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17/03/2022

Présidentielle 2022 : un vote pour la démocratie

Présidentielle 2022 : un vote pour la démocratie
 Lisa Thomas-Darbois
Auteur
Directrice adjointe des études France et Experte Résidente

Le lundi 7 mars dernier, le Conseil constitutionnel a publié la liste définitive des 12 candidats à l’élection présidentielle. Pourtant, à moins d’un mois du premier tour de l’élection, la vie démocratique semble figée.

Si la crise ukrainienne et, à ce titre, la candidature tardive d’Emmanuel Macron, officiellement annoncée le 3 mars dernier seulement, peuvent expliquer un manque de débats publics et d’intérêt pour la campagne présidentielle, une autre tendance structurelle semble le confirmer. En effet, selon une récente étude publiée par l’Institut Montaigne en février dernier, la désaffiliation politique d’une partie des citoyens, et tout particulièrement des jeunes, s’amplifie. Plus significatif encore, seuls 51 % des jeunes révèlent se sentir très attachés à la démocratie. Ce désintérêt grandissant des citoyens pour la vie électorale et institutionnelle française pourrait mettre en péril la légitimité de l’action publique, et à terme, celle de notre démocratie.

Dès lors, renouer avec une plus forte participation des Français à la vie démocratique de notre pays semble plus que jamais nécessaire. Les récents débats relatifs à l’exigence d’un dépôt de 500 parrainages au Conseil constitutionnel pour valider la recevabilité des candidatures le prouvent encore une fois : les règles démocratiques actuellement en vigueur ne font plus l’objet de consensus et pourraient même limiter la représentativité populaire. 

À cet égard, de nombreux candidats à l’élection présidentielle, et tout particulièrement ceux positionnés à gauche de l’échiquier politique, proposent de réformer la vie citoyenne et institutionnelle française. Dans le cadre de son opération de décryptage Présidentielle 2022, l’Institut Montaigne a ainsi analysé certaines de ces mesures y compris, et c’est inédit, sous un prisme parfois budgétaire.

L’extension du droit de vote aux mineurs de 16 ans et aux étrangers qui ne sont pas citoyens de l’Union européenne, deux mesures majeures qui pourraient agrandir le corps électoral pour la première fois depuis les années 1990

Donner le droit de vote dès 16 ans est une mesure qui figure dans les programmes de Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo et Yannick Jadot. Elle devrait se traduire par une augmentation de 3,4 % du corps électoral, soit environ 1,6 million de personnes supplémentaires. Il s’agirait d’une première depuis la loi du 5 juillet 1974, qui avait fait passer l’âge de la majorité (et donc du droit de vote) de 21 ans à 18 ans. Trois pays de l’Union européenne accordent le droit de vote aux personnes de moins de 18 ans : il s’agit de l’Autriche, de Malte (où l’âge du droit de vote est fixé à 16 ans), et de la Grèce (17 ans).

De nombreux candidats à l’élection présidentielle, et tout particulièrement ceux positionnés à gauche de l’échiquier politique, proposent de réformer la vie citoyenne et institutionnelle française

Si la portée de cette mesure est évidemment démocratique et sociale, l’Institut Montaigne s’est aussi penché sur le coût que représenterait celle-ci pour les finances publiques : il est estimé à 250 millions d’euros pour la première année de mise en œuvre. Les coûts initiaux de cette mesure résultent de l’inscription à la journée défense et citoyenneté de deux classes d’âge supplémentaires l’année de la réforme. En effet, cette journée est nécessaire à l’inscription des jeunes citoyens sur les listes électorales puisqu’elle est intrinsèquement liée aux démarches de recensement. La mesure entraîne également un surcoût de 2,6 millions d’euros par an lié à l’enregistrement des nouveaux électeurs sur les listes électorales des communes et à l’ouverture de près de 1600 nouveaux bureaux de vote. 

