« Dans le programme d’Emmanuel Macron il y aura la proposition d’allonger l’âge de départ à la retraite et de le passer progressivement à 65 ans […]. C’est une réforme […] aussi de justice, avec un minimum retraite à 1 100€ pour ceux qui ont fait une carrière complète ».
Emmanuel Macron propose de relever l’âge de départ à la retraite à 65 ans progressivement en neuf ans, à horizon 2032, tout en mettant en place des exemptions afin de prendre en compte la pénibilité et les carrières longues. Elle prévoit également une revalorisation des retraites les plus modestes à 1 100€ par une revalorisation importante du minimum contributif, permettant un minimum de retraite pour une carrière complète. Cette mesure prendrait également en compte les questions de travailleurs « victimes de l’usure professionnelle » puissent partir à 62 ans, et les travailleurs handicapés à 55 ans. Enfin, les régimes spéciaux seront supprimés uniquement pour les nouveaux entrants à partir de 2023.
Le gain envisagé par la réforme peut être approché en calculant le gain de recettes issues de nouvelles cotisations versées par les actifs continuant à travailler ainsi que les moindres dépenses issues des pensions non versées à ces derniers. Les expériences françaises et européennes du relèvement de l’âge légal de départ à la retraite montrent que ces réformes ont un effet fort sur l’équilibre financier du système de retraite, résidant principalement dans la baisse du volume des pensions versées en raison d’une cessation d’activité retardée plutôt que sur la hausse des cotisations. Ce gain serait estimé, pour le scénario médian, à 20,7 Md€ à horizon 2032.
Ce gain serait en revanche réduit par les exemptions pour les travailleurs « victimes de l’usure professionnelle« , actuellement bénéficiaires des dispositifs de carrière longue, ainsi que les travailleurs handicapés dont le départ serait fixé à 55 ans. Ces deux exemptions occasionneraient des moindres dépenses de 1,5 Md€. Il n’est pas intégré de mesures supplémentaires concernant la pénibilité dans le scénario médian.
La suppression des régimes spéciaux permettra de générer, à très long terme, de l’ordre de 5,3 Md€ d’économies supplémentaires (en € de 2017). Ces 5,3 Md€ ne sont donc pas pris en compte dans ce chiffrage.
Le chiffrage documente ici uniquement le coût de la mesure pour les régimes de retraite, sans s’intéresser aux effets de substitution avec le régime du chômage – le chiffrage ne regarde que l’effet d’éviction sur les prestations sociales. Ainsi, selon la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES), la situation principale d’activité au cours de l’année précédant la liquidation des droits à retraite pour la génération 1946 est de 58 % en emploi, 3 % en préretraite, 7 % en maladie ou invalidité et 19 % au chômage – 13 % étaient déjà inactifs (1).
Cependant, cette méthode ne prend pas en compte l’effet du bouclage économique d’une telle réforme. Pour la Direction générale du Trésor (2), une réforme de l’âge de départ engendre la création d’emplois, avec un surcroît de PIB qui génère à son tour des recettes supplémentaires pour les administrations publiques (cotisations sociales, impôts). Cette hausse de recettes est largement supérieure au surcroît de dépense sur les autres risques (hausse des prestations versées en chômage, maladie et invalidité, minima sociaux) (3).
En prenant en compte la revalorisation du minimum contributif, un scénario médian évalue la mesure à 18,0 Md€ par an à compter de 2032, l’année d’entrée en vigueur pleine et complète de la réforme. En revanche, en regardant les économies réalisées annuellement en 2027 – la fin du prochain quinquennat – le montant d’économie serait plutôt proche de 7,7 Md€, et compris dans une fourchette entre 6,1 et 10,0 Md€. Cette estimation prend en compte une revalorisation du minimum vieillesse de 18 % permettant d’atteindre pour les bénéficiaires d’une carrière complète une pension de 1 100€/mois en moyenne dès 2023.
Commentaires de l’équipe de campagne
Contactée, l’équipe de campagne du candidat estime qu’à l’horizon 2027, « les économies générées seraient de l’ordre de 9 Md€ en 2027 (et entre 11 et 12 Md€ à terme) en tenant compte des gains sur le report de l’âge en dépenses et en recettes (y compris effet PIB) et des mesures de compensations (maintien de 62 ans pour carrière longues, invalides, usure professionnelle + minimum de pension à 1100 euros)« .
L’équipe précise par ailleurs qu’un « dispositif carrière longue plus large protègera ceux qui ont commencé tôt leur carrière et ont une carrière complète dès 62 ans, pour qu’ils puissent partir à 62 ans. De même, les personnes en invalidité ou qui seront reconnues inaptes pourront toujours partir à 62 ans« .
