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07/02/2017

État-actionnaire : une singularité française ?

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État-actionnaire : une singularité française ?
 Victor Poirier
Auteur
Ancien directeur des publications

L'État est dit actionnaire lorsqu'il intervient directement au capital d'entreprises commerciales.

En France, le bras armé de ces interventions est l'Agence des Participations de l'État (APE), créée en 2004 et placée sous la tutelle du ministre de l'Économie et des Finances. Au 30 décembre 2016, les participations suivies par l'APE représentent un actif d'environ 90 milliards d'euros (soit plus de 4 % du PIB), dont plus de 60 milliards pour les seules entreprises cotées (parmi lesquelles EDF, Engie, Orange ou encore ADP).

L'Institut Montaigne s'est récemment interrogé sur la pertinence de cette situation en présentant la note de David Azéma, L'impossible État actionnaire ?

Mais la France est-elle une exception ? Tour d'horizon des politiques d'actionnariat de l'État à l'étranger.

Le Royaume-Uni

Combien ça représente ? Au 31 décembre 2015, l’État britannique est présent au capital de 25 entreprises, selon le rapport du Shareholder Executive, organe chargé de gérer les intérêts financiers de l’État - et qui a été dissous le 1er avril 2016. Ces participations représentent un chiffre d’affaire combiné d’environ 12 milliards de livres sterling - à titre de comparaison, la valeur du portefeuille de l’Etat français est de 90 milliards d’euros fin 2016.

Comment ça marche ? Jusqu’en avril 2016, le Shareholder Executive, rattaché au département Business, Innovation and Skills, avait pour mission de conseiller L’État dans ses positions en fixant des objectifs clairs et chiffrés de performance du portefeuille. Il intervenait par ailleurs au sein des entreprises pour des conseils financiers et stratégiques. Cet organe a depuis été remplacé par le UK Government Investments, détenu par le Trésor britannique, et fruit de la fusion du Shareholder Executive et du UK Financial Investments, anciennement consacré à la gestion des établissements bancaires.

Par rapport à la France ? Le cas britannique est très différent du cas français. Premièrement, car les sommes en jeu sont bien moindres (six fois inférieures environ). Ensuite, car l’actionnariat au Royaume-Uni n’est pas vu comme un outil stratégique, L’État n’étant pas présent dans le capital de ses fournisseurs militaires. En France, la protection d’intérêts stratégiques est l’un des objectifs de l’actionnariat public, un biais mis en évidence par David Azéma. Enfin, car la dynamique d’actionnariat de L’État est à la diminution du portefeuille outre-Manche, tandis que ce n’est pas le cas en France.

La Norvège

Combien ça représente ? Selon le dernier rapport publié par le ministère du commerce, de l’industrie et de la pêche, l’État norvégien a des participations directes dans 70 entreprises nationales, pour une valeur totale d’environ 73 milliards d’euros (644 milliards de couronnes norvégiennes) à la fin 2015. A noter que la Norvège dispose, en plus de ces participations directes, de deux fonds de pension détenus par le gouvernement, alimentés en grande partie par les revenus pétroliers du pays. Le plus grand d’entre eux, le Government Pension Fund Global, représente un total de 873 milliards de dollars au 1er mai 2016. Ces fonds ont néanmoins pour obligation de n’investir qu’à l’étranger.

Comment ça marche ? Les 70 participations nationales sont gérées directement par onze ministères différents. Le ministère du commerce, de l’industrie et de la pêche a le portefeuille le plus large (30 entreprises). Sont distinguées les entreprises à objectif commercial (catégorie 1) des entreprises aux objectifs différents (stratégiques, de service public, etc.). L’objectif annoncé par le gouvernement norvégien pour les entreprises de catégorie 1 (elles sont au nombre de sept) est d’atteindre le meilleur rendement possible. Les fonds de pension, de leur côté, ont pour but d’investir le surplus réalisé par le secteur pétrolier, permettant ainsi de réduire les effets potentiellement disruptifs des fluctuations du cours du pétrole.