Surtout, la question se pose de savoir si cette mesure s’accompagnera d’un abaissement de l’âge de la majorité civile de 18 à 16 ans ou si l’âge de la majorité restera à 18 ans, avec une majorité électorale fixée à 16 ans. Aucun des trois candidats ne l’a précisé à ce stade. Dans le deuxième cas, il serait nécessaire à Yannick Jadot et Anne Hidalgo de réformer la Constitution, afin d’en modifier l’article 3. Ce dernier stipule en effet que "sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques".

Cette mesure se double, pour Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot, d’une autre mesure elle aussi susceptible d’élargir le corps électoral : donner le droit de vote aux étrangers extra-européens pour les élections locales. Le corps électoral comptabiliserait ainsi 3,65 millions d’électeurs supplémentaires. Cependant, au regard du taux d’inscription constaté chez les ressortissants de l’Union européenne, une estimation de 820 000 à 1,5 million d’électeurs supplémentaires paraît plus vraisemblable.

En effet, les résidents étrangers des États membres de l’Union européenne se sont déjà vu accorder le droit de vote aux élections municipales et européennes par le traité de Maastricht de 1992. Dans la plupart des pays de l’UE, le droit de vote des étrangers ne se limite pas aux ressortissants de l’UE mais a été accordé à l’ensemble des étrangers. La France fait partie des 11 États sur 27 à ne pas donner le droit de vote aux étrangers hors Union européenne. 

L’extension du droit de vote aux étrangers serait une première depuis la Constitution du 24 juin 1793. Cette mesure a souvent fait partie des programmes des candidats à l’élection présidentielle du Parti socialiste (François Mitterrand en 1981 et 1988, François Hollande en 2012). Toutefois, la mise en œuvre de cette mesure soulève des difficultés juridiques et constitutionnelles. En effet, ouvrir le droit de vote à tous les étrangers aux élections municipales ou même à l’ensemble des élections locales passerait par une révision de la Constitution, par exemple de son article 72-5. Une loi organique serait nécessaire pour fixer le cadre de cette extension du droit de vote. Ouvrir le droit de vote aux ressortissants des autres États de l’Union européenne aux élections régionales nécessiterait de réviser la Constitution (par exemple la modification de l’article 88-3), et d’adapter les lois organiques et les règlements.

Introduction d’une proportionnelle intégrale, reconnaissance du vote blanc ou instauration d’un référendum d’initiative populaire sont autant de voies proposées pour renforcer la démocratie et l’implication citoyenne dans les urnes

En effet, certains candidats, tels que Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen proposent d’élire tout ou partie des députés à la proportionnelle. 

Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon souhaitent ainsi mettre en place la représentation proportionnelle. Si certaines élections sont déjà concernées par le scrutin proportionnel (élections régionales avec prime majoritaire, élections européennes; etc.) les législatives ne sont en revanche toujours pas concernées par ce système. Sous la Ve République, elles ne l’ont été qu’une seule fois, en mars 1986, l’élection des députés au scrutin proportionnel étant l’une des 110 propositions de François Mitterrand. L’Assemblée nationale élue ne l’avait alors été que pour une durée de deux ans, dissoute après la réélection de François Mitterrand en mai 1988. La répartition proportionnelle était alors dite "départementale", chaque département élisant de 2 à 24 députés dont les sièges étaient répartis de manière proportionnelle selon le résultat du scrutin. 

Certains candidats, tels que Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen proposent d’élire tout ou partie des députés à la proportionnelle.

Cette proposition figurait également dans le programme du candidat Emmanuel Macron en 2017. Sa mise en œuvre, initiée par deux projets de loi constitutionnelle en 2018 et 2019, n’a toutefois jamais été concrétisée à ce stade.

Une meilleure reconnaissance du vote blanc constituerait également, selon de nombreux candidats tels que Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon ou encore Anne Hidalgo, une avancée notable vers plus de démocratie. La mise en œuvre de cette mesure impliquerait une réorganisation du scrutin si les votes blancs devait dépasser un certain seuil. La question du seuil retenu est alors décisive : Yannick Jadot propose par exemple qu’il soit fixé à 25 % des suffrages exprimés, au-delà, l’élection serait annulée. 