Impact macroéconomique / sur le pouvoir d’achat
L’impact macroéconomique de la mesure serait probablement positif.
D’une part, du point de vue de l’offre, la mesure augmenterait la population active et augmenterait donc le potentiel de l’économie. Une telle réforme pourrait avoir pour effet d’améliorer l’emploi des seniors, pour laquelle la France demeure en retard sur ses homologues européens. Elle devra en revanche prendre en compte les effets adverses avec le risque de hausse du chômage des seniors.
D’autre part, du point de vue de la demande, la mesure augmenterait le revenu disponible des ménages par une augmentation des revenus issus de l’activité. Elle augmenterait également le pouvoir d’achat des personnes concernées par un report de l’âge légal dès lors que ces dernières continueraient d’avoir un salaire pendant la durée de travail supplémentaire.
(1) DREES, Les retraités et les retraites, édition 2021, p. 169.
(2) DG Trésor, Effets d’une mesure d’âge sur le solde des administrations publiques, janvier 2022.
(3) L’OFCE ne retrouve pas les mêmes résultats à court et moyen termes avec leur modèle (Les effets macroéconomiques de leviers possibles de redressement des comptes sociaux -10 variantes à partir du modèle e-mod.fr de l’OFCE), mais la nature néo-keynésienne du modèle devrait conduire à long terme aux mêmes conclusions.
La mesure du candidat :
- D’une part, le candidat propose le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, de manière progressive jusqu’en 2032. En 2017, l’Institut Montaigne avait chiffré une mesure de relèvement de l’âge légal à 65 ans à 23 Md€ à horizon 2022, sans comptabiliser les effets sur les régimes maladie et invalidité.
Le candidat prévoit en contrepartie des exemptions à ce relèvement de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans pour deux catégories : les pensionnés victimes de l’usure professionnelle (62 ans) et les travailleurs handicapés (65 ans) - Enfin, le candidat a annoncé que le minimum de pension pour les carrières complètes sera revalorisé à hauteur de 1 100€. Le minimum contributif (MICO) permet de porter les retraites à des assurés ayant une carrière complète : il est aujourd’hui plafonné à 652,60€ par mois, et le MICO majoré est plafonné à 713,11€ en cas de durée d’assurance requise obtenue (120 trimestres).
- Enfin le candidat prévoit la suppression des régimes spéciaux pour les nouveaux entrants à partir de 2023. Ceux qui sont actuellement affiliés à ces régimes pourront prendre leur retraite plus tôt que le régime de droit commun, mais l’âge à partir duquel ils pourront demander le paiement de leur pension sera également augmenté de trois années d’ici à 2033, selon le Monde.
Chiffrage des différentes mesures présentées
Selon le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) du 10 juin 2021, le déficit du système de retraites a atteint 18 milliards d’euros en 2020, soit 0,8 % du PIB (4). D’après les prévisions du COR, ce dernier resterait négatif à court-terme. Les hypothèses de fécondité et d’espérance de vie du COR ou de l’Insee de 2021 sont également peu optimistes : le rapport de dépendance démographique passerait de 37 en 2021 à 51 en 2040 (5).
Pour calculer l’impact de la hausse de l’âge de départ à la retraite, un modèle simple peut être construit : il consiste à considérer qu’en 2030, toutes choses égales par ailleurs, le nombre d’assurés aura cru et le montant de pensions versé aura diminué. Ce modèle a été construit sur la base de la population de trois générations et de son taux d’emploi.
Ainsi, pour les générations 1966 à 1968, en 2030, les assurés paieront d’une part une cotisation supplémentaire, du fait d’une liquidation plus tardive des pensions de retraite et, d’autre part, ils verront leurs pensions versées plus tardivement.
D’après plusieurs études (6), il est estimé qu’un recul d’un an de l’âge légal de départ à la retraite entraîne un recul de 0,4 an de l’âge effectif de départ à la retraite chez les femmes, et de 0,8 an chez les hommes. Le ratio hommes / femmes étant proche de l’équilibre pour les classes d’âge proches de la retraite, nous faisons l’hypothèse qu’un recul d’un an de l’âge légal entraîne un recul de 0,6 an de l’âge effectif de départ, soit 7,2 mois. Pour calculer les estimations basses et hautes des économies réalisées, la fourchette du recul de l’âge effectif de départ est comprise entre 6 mois et 9 mois.
A. Pour calculer l’impact de la hausse du nombre de cotisations versées, celle-ci seraient payées pendant 21,6 mois supplémentaires par assuré.
