Expulser les personnes détenant des titres de séjour qui portent trouble à l’ordre public
Dans son programme le candidat indique vouloir « poursuivre la refonte de l’organisation de l’asile et du droit au séjour pour décider beaucoup plus rapidement qui est éligible et expulser plus efficacement ceux qui ne le sont pas ».
Source : programme d’Emmanuel Macron
Emmanuel Macron souhaite par exemple expulser les étrangers « qui troublent l’ordre public ».
Les annonces du candidat s’inscrivent dans une montée graduelle des expulsions d’étrangers pour motif de troubles à l’ordre public, principalement en lien avec le risque terroriste (117 expulsions entre 2012 et 2017, plus de 600 entre 2018 et 2021).
Le coût de la mesure serait compris entre 11 M€ (800 expulsions par an, soit l’équivalent du nombre d’étrangers fichés S en 5 ans) et 21 M€ (1 500 expulsions par an), à raison d’un coût de 14 000€ par expulsion.
Le coût de la mesure pourrait être plus élevé si elle s’étendait à un périmètre plus large de troubles à l’ordre public.
La faisabilité de la mesure est permise par le cadre juridique en vigueur, mais cependant limitée par les mêmes contraintes d’ordre opérationnel qui font que seulement 20 % des mesures d’éloignement d’étrangers en situation irrégulière donnent lieu à une sortie de territoire effective.
1/ Le cadre légal existe :
La loi permet l’expulsion d’étrangers en situation irrégulière et causant des troubles graves à l’ordre public.
« L’expulsion est une mesure administrative visant à éloigner un ressortissant étranger du territoire. Elle est prononcée dans des situations très graves, liées à la protection de l’ordre public ou en cas d’atteinte à la sûreté de l’État. Elle est prise par le préfet ou par le ministre de l’Intérieur. L’étranger peut être renvoyé de force dans son pays d’origine ou dans un autre pays. La procédure est donc exceptionnelle, encadrée et doit être justifiée. »
Par ailleurs, la détention d’un titre de séjour procure une protection dite « relative », qui peut être retirée en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique ou de condamnation définitive à 5 ans ou plus de prison ferme.
2/ Un coût de l’ordre de 10 à 20 millions d’euros par an
Il n’existe pas de statistiques publiquement disponibles portant de manière globale sur les étrangers pouvant se trouver dans ces situations, et susceptible d’être expulsés.
Des chiffres existent cependant sur les étrangers fichiers S, susceptibles de représenter un risque grave pour l’ordre public. Fin 2020, Le Monde indiquait en citant le ministre de l’intérieur, que 4 111 étrangers étaient inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), dont 231 devait faire l’objet d’une mesure d’expulsion. Parmi eux, 180 étaient incarcérés et devaient être expulsés après l’exécution de leur peine et 51 devaient être au préalable appréhendés. Par ailleurs, 450 étrangers en situations irrégulière et fichés S avaient été expulsés entre 2018 et 2020. Au total, 600 personnes environ ont été expulsés entre 2018 et fin 2021.
Le coût d’une expulsion peut être évalué à environ 14 000 euros.
Par conséquent, si l’équivalent du nombre d’étrangers fichés S faisaient l’objet d’une mesure d’expulsion, soit un peu plus de 4 000, le coût total sur un quinquennat serait de l’ordre de 56 M€ soit 11 M€ par an.
Si l’on revenait aux nombres observés durant les années 1980, soit jusqu’à 1 500 par an selon les propos de la ministre cités dans la presse, le coût serait porté à 21 M€ par an.
Les coûts de mise en œuvre de la mesure pourraient se révéler bien supérieurs pour plusieurs raisons :
- le périmètre des personnes concernées pourrait être plus large, selon la nature des « troubles à l’ordre public » visés ; ainsi, si la mesure concernait l’ensemble des étrangers mis en cause pour des atteintes à l’intégrité physique, soit environ 45 000 personnes (15 % de 300 000 personnes sur la base des chiffres de l’Insee), le coût serait multiplié par un facteur 30, soit 600 M€ par an.
- la procédure administrative et juridique peut être plus coûteuse pour identifier et appréhender les personnes concernées.
3/ Une mise en œuvre complexe :
L’expulsion des étrangers en situation irrégulière présentant un risque pour l’ordre public, se heurte à plusieurs obstacles :
- l’identification et l’appréhension des personnes concernées ;
- la caractérisation du trouble à l’ordre public ;
- l’exécution d’une éventuelle peine de prison en France ;
- la détermination de la nationalité et l’acceptation par le pays d’origine ;
- la situation du pays d’origine, qui peut présenter un risque pour la sécurité de la personne susceptible d’être expulsée ;
- les risques liés à la procédure judiciaire, administrative et à la conduite de l’expulsion proprement dite.
De manière générale, pour 150 000 mesures d’éloignement du territoire prononcées en 2019, seules 30 000 sorties ont effectivement eu lieu (dont les deux tiers forcées).
S’agissant d’étrangers en situation régulière mais présentant des risques pour l’ordre public, une procédure d’expulsion est potentiellement plus difficile à mettre en œuvre, sauf à attendre l’expiration du titre de séjour, lorsque celui-ci est temporaire.
Historique de la mesure
L’éloignement d’étrangers en situation irrégulière fait l’objet d’environ 150 000 décisions chaque année, et de 30 000 sorties effectives, dont 20 000 forcées.
S’agissant d’expulsions en raison de troubles à l’ordre public, il s’agit d’une procédure plus rare, mais de plus en plus utilisée dans un contexte de montée du risque terroriste. Ainsi, Bernard Cazeneuve donnait le chiffre de 117 personnes expulsées entre 2012 et 2017 alors que Gerald Darmanin donnait un bilan de 600 expulsions entre 2018 et 2021.
Mise en œuvre
Le cadre juridique en vigueur suffit, mais la mise en œuvre est complexe du fait de la lourdeur des procédures administratives et juridiques, de la difficulté d’appréhender les personnes, de la difficulté d’identifier le pays d’origine et du manque de coopération des pays d’origine.