précise pas si ces 850 € ou 1 000 € correspondent à un montant net ou brut. Dans ce second cas, le coût de la mesure pour les finances publiques sera diminué a minima du montant des prélèvements sociaux à la charge du salarié, soit 17,0 % du revenu étudiant (9,2 % de CSG, 0,5 % de CRDS et 7,3 % de cotisation à l’assurance vieillesse (7)).
Dans le scénario de base, ces derniers s’élèveraient à 29,5 * 17 % = 5,02 Md€. Le chiffrage bas intègre de tels prélèvements sociaux (8).
Dans le scénario 2 (médian) et à titre d’information, s’ils étaient appliqués, le montant des prélèvements sociaux s’élèverait à 30,6 * 17,0 % = 5,20 Md€ mais ceux-ci ne sont pas intégrés dans le chiffrage. En effet, les prélèvements sociaux ne s’appliquent usuellement pas aux bourses.
Dans le scénario 3 (haut) et à titre d’information, s’ils étaient appliqués, le montant des prélèvements sociaux (qui ne sont pas non plus intégrés au chiffrage) s’élèverait à 30,9 Md€ * 17,0 % = 5,25 Md€.
À noter que dans les deux cas, le produit des prélèvements sociaux reviendrait au budget des administrations de sécurité sociale alors que la mesure serait financée par le budget de l’État.
- S’agissant de l’impôt sur le revenu, il est probable qu’une proportion importante d’étudiants soit rattachée au foyer fiscal de leurs parents (9). En particulier, 65 % des jeunes de 18 à 24 ans vivent aujourd’hui chez leurs parents et sont donc potentiellement rattachés à leur foyer fiscal. Toutefois, les contribuables touchant 850€ ou 1 000€ par mois n’étant pas soumis à l’impôt sur le revenu, on peut supposer en première approximation que les étudiants concernés quitteraient le foyer fiscal de leurs parents. Le revenu étudiant ne serait donc pas imposable à l’impôt sur le revenu. En revanche, les données manquent pour estimer l’impact du départ des étudiants du foyer fiscal de leurs parents sur l’imposition de ces derniers (via la perte d’une demi-part fiscale notamment).
Difficulté / aléas du chiffrage
Les aléas et difficultés de chiffrage sont significatifs, en raison du manque d’informations concernant de nombreux pans de la mesure. En particulier, la suppression de certaines allocations et aides d’une part et le degré du caractère imposable de cette nouvelle allocation ne sont pas déterminés dans la mesure alors que les effets d’un tel degré d’imposition sont importants.
Historique de la mesure
Une telle allocation d’autonomie destinée aux jeunes avait déjà été proposée à l’occasion de différents rapports ou promues par des groupes d’intérêts :
- L’UNEF soutient depuis longtemps une allocation d’autonomie pour tous les étudiants ;
- Terra Nova en 2011 proposait un capital formation de 460€ par mois pendant 3 ans pour tous les étudiants ou adultes en formation continue ;
- Le rapport Sirugue (10) proposait en 2016 d’ouvrir le RSA aux moins de 25 ans.
Plus récemment, le comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté (rapport précité) a préconisé en 2021 d’expérimenter un revenu de base pour les jeunes de 18 à 24 ans les plus démunis quel que soit leur statut (étudiant, emploi). Ce revenu serait attribué selon les ressources familiales et celles de l’intéressé en intégrant, pour les seuls étudiants, le système de bourses. Le coût du dispositif était estimé entre 5 et 7 Md€ par an pour des allocations moins importantes (de 340 à 565€ par mois).
Enfin, le candidat Jean Luc Mélenchon a inscrit une mesure proche à son programme : une allocation d’autonomie de 1 063€ pour les jeunes de 18 à 25 ans, d’une durée de trois ans, sous réserve d’une formation qualifiante – à l’université ou en lycée professionnel – et sous conditions de ressources – notamment si ceux-ci ne sont plus rattachés au foyer fiscal de leurs parents.
Benchmark
Le Danemark a mis en place à partir des années 1970 un système d’aide aux étudiants pour favoriser leur autonomie. Il s’agit d’un système universel et défamiliarisé. L’aide est octroyée à tout étudiant de plus de 18 ans sans limite d’âge pendant 70 mois. Le barème dépend des ressources financières de l’étudiant, de son assiduité, mais est indépendante de celles des parents. L’aide versée est située entre 600 et 1000€. À condition d’avancer dans leur cursus et de ne recevoir aucune autre aide publique, les étudiants sont libres d’utiliser ces montants comme ils le souhaitent tout au long de leur vie, ce qui permet de financer une éventuelle reconversion professionnelle, même à un âge avancé. Les étudiants suivant un cursus d’enseignement technique reçoivent des bourses sans date limite ni contrainte d’utilisation, mais le montant de cette bourse est conditionné lors des deux premières années aux ressources familiales.
Le fait que le revenu de solidarité active (RSA) ne soit ouvert qu’à partir de 25 ans est une spécificité française : la France fait partie des six États membres de l’Union européenne qui n’ouvrent pas l’accès au minima social servant de revenu minimum garanti à l’âge de la majorité, considérant que la solidarité familiale s’exerce entre la majorité et un âge plus avancé où la solidarité nationale prend alors le relais. Ainsi, en Espagne comme en France, c’est la solidarité familiale qui est supposée venir au soutien des jeunes : en Espagne, l’âge minimal pour être éligible au revenu minimum est de 23 ans, hors parentalité.
Ailleurs, le revenu minimum est généralement ouvert aux jeunes dès leur majorité, dès lors qu’ils vivent en dehors du foyer parental et qu’ils ne sont pas étudiants (Allemagne, Autriche, Irlande, Portugal, Royaume-Uni), ou dès lors que leurs propres ressources sont en-dessous d’un plafond, même s’ils habitent avec leurs parents (Danemark, Finlande, Pays-Bas). Pour la France, au-delà des jeunes éligibles à la Garantie jeunes, le nombre supplémentaire d’allocataires potentiels entre 18 et 24 ans serait compris entre 1,7 et 2,4 millions selon la Cour des comptes (11).
Mise en œuvre
Si l’État met en place un tel mécanisme, il sera nécessairement inscrit au sein d’une loi financière.
(1) France Inter, 22 février 2022.
(2) Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté – rapport 2021.
(3) Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, décembre 2021.
(4) INSEE, enquête Revenu, niveau de vie et pauvreté en 2016, décembre 2018, Taux de pauvreté selon la catégorie socioprofessionnelle détaillé.
(5) Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, État de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France (n° 14 – 2021).
(6) PLF 2021 – budget du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche – dossier de presse.
(7) URSSAF.
(8) Pour information, les prélèvements sociaux ne s’appliquent usuellement pas aux bourses.
(9) INSEE, Depuis 2000, la part des 18-29 ans habitant chez leurs parents augmente à nouveau.
(10) Christophe Sirugue, Repenser les minima sociaux – Vers une couverture socle commune, 2016.
(11) Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022, p. 15.