Cet effet « hausse de recettes » est évalué à hauteur de 7,3 Md€ pour la première année de la réforme (en 2030) en scénario médian, 6,1 Md€ en scénario bas et 9,2 Md€ en scénario haut.
Détail du chiffrage :
- Puisque l’âge légal est de 62 ans, le recul à 65 ans entraîne un recul effectif de 1,8 ans soit 21,6 mois. Vu que le montant moyen de cotisation mensuelle est de 28,12 % (9), alors 21,6 mois de cotisation en plus au salaire moyen des 54-65 ans de 24 598€ = 28,12 % * 21,6 * 24598/12 => 12 450€ par assuré retraite sur 21,6 mois.
- Le nombre de travailleurs entre 63 et 65 ans est approchable : l’enquête DARES considère qu’une génération dont les membres ont entre 60 et 64 ans compte en moyenne à 800 000 personnes, avec un taux d’emploi de 33,1 %, tandis qu’une génération dont les membres ont entre 65 et 69 ans a un taux d’emploi de 7,5 % (8) (la France a le taux le plus bas d’Europe). Ainsi, en prenant les cohortes des 63, 64 et 65 ans et en multipliant leur taux d’emploi constatés respectifs (33,1 % pour les 63 et 64 ans, 7,5 % pour les 65 ans), on arrive à 264 800 + 264 800 + 60 000 assurés supplémentaires, soit 589 600 assurés supplémentaires qui cotiseraient.
- Cet effet « hausse de recettes » est considéré à hauteur de 7,34 Md€ pour la première année de la réforme complète en 2032.
B. Pour calculer l’impact de la baisse des pensions versées, la génération qui retarde son départ à la retraite et continue à travailler ne se verra pas verser de pensions – soit une économie nette pour les régimes de retraite.
Avec le décalage de 21,6 mois de la liquidation de la retraite, ce sont autant de mois de pension qui ne seront pas versés. Cet effet « moindre dépenses » est évalué à hauteur de 19,7 Md€ en scénario médian, 16,4 Md€ en scénario bas et 24,7 Md€ en scénario haut
Détail du chiffrage :
- La pension moyenne à 62/63 ans est de 1550 € * 21,6 mois * 590 000 travailleurs qui choisissent de ne pas prendre leur retraite (62/63 ans). L’effet « moindre dépenses » est donc de 19,7 Md€ pour la première année de la réforme en 2032.
Ainsi, la réforme dans sa globalité permettrait un gain brut de 27 Md€ en 2032.
La prise en compte des effets adverses peut être approché par une réduction de 23,3 % des gains de la réforme, comme l’a noté la DREES en 2022 : l’effet d’un relèvement de l’âge d’ouverture des droits à la retraite de 2 ans est légèrement tempéré par un effet d’éviction par les prestations sociales de 23,3 % – notamment à 50 % sur les pensions d’invalidité, 27 % sur les indemnités journalières de sécurité sociale (IJSS) et 23 % sur les minima sociaux (9). En faisant l’hypothèse que ce ratio est assez proche pour un relèvement de l’âge d’ouverture des droits de 3 ans, l’effet d’éviction de 23,3 % se traduit par une dépense accrue de 6,3 Md€ (scénario médian). Le gain de la réforme se situe alors plutôt à 20,7 Md€.
C. Pour approcher la prise en compte de l’exemption partielle de la réforme pour les victimes de l’usure professionnelle, il faut rappeler que seul 0,4 % des retraités sont concernés par la RATH (10) et seul 0,3 % de la masse des pensions sont versées au titre des départ anticipé pour les motifs de handicap, incapacité, pénibilité, amiante. Pour ces derniers, la situation évolue : alors qu’ils pouvaient partir entre 55 et 62 ans, l’âge d’ouverture sera désormais fixé à 55 ans. Ceux-ci ne représentant que 0,3 % de la masse des pensions versées – soit 0,8 Md€ en 2016 – on peut faire une hypothèse que l’ouverture des droits à la retraite à 55 ans, sans spécification supplémentaire, conduira à augmenter la durée de la retraite des personnes handicapées de 5 ans sur les 24,7 aujourd’hui pour la génération 1975 (11). Ainsi, ce sont 20 % de pension versée supplémentaires pour les personnes handicapées – soit 960 M€ de retraites pour les personnes handicapées qui ne sont pas concernées par la réforme.
Enfin, les départs anticipés au titre des dispositifs carrière longue sont exemptés de la réforme – en passant à un régime de 62 ans. Ainsi, 2,3 % de la masse des pensions versées – soit 6,1 Md€ en 2016 (12) – ne serait pas concerné par la réforme : l’effet de moindre dépense serait alors de 540 M€ en 2032.
