« L’idée est de réussir à l’échelle d’un territoire à mettre en commun tous les savoir-faire : de Pôle emploi, de nos régions, des communes, des missions locales. Il y a une trop grande segmentation de ceux qui accompagnent le retour à l’emploi »
Emmanuel Macron, conférence de presse de présentation du programme.
« Atteindre le plein emploi et mieux vivre de son travail. Pôle emploi transformé en « France Travail » par la mise en commun des forces de l’État, des régions, des départements et des communes. »
La mesure proposée consiste à mettre en place un guichet unique pour toute personne vivant en marge du monde professionnel, afin de faciliter son retour vers l’emploi. Ceci passerait notamment par des instances de coordination locale entre les différents acteurs du système (Pôle Emploi, missions locales, Départements, Régions) qui viendraient renforcer les coopérations existantes.
Cela s’inscrirait dans la continuité de l’initiative SPIE (service public de l’insertion et de l’emploi) initiée en 2018 et qui entend déjà améliorer l’accompagnement des personnes ciblées par une meilleure coordination des acteurs.
À ce titre, à court-terme, la concrétisation d’une telle mesure impliquerait des investissements estimés à 400 M€ sur cinq ans. En particulier, serait nécessaire :
- une mise niveau des systèmes informatiques et une amélioration de leurs interconnections
- un investissement dans les ressources humaines avec la réorganisation et le renforcement du management au niveau local, la formation des agents pour améliorer leur connaissance de l’écosystème et de nouvelles procédures, la mise en place d’instances de gouvernance locale
- une refonte de la marque et des procédures internes qui pourraient impliquer un accompagnement par des tiers extérieurs.
Des économies peuvent toutefois être espérées à moyen-terme, grâce à des synergies (difficilement quantifiables pour l’heure) entre structures qu’il s’agisse de mutualisation des moyens informatiques et des locaux, de procédures simplifiées ou de postes en doublon supprimés. Ces améliorations pourraient aussi profiter aux usagers grâce à une information de meilleure qualité, un suivi plus adapté, et, in fine, un retour à l’emploi facilité. À plus long-terme, si la mesure porte ses fruits, une baisse des prestations sociales et une hausse des recettes peuvent être espérées grâce à une baisse du chômage, bien qu’il soit difficile d’isoler l’effet de cette seule mesure de réorganisation en particulier dans le paquet global envisagé par le candidat en la matière et des mesures déjà mises en œuvre.
Toutefois, une telle réorganisation emporte également des risques non-négligeables liés au processus de transformation qui pourraient mettre en péril la réforme, comme cela a pu être le cas dans des transformations récentes de structures publiques ou d’entreprises. Se poseraient notamment des risques RH (cultures de travail éloignées, grilles de travail et statuts différents, tensions sociales), des risques organisationnels (tutelles diverses avec des objectifs différents) ou en encore des risques opérationnels, en particulier en matière de systèmes d’information.
Impact macroéconomique
L’objectif de la mesure serait de contribuer, d’un point de vue organisationnel, à l’atteinte du plein emploi, ceci dans le cadre d’un ensemble de réformes (adaptation de l’assurance chômage au cycle économique, réforme du RSA, etc.) La réorganisation des services viserait notamment à améliorer l’information des demandeurs d’emploi et des entreprises, à faciliter l’appariement et la mobilité professionnelle, et à réduire les frictions dues à un manque d’information.
Le retour au plein emploi aurait un impact macroéconomique conséquent puisqu’elle impliquerait avant tout une hausse des revenus et du pouvoir d’achat pour les actifs concernés, et donc une hausse du niveau d’activité globale, ceci à condition que les emplois créés soient davantage des contrats à durée indéterminée que des emplois intérimaires ou de courte durée. Cela signifierait également que le chômage structurel décroît et que certaines des personnes les plus éloignées de l’emploi retrouvent un travail.
Une baisse du chômage pourrait se traduire d’un côté, par des besoins de recrutement des entreprises satisfaits, grâce à de meilleures formations et un meilleur appariement entre offre et demande de travail ; et d’un autre côté, par une tension accrue sur le marché du travail du fait de difficultés de recrutement plus importantes.
De tels effets sont ainsi susceptibles de soutenir la croissance potentielle de l’économie française.
