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16/01/2019

Taxe d’habitation : il n’y aura pas que des heureux

Taxe d’habitation : il n’y aura pas que des heureux
 Victor Poirier
Auteur
Ancien directeur des publications

Le grand débat annoncé par Emmanuel Macron, et ponctué d’une lettre aux Français ce dimanche 13 janvier, en fait l’un des quatre thèmes majeurs : la fiscalité et les dépenses publiques seront au coeur du dialogue national. Comment rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts baisser en priorité ? Quelles économies privilégier ? Autant de questions soulevées par l’exécutif, alors que l’une des promesses phares du candidat Macron est désormais sur le grill : la réforme de la taxe d’habitation. Sa suppression partielle, contenue dans le programme du candidat En Marche, représente désormais un enjeu financier et politique considérable. Comment se présente cette réforme dans un contexte social complexe ? Quelles sont les difficultés à anticiper pour l’exécutif ? Décryptage.

Macron candidat, Macron président

La taxe d’habitation constitue un quart de la fiscalité directe locale et près d’un tiers des recettes fiscales des municipalités.

Depuis notre article de juillet 2017, la situation n’a pas évolué : un décalage s’est installé entre les promesses du candidat et les annonces du Président. Lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait annoncé vouloir exonérer de la taxe d’habitation 80 % des foyers, pour un coût de 8 à 10 milliards d’euros. Cette exonération, en trois temps (30 % des contribuables en octobre 2018, puis 30 % en 2019 et enfin, 20 % en 2020), avait, dès son annonce, provoqué la grogne des maires, qui se voient confisquer une importante recette.

La taxe d’habitation constitue un quart de la fiscalité directe locale selon l’Observatoire des Finances et de la Gestion Publique Locale, et près d’un tiers des recettes fiscales des municipalités selon l’OFCE. Mais cela n’est peut être que le début : comme l’avait indiqué Emmanuel Macron, "un impôt payé par 20 % de la population n’est pas un bon impôt". Autrement dit, la taxe d’habitation "nouveau format" n’aurait plus lieu d’être.

Des collectivités directement concernées

La suppression totale de la taxe d’habitation est ainsi envisagée, d’autant que la constitutionnalité d’une exonération de 80 % des foyers était questionnée dès l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence. Le gouvernement, qui espère de la part des collectivités locales 13 milliards d’euros d’économies à horizon 2022, devra quoi qu’il arrive compenser le manque à gagner de la taxe d’habitation - estimée entre 16 et 22 milliards d’euros de recettes annuels. Dans un contexte marqué par le mouvement des Gilets jaunes, le gouvernement se retrouve pris en étau entre un ras-le-bol fiscal généralisé des citoyens, une inquiétude grandissante des maires et représentants des collectivités locales, et des impératifs budgétaires conséquents.

Ils sont la figure la plus appréciée en politique, et pourtant, un maire sur deux envisage de ne pas se représenter aux prochaines élections municipales d’après une récente étude du Cevipof. 33 % d’entre eux expliquent ne plus avoir les moyens financiers pour tenir leur rang. Certains craignent que la suppression de la taxe d’habitation ne soit synonyme d’un assujettissement des collectivités aux décisions politiques.

33 % des maires expliquent ne plus avoir les moyens financiers pour tenir leur rang.

La tâche incombera donc au président de la République de rassurer les collectivités tout en gardant le cap qu’il s’est fixé en matière d’économies, ce qui s’avérera d’autant plus difficile que les concessions annoncées aux Gilets jaunes devraient relever le déficit de l’Etat de +0,9 % du PIB (les prévisions passant de 2,5 % à 3,4 % en 2019, d’après Gérald Darmanin).

Une réforme politiquement complexe

Il faudra donc bien du courage à l’exécutif pour se sortir de cette équation budgétaire à plusieurs inconnues. Il conviendra pour cela de définir au mieux les modalités de compensation des collectivités face à une importante substitution de revenus fiscaux locaux par une dotation de l’Etat. Les obstacles qui se dresseront sur la route de l’exécutif sont donc protéiformes : 

  • Impossibilité de revenir sur son engagement d’exonération, dans un tel contexte, car cela nuirait au pouvoir d’achat des Français.
     
  • Difficulté à exonérer 80 % des Français seulement, car risque d’inconstitutionnalité et mécontentement potentiel des 20 % qui continueraient à régler cette taxe.
     
  • Inquiétude des maires qui voient leur autonomie fiscale remise en question, sans qu’une alternative détaillée ne soit pour l’instant mise sur la table. La compensation du manque à gagner pour l’Etat et les collectivités, afin de répondre aux impératifs du gouvernement et aux dernières déclarations ministérielles, devrait être faite par des économies, et ne devraient pas engendrer “de nouvel d’impôt ni de hausse de la fiscalité”.

Le grand débat devrait pouvoir faire émerger des propositions de la part de la société civile, mais sur ce sujet comme sur bien d’autres, il n’y aura pas que des heureux.

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