Au total, les exemptions réduisent le bénéfice de la réforme de 1,5 Md€.
D. Or, le pas de la réforme prévoit qu’en 2027, seulement 16 mois cotisés supplémentaires seront prévus pour les générations cotisantes concernées par la réforme – contre 36 mois à partir de 2032 et la fin de l’implémentation de la réforme. Le candidat a en effet annoncé qu’entre 2023 et 2032, quatre mois supplémentaires devront être cotisés par an – témoignant d’une mise en œuvre étalée de la réforme proposée. Dès lors, les effets sur le prochain quinquennat sont à relativiser. En 2027, le chiffrage estime à seulement 9,0 Md€ les économies réalisées par la réforme des retraites – contre 19,3 Md€ en rythme de croisière, à partir de 2032.
E. Le candidat prévoit par ailleurs de relever à 1 100 € les pensions des assurés ayant réalisé une carrière complète.
L’hypothèse est de considérer que ce relèvement passera par une revalorisation du MICO, comme le candidat l’avait proposé lors de la réforme inaboutie des retraites en 2019 (13).
Pour calculer la revalorisation du minimum contributif, il convient de rappeler que le MICO est une prestation différentielle, qui garantit un minimum de pension aux personnes qui ont cotisé durant leur carrière sur la base de salaires très modestes. Seuls les assurés qui partent à la retraite au taux plein (par la durée validée, l’âge, ou en référence à leur situation d’ex-invalide ou d’inapte) sont éligibles au minimum contributif. Depuis le 1er janvier 2012, un mécanisme d’écrêtement du MICO a été mis en place : le total des retraites (de base et complémentaire) de l’assuré ne doit pas dépasser le plafond autorisé pour le MICO (il s’établit à environ 1 241€ au 1er janvier 2022). D’autre part, pour les assurés au minimum vieillesse, 80 % sont également bénéficiaires du MICO (14).
Si le plafond autorisé est dépassé, la majoration due au titre du minimum est réduite à due concurrence. Depuis 2020, le FSV ne prend plus en charge le financement partiel du MICO, désormais transféré vers les branches vieillesse des régimes alignés (CNAV, MSA). En 2020, le MICO représentait 7,2 Md€ (régime général et régime des salariés agricoles) tandis que le MIGA (minimum garanti pour la fonction publique) représentait 1,6 Md€ et la prestation majorée de référence pour les non-salariés agricoles représentait 127,2 M€ (15).
Revaloriser le MICO pour obtenir une retraite à 1100€ reviendrait à lui soustraire :
- D’une part le montant actuel du MICO (713,11 €) ;
- D’autre part le montant actuel de la retraite complémentaire moyenne ; il n’existe pas de statistique concernant la retraite complémentaire moyenne au MICO ; en revanche, comme la pension de base moyenne est de 560€ et que la complémentaire est égale à 65,6 % (16) de la pension de base à la CNAV, alors la retraite complémentaire moyenne est de 367€.
- La revalorisation attendue est de 20€ par mois en 2023 : 1 100 – ( 713,11+367). En prenant en compte l’inflation de 1,016 (inflation moyenne prévue sur le prochain quinquennat sous hypothèse d’une revalorisation des pensions sur l’inflation), le coût de la revalorisation serait nul à horizon 5 ans en raison du rattrapage des pensions totales (base + complémentaire).
Puisque le montant moyen versé du MICO-CNAV est de 110€ en 2020 et celui du MICO-MSA de 40€, alors la hausse de 20€ équivaut à une hausse du montant moyen versé de 18 %. En appliquant cette hausse moyenne de 18 % aux dépenses totales du MICO pour la CNAV (coût actuel de 6,39 Md€ (17)) et la MSA (coût actuel de 0,80 Md€), alors la revalorisation du MICO pour les deux régimes serait de (6,39+0,80) x 20 /110 = 1,3 Md€, ce qui constitue l’hypothèse médiane.
F. Le candidat ou son équipe de campagne ne mentionne pas d’extension ou de modification du dispositif de pénibilité, même si le terme d’ « usure professionnelle » pourrait s’y rapporter.
Dans le scénario central, il n’est donc pas tenu compte d’une extension de ce dispositif de pénibilité. Pour autant, en fonction de l’interprétation que l’on pourrait avoir de cette terminologie et, vraisemblablement, de la manière dont le débat social se passe, une extension du champ de la pénibilité pourrait être proposée. La pénibilité ne représente aujourd’hui que quelques centaines de M€, mais son coût pourrait fortement augmenter dans les années à venir (respectivement 2,0 et 2,5 Md€ en 2030 et 2040 selon l’exposé des motifs du projet de loi sur le retraites du 20 janvier 2014 (18), 1,7 et 3,3 Md€ selon l’institut Rexecode). Comme le signale le site Fipeco, le coût de la pénibilité peut être très élevé.