Le candidat souhaite mettre en place un guichet unique, s’adressant à toute personne vivant en marge du monde professionnel, qu’elle soit inscrite à Pôle Emploi ou non. Cela se traduirait par un accompagnement vers le retour au travail simplifié, assorti de bilans de compétence et de formations, dans l’objectif de parvenir au plein emploi. Des instances locales réuniraient les différents acteurs afin de mettre fin afin de mettre fin aux « silos ».
Le constat de départ est celui d’un système où les quatre fonctions (indemnisation, aide à la reprise de travail, formation, action sociale) sont assurées par des acteurs différents sans réelle coordination : Pôle Emploi, missions locales, conseils départementaux et régionaux.
- Pôle Emploi (55 000 salariés en 2021, 5,5 Md€ de ressources) est le service public de l’emploi, chargé de faciliter le retour à l’emploi des chômeurs (accueil, information, recherche et formation, mais aussi indemnisation) mais aussi de collecter les offres des entreprises et de les conseiller ou mettre en relation pour leur recrutement.
- Les missions locales (436 missions, 6 800 sites, 13 600 agents) accompagnent chaque année 1,1 millions de jeunes de 16 à 25 ans en difficulté dans leur insertion professionnelle et sociale. Elles ont une approche globale de l’insertion (emploi, formation, orientation, mobilité, logement, santé, etc.). Elles disposent d’un partenariat renforcé avec Pôle Emploi et d’un réseau régional et national.
- Les conseils départementaux gèrent les prestations légales d’aide sociale comme le revenu de solidarité active (RSA). Dans ce cadre, ils accompagnent les bénéficiaires dans leurs démarches d’insertion, financent des associations conventionnées, mobilisent des agents.
- Les conseils régionaux agissent essentiellement à travers la formation professionnelle en coordonnant les politiques de formation professionnelle, tout en ayant la compétence de développement économique.
À cela s’ajoutent l’action des centres communaux d’actions sociale (CCAS), l’intervention de la CAF et de la MSA dans le versement des aides ou encore les différentes associations effectuant de l’accompagnement.
La mesure proposée par le candidat pourrait à renforcer la dynamique déjà instaurée dans le cadre du SPIE (cf. infra), qui améliore la coordination entre acteurs pour un meilleur accompagnement des personnes ciblées, à travers l’instauration d’un consortium d’acteurs au niveau départemental puis des bassins d’emplois. Le soutien de l’État s’établit à 80 M€ en 2021-22 (mise en œuvre des projets pour 30 M€, investissements dans le numérique pour 50 M€).
À court-terme, une telle mesure aurait un coût lié à la mise en œuvre du projet et aux réorganisations induites, qui peut être estimé à près de 400 M€ sur cinq ans, avec :
Une mise à niveau et interconnexion des systèmes informatiques pourrait être nécessaire afin d’améliorer la coordination des différentes structures. En se fondant sur les 50 M€ budgétés sur deux ans pour le SPIE, cela pourrait représenter une dépense additionnelle de 125 M€ en considérant que l’investissement doive être maintenu durant les cinq ans ;
Un investissement dans les ressources humaines serait indispensable avec :
- Une réorganisation du management, assortie de formations et de recrutements. À raison de dix personnes recrutées en moyenne pour assurer spécifiquement cette coordination dans chacun des 100 territoires identifiés dans le SPIE, et d’un salaire mensuel de 4 000€ bruts, cela pourrait représenter un coût annuel de 48 M€ pour les employeurs publics ;
- Des formations des agents pour améliorer la compréhension du fonctionnement du système et des procédures. Sur la base de 70 000 agents recevant une formation de 10 heures chacun à 30€/heure, cela pourrait représenter une dépense de 21 M€ ;
- La mise en place d’instances de gouvernance locale. Toutefois, le candidat ne précise pas la forme que pourrait prendre cette coordination, entre une simple « connexion » des systèmes informatiques avec une instance locale chapeautant les différents acteurs (ex : une commission ad hoc) ou bien si une nouvelle structure serait mise en place avec des effectifs dédiés, qui s’avérerait beaucoup plus coûteuse. À titre de comparaison, les MDPH qui assurent une mission de coordination entre acteurs locaux, instruisent 4,5 millions de demandes en moyenne et disposaient de moyens autonomes (5 300 agents environ), ont un budget annuel de 310 M€ en 2019. Mais ces ressources pourraient provenir des institutions déjà en place, sans susciter de coût supplémentaires.
Les locaux des entités existantes seraient conservés sans nécessiter d’investissements importants à court-terme.
