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04/10/2019

Campus connectés : connecter pour reconnecter

Regards croisés entre Gilles Babinet et Manon Guyot

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Campus connectés : connecter pour reconnecter
 Gilles Babinet
Ancien conseiller sur les questions numériques
 Manon Guyot
Responsable des ressources humaines

En mai dernier, le Gouvernement a annoncé la mise en place à la rentrée universitaire 2019 de treize lieux labellisés "Campus Connecté". L’objectif affiché est d’allier formation à distance et accompagnement des étudiants dans des villes éloignées des centres universitaires. Gilles Babinet, conseiller sur les questions numériques à l’Institut Montaigne, et Manon Guyot, chargée d’études à l’Institut Montaigne, nous livrent leurs analyses sur ces moyens de reconnexion aux études supérieures des jeunes.


Quelles opportunités voyez-vous dans le développement des campus connectés ?

L’idée de créer des lieux dédiés à l’enseignement supérieur et permettant de désenclaver les territoires dépourvus de systèmes universitaires est louable, car les expérimentations dont on a connaissance (Etats-Unis et Canada principalement) sont généralement considérées comme un apport réel aux étudiants. Cela permet de répondre aux principaux inconvénients que l’on observe au sein des MOOCs, au taux de décrochage élevé en raison de l’isolement de l’élève face à son écran. Ces centres permettent d'accéder virtuellement à du mentorat et à des travaux dirigés de groupe. Toutefois, le plus important n’est pas nécessairement le numérique : c’est la capacité à rompre l’isolement dont souffrent généralement les étudiants, y compris ceux qui sont sur des sites universitaires, décuplé pour ceux qui se trouvent dans des territoires enclavés. 

Il y a, toutefois, quelques écueils à éviter pour réussir cette initiative. Au préalable, il est important de disposer d’une plateforme numérique de grande qualité. Car si l’expérience de cours dirigé peut être faite en ligne (c’est notamment le cas de la formation professionnelle au sein de nombreuses grandes multinationales aux sites épars), elle ne sera réellement concluante que si beaucoup conditions sont réunies. Parmi celles-ci, on trouvera le fait de disposer d’une station de visioconférence de très bonne qualité, facilitant l’interaction entre un ou plusieurs mentors/professeurs et d’élèves, potentiellement nombreux. Il faudra également disposer d’une plateforme éducative (Learning Management System) souple, et qui permette des cinématiques en présentiel. Or, parmi les solutions les plus répandues du marché, cela est loin d’aller de soi. 

Il faudra ensuite ne pas négliger la convivialité d’un lieu, car si l’apport éducatif de l’interaction en présentiel des élèves entre eux est indéniable, ceux-ci ne se déplaceront pour aller au-delà de l’expérience virtuelle que si le lieu est accueillant, ce qui est loin d’être le cas dans bon nombre d’universités. 

Enfin, des questions restent en suspens : quel sera le type de relation prévu avec les systèmes universitaires ? Différentes universités pourront-elles se partager un même lieu ? Dans ce cas, qui sera le propriétaire du Learning Management System ? Les universités devront-elles harmoniser leurs solutions techniques pour pouvoir utiliser de tels lieux ? Ces questions sont loin d’être triviales et la qualité de l’expérience sera largement tributaire de la réponse qu’il leur sera donnée. Quelle que soit la qualité de ces nouveaux centres, leur succès sera largement dépendant de leurs animations, de la qualité des enseignements et surtout de l’engagement que ceux-ci attribuent à ces espaces.

Quelles sont les autres évolutions à envisager pour améliorer l'enseignement par le numérique ?

L’OCDE fait le constat que la sous-exploitation du numérique dans l’enseignement supérieur menace la France d’une marginalisation internationale. C’est pourquoi en 2017, l’Institut Montaigne a publié le rapport Enseignement supérieur et numérique : connectez-vous, qui analyse la façon dont les institutions d’enseignement supérieur peuvent tirer parti des opportunités offertes par le numérique. 

Or, le numérique pour le numérique n’est pas suffisant. Il est important de repenser plus généralement les modes d’apprentissage classiques, pour développer de la pédagogie numérique, offrir des contenus plus dynamiques, tout en renforçant l’accompagnement de l’étudiant, et promouvoir davantage de collaboration entre les élèves. L’Institut Montaigne préconise de développer les Fablabs (projets conduits par des groupes d’étudiants internationaux de différentes disciplines), qui ne sont aujourd’hui que très peu répandus en France, de donner accès aux étudiants à des cours extérieurs à leur institution, et de promouvoir le "blended learning" (système mixte associant enseignement présentiel et en ligne). Ces évolutions supposent également de repenser les espaces et d’investir dans de nouveaux équipements.

Proposition n° 4 de l’Institut Montaigne : Grâce à une concertation nationale sur les modalités et usages du numérique dans l’enseignement supérieur, renouveler le modèle économique des universités et des écoles, en suivant trois priorités :

  • renforcer l’offre et l’organisation des formations : développer la pédagogie numérique, y compris pour la formation continue, créer des contenus dynamiques, évolutifs et collaboratifs,
  • accroître l’investissement national pour la rénovation pédagogique : développer de façon très significative le dispositif des Congés pour Recherche ou Conversion Thématique, 
  • amorcer une grande transformation de la vie étudiante : investir dans de nouveaux équipements et infrastructures. 

Le numérique se présente également comme une solution pour lutter contre le décrochage, en proposant un accompagnement de l’élève plus personnalisé. C’est en effet un enjeu majeur : après leur première année de Licence, à peine 40 % des étudiants poursuivent dans la même formation. Si l’on considère que le taux de réussite en Licence en trois ans est de seulement 27 %, il est important de développer l’utilisation des learning analytics (analyse de données d’apprentissage), qui permettent aux enseignants d’avoir un retour d’expérience sur leur cours, à travers le logiciel Moodle par exemple.

Enfin, la formation par le numérique requiert que les enseignants puissent développer les compétences pédagogiques nécessaires pour proposer des contenus interactifs renforçant la participation de l’élève à son apprentissage.

Proposition n° 5 de l’Institut Montaigne : Développer l’activité de laboratoires de recherche et de lieux d’expérimentation en sciences de l’éducation et numérique, pour l’enseignement supérieur et la recherche.


Comment la France se positionne par rapport aux autres pays sur ces questions ?

À cet égard, il est difficile de comparer la France aux autres pays, car les enjeux n’ont pas été les mêmes. Avec plusieurs initiatives à son actif, le Canada semble avoir été un précurseur en la matière ; notamment avec ses "Centers for Distance Education" facilités par les caractéristiques intrinsèques de son territoire. La London University a également, depuis plusieurs décennies, un centre du même nom, qui fait profiter ses enseignements à des pays du Commonwealth. De nombreux autres pays (Australie, Allemagne, Emirats Arabes Unis…) ont également des initiatives dans ce sens. Il existe également des travaux de recherche et d’ingénierie pédagogique permettant de créer un parcours balisé pour une nation comme la France, qui lancerait une telle initiative sans précédent historique. 

De sorte à assurer un lancement réussi, il faut souhaiter que des partenariats soient initiés avec ces acteurs étrangers, et qu’une équipe compétente en ait la charge. Enfin, pour un accroissement de ces initiatives dans une seconde phase, il serait dommage de ne pas mettre en perspective le potentiel qui existe au sein de l’Afrique francophone. Toutefois, à condition que la première étape soit réussie.

 

Copyright : ANDREAS SOLARO / AFP

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