Le projet de loi pour les retraites de 2020 (19) mentionnait que « l’élargissement du périmètre des populations couvertes par le dispositif ainsi que l’abaissement des seuils d’exposition pour les facteurs exposés ci-dessus aura pour conséquence une augmentation des dépenses liées à l’utilisation des points pénibilité d’environ 0,3 Md€ en 2050 (euros 2017)« . C’est ce chiffre qui est intégré dans le scénario bas, mais les scénarios présentés par Rexecode montrent que les risques sont d’une ampleur potentiellement beaucoup plus importante que ceux-ci. L’institut présente notamment un scénario de doublement du nombre de bénéficiaires (coût de 1,7 Md€ à l’horizon 2030 et de 3,4 Md€ en 2040).
G. La suppression des régimes spéciaux permettra de générer, à long terme, de l’ordre de 5,3 Md€ d’économies supplémentaires à très long terme
Les régimes spéciaux comportent plusieurs avantages pour leurs assurés qui représentent autant de coûts pour la collectivité : des avantages de possibilité de départs anticipés et une valorisation de leurs retraites plus élevées en moyenne que dans les autres régimes. Ces avantages ont été en grande partie détaillés dans le rapport de la Cour des comptes de 2019 sur le sujet (20). En particulier :
Avantages des trois principaux régimes spéciaux (chiffres 2017) :
IEG | SNCF | RATP | Fonction publique de l’État | |
Age moyen de départ à la retraite (en année) | 57,7 | 56,9 | 55,7 | 61,3 |
Pension moyenne (en €) | 3 592 | 2 636 | 3 705 | 2 206 |
Surcoût total (en Md€) | 1,7 | 3,2 | 0,4 | NA |
Source : rapport de la Cour des comptes de juillet 2019 sur les régimes spéciaux de retraite de la RATP, de la SNCF et des industries électriques et gazières
Les surcoûts des trois principaux régimes spéciaux ont été évalués à 5,3 Md€ par la Cour des comptes (21), ce qui représente 314 € par retraité français et par an.
Ce chiffrage n’est pas pris en compte dans le gain actuel, car il n’entrera pleinement en vigueur dès lors que le flux de nouveaux retraités de ces régimes se tarira. Si on clôt ces régimes en 2023, ce flux commencera véritablement à se tarir d’ici 20 ou 30 ans, ce qui est au-delà de l’horizon de cet exercice de chiffrage.
Variable | Intitulé de la variable | Chiffres (2030) | 2027 |
Part dépense retraites dans le PIB | 13,6 | 13,6 | |
a | Age légal (hors réforme) | 62 | 62 |
b | Age de départ après réforme | 65 | 63,33 |
d=b-a | Décalage de l’âge légal | 3 | 1,33 |
c | Coefficient de travail supplémentaire | 0,6 | 0,6 |
e=d*c | Décalage effectif | 1,8 | 0,8 |
f1=e*12 | Scénario médian : décalage effectif en mois | 21,6 | 9,6 |
f2=d*0,5*12 | Scénario bas : décalage effectif en mois | 18,0 | 8,0 |
f3=d*0,75*12 | Scénario bas : décalage effectif en mois | 27,0 | 12,0 |
g | Cotisation mensuelle moyenne | 28,1 % | 28,1 % |
h | Salaire moyen des 54-65 ans | 24 598 | 24 598 |
i1=g*h*f1/12 | Scénario médian : cotisation gagnée pour l’État par assuré sur la période travaillée | 12 451 | 5 520 |
i2=g*h*f2/12 | Scénario bas : cotisation gagnée pour l’État par assuré sur la période travaillée | 10 375 | 4 600 |
i3=g*h*f3/12 | Scénario haut : cotisation gagnée pour l’État par assuré sur la période travaillée | 15 563 | 6 900 |
j | Taux d’emploi des 60-64 ans | 33,1 % | 33,1 % |
k | Taux d’emploi des 65-69 ans | 7,5 % | 7,5 % |
l=(j*2+k)/3 | Taux approché d’emploi des 63 à 65 ans | 24,6 % | 24,6 % |
m | Nombre de personnes dans une génération 60-65 ans | 800 000 | 800 000 |
n=m*3 | Nombre d’allocataires cotisants supplémentaires | 589 600 | 589 600 |
o1=n*i1 | Scénario médian : montant total de cotisations supplémentaires par an (en Md€) | 7,34 | 3,25 |
o2=n*i2 | Scénario bas : montant total de cotisations supplémentaires par an (en Md€) | 6,12 | 2,71 |
o3=n*i3 | Scénario haut : montant total de cotisations supplémentaires par an (en Md€) | 9,18 | 4,07 |
