Plus encore, le relais à l’international de tels discours fait office de clarification bienvenue, pour une audience plus large encore, qui peine souvent aussi à déceler, dans le projet présidentiel, le sens autant que la direction. Il s’agirait d’une configuration bien différente des discours de vœux ou des allocutions aux Français, enregistrées depuis l’Elysée, solitaires et solennelles, manifestations toujours plus anachroniques de ce mythe voulant qu’un seul homme puisse construire ce dialogue direct, désintermédié, avec son peuple. Cette tradition bien française, héritage d’une histoire politique et institutionnelle très différente de celle des États-Unis, est frappée d’archaïsme. Il est d’ailleurs frappant de voir que la Constitution américaine, quoique bicentenaire, puisse engendrer, au XXIème siècle, des pratiques politiques infiniment plus modernes que celle que notre "jeune" Constitution permet. En multipliant les interlocuteurs, en se présentant non plus seul mais entouré des représentants politiques nationaux, la dimension du discours et sa portée seraient tout autres.
Les raisons qui ont conduit le Président à suspendre l’exercice ces quatre dernières sont connues : crise des gilets jaunes, pandémie, guerre en Ukraine. Mais il nous semble qu’elles rendent plus urgentes encore la nécessité de porter un discours qui ne devra pas nécessairement chercher du consensus mais bien de la clarté.
Le discours sur l’état de la France ne serait pas une déclaration de politique générale
Certains argueront qu’il s’agit là d’une prérogative du ou de la Première ministre, prévue expressément par la Constitution, et qu’un tel discours ne ferait que renforcer le caractère "jupitérien" du pouvoir présidentiel, au détriment d’un Premier ministre relégué au statut de fantoche, d'exécutant. La déclaration de politique générale, prévue à l’article 49 de notre Constitution, prévoit effectivement que le chef du gouvernement s’adresse au Parlement pour lui présenter son projet. Mais les deux exercices n’ont rien de redondant ni de concurrent. Au contraire, ils permettraient de mettre en lumière la complémentarité des visions présidentielle et gouvernementale, l'un fixant le cap, l'autre détaillant la méthode. Le discours présidentiel français jouit d'une très grande liberté normative (ses carcans relèvent plutôt de la tradition), il est de fait très peu encadré ou contraint par les textes. La réforme constitutionnelle de 2008 a ouvert cette possibilité du discours devant le Congrès, venant moderniser la pratique devenue désuète du "message présidentiel", lu aux Assemblées et sans possibilité de débat. Nicolas Sarkozy et François Hollande s’en sont saisis, mais en réaction à des crises (celle des subprimes pour le premier, les attentats de 2015 pour le second). Emmanuel Macron était le premier à investir cette possibilité constitutionnelle nouvelle, non en réaction, mais par l’initiative.
Il est encore temps, alors que le second quinquennat démarre à peine, de renouer avec cet exercice. Faut-il qu’il ait lieu tous les ans à date fixe ? Cela ne va pas de soi, les automatismes et les rigidités ne donnent jamais rien de bon. L'essentiel est qu'il arrive au moment où cet effort de clarification est le plus impératif pour le pays : une fois l'examen de la réforme des retraites passé, lorsqu'une nouvelle séquence, de près de quatre ans encore, s'ouvrira pour le pays, le Président, son gouvernement, la majorité parlementaire et les oppositions. Enfin, alors que la guerre en Ukraine se prolonge, que les menaces ne cessent d'augmenter, et que l'engagement de la France va croissant, ce sujet devra être exposé aux Français et à leurs représentants, avec responsabilité et transparence. Plus que jamais, la nation doit faire front face aux nouvelles menaces, et il est du devoir du Président de la République de créer les conditions d’une unité.
Copyright image : Thibault Camus / AFP
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