La prise en compte du vote blanc aurait des conséquences politiques significatives. En effet, pour l’élection présidentielle de 2017, le nombre de votes blancs au premier et au second tour s’est élevé respectivement à près de 656 000 et plus de 3 000 000 de votes. Si cette nouvelle manière de prendre en compte les suffrages exprimés par les citoyens serait de nature à profondément réformer notre fonctionnement institutionnel et démocratique, elle n’est en rien une exception en Europe. En effet, en Espagne, le vote blanc compte pour le calcul du seuil minimal à atteindre pour accéder à la répartition des sièges lors de toutes les élections. En Suisse, les votes blancs sont également pris en compte pour le calcul de la majorité absolue.

Si les propositions des candidats ne comportent que peu d’indications quant à la manière dont ils souhaitent prendre en compte les bulletins blancs, les effets à attendre concernent principalement l’accès au second tour de certaines élections et la modification du nombre de suffrages déterminant le résultat d’une consultation ou d’un référendum. L’accès au second tour pourrait être restreint du fait de l’augmentation du nombre de suffrages à obtenir pour atteindre les seuils fixés par rapport au nombre de suffrages exprimés. Une telle règle pourrait conduire à des fusions de listes entre deux tours ou en amont du premier et changerait également les modalités de remboursement des dépenses électorales. De plus, cette règle modifierait potentiellement le nombre de suffrages pour déterminer le résultat d’une consultation ou d’un référendum. Dans le cas d’un référendum, se poserait la question de savoir si les votes blancs sont comptés comme des "oui" ou des "non". De telles évolutions seraient donc particulièrement complexes à mettre en œuvre et nécessiteraient un portage politique significatif.

Enfin, l’idée d’instaurer un référendum d’initiative citoyenne est également reprise par de nombreux candidats à l’élection présidentielle. Il permet, une fois une pétition signée par suffisamment de citoyens, de convoquer les électeurs aux urnes, dans le cadre d’un référendum, pour adopter ou rejeter une proposition de loi.

Il diffère toutefois du référendum d’initiative partagée, qui existe depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Prévu à l’article 11 de la Constitution, le référendum d’initiative partagée prend place lorsqu’une proposition de loi est signée par au moins un cinquième des membres du Parlement (soit 185 députés et/ou sénateurs) et un dixième du corps électoral (soit près de 4,7 millions de citoyens) dans les neufs mois qui suivent son dépôt. La proposition de loi ne peut porter que sur des domaines mentionnés par l’article 11 de la Constitution, soit l'organisation des pouvoirs publics, la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et les services publics qui y concourent, ou encore pour la ratification d'un traité susceptible d’avoir des conséquences sur le fonctionnement des institutions. 

Le référendum d’initiative citoyenne a donc la particularité de faire intervenir exclusivement les citoyens. Il s’agit en cela d’un outil de démocratie directe. À ce jour, une seule initiative pour un référendum d’initiative partagée a été prise en France, dans le cadre du projet de privatisation du groupe ADP. La proposition de loi avait cependant recueilli un nombre insuffisant de signatures (1,093 million) et a donc pris fin en mars 2020.

Au-delà des obligations ou des sanctions, de seuils de suffrage ou de proportionnalité, la démocratie doit se construire sur une authentique envie citoyenne de s’engager et de s’inscrire dans les débats publics.

De nombreux candidats, dont Anne Hidalgo, suggèrent donc d’instaurer un référendum d’initiative citoyenne. La candidate souhaite aussi abaisser à un million le nombre de signatures requis pour organiser un référendum d’initiative partagée. Ces deux propositions pourraient conduire à un recours accru aux référendums pour adopter des lois. La mise en œuvre de cette mesure nécessite toutefois une révision constitutionnelle (modification de l’article 11 de la Constitution) et pourrait contribuer à augmenter ponctuellement les ressources du Conseil constitutionnel. Ce dernier avait en effet reçu un budget spécifique de 785 000 euros en 2019 pour examiner la proposition de loi soumise à un référendum d’initiative partagée.