p | Pension moyenne à 62-63 ans | 1 550 | 1 550 |
q1=p*f1*n/12 | Scénario médian : montant total brut des pensions non versées par an (en Md€) | 19,7 | 8,8 |
q2=p*f2*n/12 | Scénario bas : montant total brut des pensions non versées par an (en Md€) | 16,4 | 7,3 |
q3=p*f3*n/12 | Scénario haut : montant total brut des pensions non versées par an (en Md€) | 24,7 | 10,9 |
Ee | % de montant de pension non concerné par la réforme (pénibilité, carrière longue) | 2,3 % | 2,3 % |
Er | Effet redistributif sur les prestations sociales (DREES 2022) en % | 23,3 % | 23,3 % |
Eh | Effet sur les pensions des travailleurs handicapés (en Md€) | -1,0 | 0,0 |
Tb1=(o1+q1)*(1-Ee)*(1-Er) | Scénario médian : montant total net des pensions non versées par an (en Md€) | 19,3 | 9,0 |
Tb2=(o2+q2)*(1-Er) | Scénario bas : montant total net des pensions non versées par an (en Md€) | 15,9 | 7,5 |
Tb3=(o3+q3)*(1-Er) | Scénario haut : montant total net des pensions non versées par an (en Md€) | 24,4 | 11,3 |
NbMC | Nombre de pensionnés du MICO CNAV (2020) | 4 900 000 | |
NbMM | Nombre de pensionnés du MICO MSA (2020) | 1 120 000 | |
MaMC | Mont annuel du coût du MICO CNAV (2020) | 6,39 | |
MaMM | Mont annuel du coût du MICO MSA (2020) | 0,80 | |
MMC | Montant moyen du MICO CNAV (2020) | 110 | |
MMM | Montant moyen du MICO MSA (2020) | 40 | |
R | Montant de la revalorisation (en 2022) | 20 | |
Mi=MaMC*R/MMC +MaMM*R/MMM |
Revalorisation du MICO (tous scénarios, en 2022, en Md€) | 1,3 Md€ | |
Augmentation des dépenses liées à l’utilisation des points pénibilité | 0,3 | 0,3 | |
Gain (en Md€) du scénario médian | 18,0 | 7,7 | |
Gain (en Md€) du scénario bas | 14,3 | 6,1 | |
Gain (en Md€) du scénario haut | 23,1 | 10,0 |
Source : calculs des auteurs à partir de données INSEE, COR et DREES (22).
Le chiffrage est moyennement fiable : les chiffrages sont couramment réalisés pour un scénario de report de l’âge légal à 64 ans. Ainsi, la DG Trésor a publié le 27 janvier 2022 des estimations d’un report à 64 ans de l’âge légal : à long terme, de telles réformes permettent d’améliorer le solde des administrations publiques de 0,9 point de PIB dont 0,5 point de PIB pour le système des retraites porté à hauteur de 0,1 point par la hausse des cotisations et 0,4 point par la baisse des prestations versées.
Le chiffrage documente ici uniquement le coût de la mesure pour les régimes de retraite, sans s’intéresser aux effets de substitution avec le régime du chômage – le chiffrage ne regarde que l’effet d’éviction sur les prestations sociales. Ainsi, selon la DREES, la situation principale d’activité au cours de l’année précédant la liquidation des droits à retraite pour la génération 1946 est de 58 % en emploi, 3 % en préretraite, 7 % en maladie ou invalidité et 19 % au chômage – 13 % étaient déjà inactifs (23). Pour la DG Trésor (24), une réforme de l’âge de départ engendre la création d’emplois, avec un surcroît de PIB qui génère à son tour des recettes supplémentaires pour les administrations publiques (cotisations sociales, impôts). Cette hausse de recettes est largement supérieure au surcroît de dépense sur les autres risques (hausse des prestations versées en chômage, maladie et invalidité, minima sociaux).
Une des difficultés tient à la globalité de la réforme des retraites proposée par la candidate. Le chiffrage porte sur l’allongement de l’âge légal et la revalorisation du MICO, ainsi que les effets adverses sur les prestations sociales. En revanche, n’ont été prises en compte que partiellement les réformes encore non spécifiées sur la prise en compte de la pénibilité ou des carrières longues. Il n’a également pas été pris en compte les réformes liées aux conjoints collaborateurs et la revalorisation de leur retraite.