La refonte de la marque et de procédures internes pourraient être sources de coûts, et nécessiter un accompagnement par des tiers spécialisées dans la transformation d’organisation.
Au total, sur cette base, on retient le chiffre de 400 M€ sur 5 ans soit 80 M€ par an, principalement sous forme d’investissements en services numériques et en formation.
À moyen-terme, des économies peuvent être espérées pour l’administration grâce à des synergies et des gains de productivité. Cela pourrait relever d’une mutualisation des moyens informatiques et de locaux, mais aussi de suppression de doublons entre structures ou bien encore de procédures simplifiées et accélérées. Ces synergies sont incertaines et difficilement quantifiables en avance de phase, le rapprochement entre l’ANPE et les Assédic n’ayant ainsi pas entraîné de réduction d’effectifs.
Les demandeurs d’emplois et personnes concernées pourraient également bénéficier d’améliorations notables dans les prestations dispensées qu’il s’agisse de qualité du service, d’une information améliorée, d’un suivi plus adapté, et in fine, d’un retour à l’emploi facilité. À long-terme, si la mesure porte ses fruits et parvient ainsi à améliorer le suivi et l’insertion des demandeurs d’emploi, une baisse des prestations sociales (RSA, allocation chômage) et une hausse des recettes (cotisations sociales, impôt sur le revenu, TVA) peuvent être espérées grâce à une baisse du chômage, bien qu’il soit difficile d’isoler l’effet d’une mesure dans le paquet global envisagé par le candidat en la matière.
Cependant, une telle réorganisation emporte également des risques non-négligeables, observés dans des transformations et rapprochements précédents de structures publiques, qui peuvent faire échouer ou retarder la réforme. L’hétérogénéité des entités concernées (associations, opérateurs publics, collectivités) est susceptible de faire se confronter des cultures de travail différentes, d’induire des conflits entre tutelles aux objectifs et fonctionnement différents, mais aussi de susciter des revendications salariales pour une harmonisation vers le haut des rémunérations. La création de Pôle Emploi s’était ainsi assortie de tensions sociales. En outre, des questions opérationnelles se posent avec des risques conséquents par exemple, en matière de modernisation et rapprochement des systèmes informatiques, comme a pu le montrer la longue intégration du RSI au régime général de la Sécurité sociale.
Historique de la mesure
Pôle Emploi, créé en 2008 à l’initiative de Nicolas Sarkozy, résulte du rapprochement du réseau des Assédic et de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), afin d’unifier versement des prestations chômage et gestion des offres et demandes d’emploi. Le rapprochement ne s’est pas fait sans difficultés compte tenu de cultures internes et de statuts différents.
Les vagues de recrutement successives ainsi que les augmentations de moyens sont venues aplanir les obstacles rencontrés (+10 % de masse salariale entre 2012 et 2018, vagues de recrutement en 2013 et 2014, revalorisation de la grille de rémunération, recrutement de 1 000 agents annoncé en 2019, embauche de 3 000 à 5 000 personnes en CDD en 2020-21 dans le cadre du plan de relance, etc.), limitant les éventuelles économies d’échelle attendues initialement.
Dans le cadre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, le Gouvernement a par ailleurs lancé en 2018 le service public de l’insertion et de l’emploi (SPIE). L’objectif est que toutes les structures intervenant dans le parcours vers l’emploi se coordonnent et simplifient les démarches, avec un parcours d’accompagnement personnalisé et levant les difficultés d’insertion. Ce dispositif est en cours de déploiement avec 79 territoires concernés depuis février 2022.
Mise en œuvre
Une telle mesure nécessiterait de passer par un texte législatif, puis des textes d’application (décrets, arrêtés).
Toutefois, la réussite du projet et de sa mise en œuvre implique une attention soutenue sur :
- La phase de concertation en amont du projet de loi, avec les partenaires sociaux, les partenaires institutionnels impliqués dans le projet (missions locales, collectivités) et les représentants des usagers pour faire converger les vues sur les besoins et enjeux, et prévenir d’éventuels blocages ;
- Une phase préparatoire et de transition pour ne pas se heurter aux difficultés rencontrées aux débuts de Pôle Emploi qu’il s’agisse de systèmes informatiques, de ressources humaines (recrutements, culture d’entreprise, etc.), de communication entre structures, avec notamment une phase de revue des procédures
La mise en œuvre sera complexe puisque cela implique des effectifs nombreux et des masses financières conséquentes, pour un service public sensible, dont les dysfonctionnements peuvent être fortement médiatisés.