Cette proposition se retrouve aussi dans les programmes de Yannick Jadot, qui souhaite que les citoyens proposent une loi ou un amendement à condition qu’elle soit soutenue par 900 000 citoyens, soit environ 2 % du corps électoral. En sus du pouvoir de proposer une loi, Jean-Luc Mélenchon propose que les citoyens puissent également révoquer des élus, abroger une loi ou encore soumettre une proposition de révision constitutionnelle. 

Plus à droite de l’échiquier politique, Valérie Pécresse ou encore Marine Le Pen proposent également de créer un tel référendum d’initiative citoyenne.

Interdire le cumul des mandats et rendre le vote obligatoire : quand le besoin de démocratie se confronte à l’obligation plutôt qu’à l’incitation

La règle du cumul des mandats, cette "règle de la politique française" selon Michel Debré est régulièrement pointée du doigt par les divers comités et commissions chargés de rénover les institutions politiques françaises. Après avoir été dénoncée en 2007 et 2012 par le comité Balladur et la commission Jospin, cette règle a été officiellement adoptée par les lois organique et ordinaire du 14 février 2014 interdisant tout cumul : d’un mandat de parlementaire et d’un mandat d’exécutif local ou encore de deux mandats exécutifs locaux. S’agissant du cumul des indemnités, la loi organique du 25 février 1992 a fixé le principe de l’écrêtement, en plafonnant à 8434 euros net par mois le montant des indemnités mensuelles qui peuvent être reçues par une même personne. 

Le recours au cumul des mandats demeure toutefois, dans la pratique, assez fréquent. Dans un de ses rapports de 2012, le Sénat notait que "la France se distingue de la majorité des grandes démocraties par l’importance du cumul des mandats et des fonctions", constat entériné par l’Institut Montaigne en 2016. En 2021, 54 % des sénateurs, 38 % des députés et 25 % des eurodéputés cumulaient leur mandat national avec au moins un mandat local. Pour certains, ces lois du 14 février 2014 ont contribué à isoler le corps social et réduit la sensibilité de nos élus, aux problèmes concrets du terrain, des problématiques des Français. Cette approche est notamment soutenue par Éric Zemmour, qui propose de revenir sur ce principe du non-cumul des mandats. À l’inverse, la règle du non-cumul permet notamment de faciliter le renouvellement des élus, de participer à la féminisation de l’Assemblée nationale et de limiter les effets de rente. Cette vision est notamment partagée par Jean-Luc Mélenchon qui souhaite rendre effectif le principe de non-cumul des mandats et des indemnités selon la règle "un seul mandat au même moment, deux mêmes mandats consécutifs maximum". Derrière ces différents arguments apparaît toutefois ce débat plus complexe qui est celui de l’introduction de règles limitatives ou obligataires, dans le jeu institutionnel français. 

En ce sens, les propositions qui visent à rendre le vote obligatoire en constituent l’acmé. Si le vote n’est aujourd’hui en France obligatoire que pour les "grands électeurs" qui élisent les sénateurs, certains candidats, comme Jean-Luc Mélenchon, proposent de le rendre obligatoire pour l’ensemble des citoyens. 

Cette pratique est aujourd’hui répandue dans une vingtaine de pays, dont la Belgique, la Grèce, le Brésil, ou encore en Australie. Une quinzaine de propositions de loi ont été élaborées en ce sens depuis les années 2000, dont aucune n’a abouti pour le moment.

Afin de constituer une obligation concrète, le fait de ne pas voter pourrait être sanctionné pénalement (par des travaux d’intérêt général comme en Australie) ou par une sanction pécuniaire. Dans le contexte politique, économique et social actuel, de telles dispositions semblent toutefois irréalistes et non souhaitables. Au-delà des obligations ou des sanctions, de seuils de suffrage ou de proportionnalité, la démocratie doit se construire sur une authentique envie citoyenne de s’engager et de s’inscrire dans les débats publics. Il apparaît néanmoins qu’à cet égard, les lois, tout comme les règles institutionnelles, sont bien démunies.

 

COPYRIGHT : Ludovic MARIN / POOL / AFP

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