Historique de la mesure
Les principales réformes des retraites depuis la réforme Balladur de 1993 :
La loi du 22 juillet 1993, dite réforme Balladur, a réformé les retraites du secteur privé en instaurant la revalorisation des pensions en fonction des prix et non plus des salaires, en relevant la durée d’assurance pour ouvrir droit à pension à taux plein de 150 à 160 trimestres et en modifiant les années prises en compte pour le calcul du salaire de référence (passage des 10 aux 25 meilleures années). Le plan Juppé en 1995 ainsi que la réforme Fillon (ci-après) ont ensuite aligné les règles de la fonction publique sur celles du secteur privé.
La loi du 21 août 2003, dite réforme Fillon, a procédé à l’alignement de la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du privé : de 37,5 années de cotisation à 40 ans en 2008. Elle programme l’allongement de la durée de cotisation pour tous au-delà de 40 ans pour la porter à 41 ans (164 trimestres) en 2012. Des rendez-vous sont prévus tous les 4 ans (2012, 2016) pour examiner l’opportunité d’allonger encore la durée de cotisation, en fonction de l’évolution de l’espérance de vie.
La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a relevé progressivement l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans et l’âge d’obtention automatique du taux plein de 65 à 67 ans de 2011 à 2018. Le relèvement progressif de ces âges s’effectue selon l’année de naissance à raison de quatre mois par génération entre 1951 et 1956. Cette évolution concerne tous les salariés, du public comme du privé ainsi que les régimes spéciaux, mais avec des calendriers de mise en œuvre différents. L’étude d’impact de la loi estimait l’économie annuelle tous régimes des mesures d’âge à 20,2 Md€ en 2020.
La loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 (article 88) prévoit l’accélération de la réforme des retraites de 2010 : l’âge légal de départ à la retraite et l’âge d’obtention automatique de la retraite à taux plein passent respectivement à 62 et 67 ans dès 2017, au lieu de 2018.
La loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite procède à un allongement de la durée requise pour le taux plein à partir de la génération 1958, à raison d’un trimestre toutes les trois générations pour atteindre 43 ans (172 trimestres) pour la génération 1973. Cette mesure s’inscrit dans la continuité de la réforme de 2003 avec un partage des gains d’espérance de vie par allongement de la durée cotisée. L’étude d’impact du dossier législatif de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 estimait l’économie de la mesure d’allongement de la durée d’assurance à 10,4 Md€ / an en 2040.
À cela s’ajoutent également les accords AGIRC-ARRCO-AGFF relatifs aux retraites complémentaires (2011, 2013, 2015).
L’âge légal de départ à la retraite a été fixé à 65 ans à partir de 1945, date de la fondation du système de retraite par répartition. Il a été ensuite abaissé à 60 ans en 1982. Si différentes réformes des retraites ont eu lieu en 1993 et 2003, l’âge légal de départ à la retraite a été relevé en 2010, en passant de 60 à 62 ans. L’application de la réforme a été étalée jusqu’en 2017.
Lors de la dernière réforme de 2010, celle du passage de 60 à 62 ans, l’étude d’impact de la loi estimait l’économie annuelle pour l’ensemble des régimes des mesures de décalage de l’âge de départ à la retraite (âge légal et âge d’obtention du taux plein) à 20,2 Md€ en 2020.
Selon la DREES en 2016, les gains estimés étaient de 14 milliards d’euros d’économies attendues sur les dépenses des régimes de retraite à l’horizon 2017-2020. En revanche, cette même réforme représentait déjà un surcoût d’environ 1,2 à 1,5 milliard d’euros pour les régimes gestionnaires des pensions d’invalidité et devait également se traduire par une augmentation des dépenses d’allocation de minima sociaux de 600 millions d’euros par an (25).
Benchmark
Selon le dernier panorama des systèmes de retraite en France et à l’étranger (26), l’âge moyen de départ à la retraite s’est rapprochée de 64 ans pour atteindre 63,5 ans en 2017 – et devrait s’accroître à 64 ans en 2020 et 65 ans en 2035. En effet, parmi les pays de l’Union Européenne, 16 pays appliquent un âge légal de départ à la retraite supérieur ou égal à 64 ans (Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie). Le Royaume-Uni a également repoussé son âge de départ à 66 ans comme âge d’ouverture des droits.