Par rapport à la France ? L’OCDE a récemment encouragé la Norvège à réduire la présence de l’État actionnaire, estimant que celle-ci “peut-être nocive pour la concurrence, l’innovation et la croissance”. Certes, la présence de l’État dans le capital d’entreprises stratégiques est conséquente dans les deux pays. Néanmoins, les deux modèles se distinguent tant par l’ampleur des participations - l’actionnariat de L’État norvégien représente plus de 20 % du PIB national (contre 4 % dans le cas français) - que par la diversité du portefeuille - la Norvège se distingue par sa dépendance croissante aux cours des matières premières, Devant l’importance de l’État actionnaire pour le budget norvégien, le gouvernement a publié, en 2001, 10 principes pour un actionnariat efficace et transparent.

L’Allemagne

Combien ça représente ? En 2014, l’état fédéral allemand possède des participations directes dans 107 entreprises : il est actionnaire dans 62 entreprises privées, 15 coopératives, 5 entreprises à but non commercial, ainsi que 25 fonds d’investissement. En 2014, la valeur des participations de l’État dans les entreprises privées s’élevait à 5,46 milliards d’euros, somme prélevée du budget fédéral. Toutefois, les Länder peuvent également acquérir des actions au sein d’entreprises privées.

Comment ça marche ? La participation de l’État allemand est soumis à des règles d’efficience et de transparence. La loi de finances définit sept domaines dans lesquels une intervention étatique est autorisée : compétitivité de l’économie, sciences, infrastructure, défense, politique du développement, soutien à l’économie et culture. Chaque ministère de tutelle doit financer la participation étatique qui le concerne. Ainsi, le système allemand allie centralisation et décentralisation : le ministère des finances a la charge de décider s’il est dans l’intérêt de l’Etat d’être actionnaire dans une entreprise privée, tandis que les ministères concernés dirigent la gestion de ces participations.

Par rapport à la France ? L’Allemagne a connu, depuis les années 1980, des privatisations massives renforcées suite à la réunification. La participation de L’État est donc perçue comme une option de dernier recours pour pallier les déficiences du marché, ce qui n’est pas toujours le cas en France. Cela explique le faible montant de participations étatiques dans les entreprises privées (plus de 15 fois inférieures en valeur aux participations françaises).

Singapour

Combien ça représente ? Le fonds souverain “Temasek Holdings”, entièrement détenu par le ministère des Finances singapourien, regroupe les participations étatiques. Celles-ci atteignent, en valeur au 31 mars 2016, 180 milliards de dollars, dont plus de 60 milliards à Singapour (31 % du portefeuille). Cela représente 20 % du PIB du pays (300 milliards de dollars). Le fonds détient, en 2014, 35 entreprises

Comment ça marche ? Singapour possède un système d’État-actionnaire très différent des pays européens. Le fonds souverain “Temasek Holdings”, créé en 1974, a pour mission de gérer les réserves du pays. Cela implique des prises de participation au niveau national mais aussi international, deux tiers du portefeuille étant composé d’actions étrangères. 70 % des investissements sont réalisés en Asie et recouvrent des secteurs divers (banque, telecoms, transports, immobilier, etc). Le fonds est détenu par le gouvernement mais entièrement indépendant dans son financement comme dans ses choix stratégiques. L’objectif annoncé par Temasek est de maximiser le retour sur investissement sur le long-terme, via des choix “flexibles et commerciaux”.

Par rapport à la France ? Singapour est un exemple d’actionnariat de L’État particulier, tant il représente un enjeu crucial pour les finances publiques du pays. Tandis que L’État actionnaire français est pointé du doigt pour sa “schizophrénie” entre activité commerciale et enjeux sociétaux, le fonds Temasek est entièrement dévolu à la recherche du profit. Cette orientation clairement définie, associée à et son indépendance politique (ni le Président, ni le gouvernement ne sont impliqués dans les choix stratégiques), en font un acteur commercial à part entière.

Par Amélie Reichmuth et Victor Poirier pour l'Institut Montaigne

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