Les réformes récentes dans les autres pays, avec le relèvement des âges légaux de départ à la retraite, s’étendent – à l’exception de la réforme en Belgique avec une augmentation de l’âge légal à 66 ans en 2025 et 67 ans en 2030 – sur plusieurs générations avec des progressivités divergentes. Ainsi l’Allemagne a un âge de taux plein fixé à 66 ans et 9 mois et qui sera porté à 67 ans à partir de 2030 (pour la génération 1964). L’Italie a quant à elle fixé l’âge de départ à la retraite fixé aujourd’hui à 67 ans et qui devra atteindre 70 ans en 2050 – avec la fin de l’expérimentation lancée entre 2018 et 2021 d’une retraite à 62 ans sous conditions d’années de cotisations.
Mise en œuvre
La mise en œuvre de la proposition suppose l’adoption d’une loi car les grandes règles relatives aux retraites (âge de départ à la retraite, durée de cotisations) relèvent de dispositions législatives codifiées dans le Code de la sécurité sociale. Conformément à l’article L. 1 du Code du travail, la loi est précédée d’une saisine obligatoire des partenaires sociaux. La loi votée devra ensuite être déclinée et précisée par des textes réglementaires élaborés par le Gouvernement.
La modification envisagée concerne à la fois les futurs retraités du régime général (21,4 millions de personnes cotisants à la CNAV (27)) et les personnes relevant des régimes du secteur public (2 millions de cotisants de la fonction publique de l’État, 2,2 millions de cotisants de la fonction publique territoriale et hospitalière) (28). Ne seraient pas concernés les assurés des régimes spéciaux. Néanmoins, les effectifs concernés pourront évoluer selon la génération à partir de laquelle cette mesure sera appliquée.
(4) Conseil d’orientation des retraites, Rapport annuel du COR juin 2021 – Évolutions et perspectives des retraites en France, juin 2021, p. 8.
(5) INSEE, Insee Première No 1881, novembre 2021. Le rapport de dépendance démographique mesure le nombre de personnes de 65 ans ou plus, majoritairement retraitées, pour 100 personnes de 20 à 64 ans, qui correspondent en grande partie aux âges d’activité professionnelle.
(6) Notamment celle d’Antoine Bozio, Mesurer l’impact de l’augmentation de la durée d’assurance : le cas de la réforme des retraites de 1993, Économie et statistique, 2011, no 441-442, pp 39-53.
(7) Ce taux moyen est issu du rapport de Jean-Paul Delevoye, Pour un système universel des retraites, juillet 2019. Dans le détail, le rapport Delevoye (p.112) relève que le taux du régime général est de 28,12%, mais en raison de la sédimentation historique le taux moyen est estimé par le COR à 28,29% (COR, juin 2019). Le taux dans la fonction publique est de 24,75% en revanche.
(8) INSEE, Enquête Emploi, édition 2021.
(9) DREES-BRET, Évaluation de l’augmentation des dépenses de certaines prestations sociales induite par un relèvement de l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite, janvier 2022.
(10) Projet de loi Retraites, étude d’impact, p. 598.
(11) Panoramas de la DREES social : Les retraités et les retraites, édition 2021, p.135.
(12) DREES, Pensions de retraite : les dispositifs de solidarité représentent 16 % des montants versés, Pierre Cheloudko, Études et résultats, N° 1116, paru le 06/06/2019.
(13) Les Echos.
(14) CNAV, L’articulation entre le minimum contributif et le minimum vieillesse au Régime général, juillet 2018.
(15) Cour des comptes, RALFSS 2020, octobre 2020, p. 256.
(16) PLFSS pour 2022, REPSS Retraites, p. 40.
(17) Ibid.
(18) Projet de loi ayant conduit à la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.
(19) Projet de loi instituant un système universel de retraite du 20 janvier 2020, page 130.
(20) Les régimes spéciaux de retraite de la RATP, de la SNCF et des industries électriques et gazières, juillet 2019 ; ce rapport ne traite pas de plus petit régimes spéciaux, dont le volume de pensions – et donc des surcoûts associés – est plus marginal.
(21) Evaluation à partir du tableau n° 16 page 69 du rapport précité.
(22) DREES-BRET, Évaluation de l’augmentation des dépenses de certaines prestations sociales induite par un relèvement de l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite, janvier 2022.
(23) DREES, Les retraités et les retraites, édition 2021, p. 169.
(24) DG Trésor, Effets d’une mesure d’âge sur le solde des administrations publiques, janvier 2022.
(25) DREES, Invalidité et minima sociaux : quels effets du passage de la retraite de 60 à 62 ans ?, oct. 2016.
(26) Conseil d’orientation des retraites, Panorama des systèmes de retraite en France et à l’étranger, déc. 2020.
(27) CNAV, L’assurance retraite, mission et chiffres clés 2020, édition juillet 2021.
(28) Chiffres tirés du Rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique, annexé au projet de loi de finances pour 2022.